Il en aura fallu de la résilience aux organisateurs de Sons d’hiver pour, après deux ans d’arrêt forcé, pour organiser coûte que coûte ce dernier week-end de concerts, perturbé à la dernière minute par une grève massive dans les transports en commun. Soirée du vendredi annulée, on aura hélas perdu Anthony Joseph dans la manœuvre, les artistes ont été reportés au samedi pour un programme assez chargé. Et ce n’est rien de le dire, débutée à 19h, cette dernière soirée s’achèvera quasiment cinq heures plus tard, sur le coup de minuit !
On débute donc avec William Parker et cette création ambitieuse « Trail of tears – A continuum 1492-2022 ». Il s’agît d’un poème symphonique, récit de la relocalisation des nations Cherokee et Choctaw, une thématique entrant forcément en résonance avec le destin tragique des réfugiés de nos jours. Pour illustrer son propos, le contrebassiste William Parker se repose sur une formation de grande ampleur, avec sections de cordes et de vents, des danseurs et un chœur où se mélange récitants, chanteuses et chanteurs. Le résultat est à la hauteur des ambitions élevées de Parker et passe allégrement du classique au jazz, de la poésie saupoudrée d’un soupçon de gospel lorsque les voix sont mises en valeur, parfois free et expérimental (cf. les déroutantes stridences des violons) mais mené avec un sens du swing remarquable. Superbe !
La soirée se poursuit ensuite avec Hamid Drake, rien de moins que l’un des meilleurs batteurs de jazz au monde, pour un hommage à Alice Coltrane (décédée en 2007) mêlant une fois encore musique et danse. Le jazz fougueux et expérimental du batteur virtuose s’agrémente également d’électronique (un musicien sur scène est équipé d’un ordinateur portable) lequel ajoute une note bizarre mais restant relativement discrète. Sorte de grand huit faisant passer l’auditeur par tous les états on ressort un peu exténué par la performance, et sa déferlante de notes, passant d’un swing surexcité à des moments plus planants, mais néanmoins magnifiques.
On en serait restés là-dessus que l’on aurait déjà passé une soirée des plus consistantes. Mais ce n’était pas encore fini puisque The Master Musicians of Jajouka ont ensuite fait leur apparition sur scène. Encore une performance contrariée, non pas par la grève mais par la Covid, entre pénurie de vaccins et ouverture tardive des frontières marocaines, le groupe s’est présenté à quatre membres au lieu des sept initialement prévus. Mais comptant sur le soutien du groupe précédent, celui d’Hamid Drake, les maîtres du Jajouka nous ont proposé un grand voyage entre Amérique et Maghreb imposant la musique comme langage universel. Il est d’ailleurs très émouvant d’entendre Hamid Drake (l’un des meilleurs batteurs au monde rappelons-le) parler avec déférence du percussionniste Mohamed El Attar, invitant le public à l’écouter attentivement car « que l’on joue du jazz, du rock’n’roll ou de la funk, il y a toujours quelque chose à apprendre en l’écoutant jouer ». Belle leçon d’humilité.