Winston McAnuff, vétéran jamaïcain du reggae, et ses compères du Bazbaz orchestra ont encore réussi un coup fumant cette année avec l’album « A Bang ». Fusion unique entre reggae, gros rock avec un soupçon de funk, de blues et de gospel, l’album est une réussite totale, bâtissant un pont entre différents styles avec toujours ce fameux groove comme pierre angulaire. Aussi, c’est avec une excitation particulière que l’on a attendu cet entretien, les occasions de rencontrer de tels personnages étant finalement assez rares…
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Camille Bazbaz : C’est à cause d’une fille. Il y a six ou sept ans, je suis allé voir un concert de reggae au New Morning avec ma copine. Je suis accro au reggae, au rock n’roll aussi. Bref, Winston jouait ce soir là. J’ai vu des centaines de concerts dans ma vie mais j’ai pensé ce mec là doit être mon ami. Entre-temps ma copine avait disparu. Elle est revenue en me disant qu’elle était allée voir les backstage. J’étais très inquiet de la laisser avec des jamaïcains fous (Winston rigole).
Winston McAnuff : Elle était toute triste alors je lui ai dis de ramener son copain.
C. : Et j’ai rencontré Winston. Simplement parce que j’avais flashé sur le show et par ce que ma copine avait disparu. On s’est rencontré, on a discuté et on a commencé, lentement mais sûrement à faire de la musique ensemble. Mais d’abord on devait bien se comprendre tous les deux. On a très vite compris que Winston n’avait pas vraiment besoin de moi pour jouer du reggae. Il est jamaïcain, tu comprends ? C’était plus marrant d’essayer quelque chose de différent. On a fait un premier album ensemble intitulé « A Drop ». C’était notre truc au début, d’essayer de faire quelque chose qui ne soit pas trop stéréotypé.
Winston, « A Bang » est ton troisième album fait en France. Est-ce que tu aimes la France et pourquoi ?
W. : Il se trouve que la France a toujours fait partie de mon histoire personnelle. J’ai rencontré des français dans les années 80. J’ai joué à Bordeaux avec mon groupe de reggae dans les années 80. Il y avait une association Chadobee, je crois. Après je ne suis pas revenu pendant longtemps. J’étais en Angleterre, j’essayais de voir si il y avait moyen de faire quelque chose au niveau musical. Mais il ne se passait rien. Un jour je faisais du baby-sitting et on m’a proposé de revenir pour faire un concert. La France est bonne avec moi et ma musique. Je l’accepte et je travaille avec beaucoup de respect.
Musicalement, « A bang » jongle avec différents styles musicaux, reggae, un peu de funk. Tu es bien plus qu’un chanteur de reggae…
W. : On a grandi comme ça, avec les stations de radios. Et il se trouve que l’on passait très peu de reggae les premières années à la radio. Les producteurs n’avaient pas les moyens de se payer des passages radio. On y entendait beaucoup de musique venant de l’étranger. Tous les chanteurs étrangers. Stevie Wonder, Michael Jackson, Aretha Franklin, Patti LaBelle, Rod Stewart, Neil Diamond et tous les autres. Et Edith Piaf aussi !
C. : C’est la force des jamaïcains.
W. : Nous les jamaïcains, on a été exposés à des styles musicaux très variés.
C. : Beaucoup de musiciens en Jamaïque sont dans le même état d’esprit. Ils ne sont pas obsédés par le reggae. La musique c’est la musique. C’est tout. Ce n’est pas comme une église.
Camille tu as dit que pendant l’enregistrement Winston répétait tout le temps « Sky is the limit »…
C. : Par ce que le ciel est la limite. C’est la vérité.
W. : On travaillait sans accord préalable. Il n’y a aucune force qui peut nous empêcher d’atteindre les sommets que nous voulons atteindre. Le secret pour réussir une chanson, produire une chanson de qualité, c’est qu’il ne faut pas faire semblant. On sait exactement ce que l’on fait.
Qui est « Mr White Shirt » ?
C. : Bonne question ! J’adore cette question (rires) !
W. : Mister White Shirt, cela peut-être n’importe qui. Ce n’est ni un Blanc, ni un Noir. C’est juste un homme qui suit son chemin.
C. : C’est un homme qui pense que la vie est une page blanche. La vie n’est pas blanche. Il faut faire attention aux autres. Si tu vas en Afrique ou dans certains coins de Paris, comme Barbès par exemple, ne joue pas. Ouvre les yeux et regarde autour de toi. Ne sois pas provocateur ou stupide. C’est une question d’argent, c’est un truc bourgeois. Ne prends pas les gens pour des idiots. En tout cas pour moi, c’est la signification de « Mr White Shirt », mais comme ce n’est pas moi qui l’ai écrite…
W. : Bon en fait, on est venus au studio pour enregistrer. Bazbaz m’a demandé : « Winston qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? ». Et comme j’avais un blanc, j’étais ouvert à toutes les propositions. Je n’avais aucune idée. Sur ce, il y avait ce mec, Elbaz qui est l’assistant de Bazbaz et qui portait une chemise blanche. Et j’ai commencé à chanter : « Hey Mister White Shirt » (rires). La chanson est venue comme ça. De l’inspiration pure, ici et maintenant.
Et « Toys are us » ?
W. : J’aime bien écrire les textes des chansons en partant de titres connus. La promotion est déjà faite ! Je pensais à « Toys R’Us » et je trouvais ça ambigu. C’est le nom des magasins mais le R pour être l’abréviation de are ce qui signifie que nous sommes des jouets. Donc j’ai commencé à travailler mon texte. C’est comme « ABC » (des Jackson 5, ndlr). En anglais, en français, tout le monde connaît l’alphabet. C’est le même. Ce genre de titres cela aide à la compréhension.
Angela Davis est une icône de la lutte, de la résistance. Comment le personnage t’a-t-il inspiré ?
W. : J’ai commencé par écrire une chanson sur Malcolm X. J’ai eu l’idée de la chanson sur Angela Davis le même jour. C’était en 1974.
C. : Angela Davis et Malcolm X auraient du être en couple !
W. : Mais je n’arrivais pas à terminer la chanson. Je n’avais que le refrain. Et un jour, Elbaz, le même mec, Mr White Shirt, a trouvé le rythme. Soudainement j’étais complètement à fond dans la chanson. Plus de 20 ans après ! Tout cela vient de l’inspiration. Tu ne devrais pas avoir à y réfléchir. C’est mauvais de trop y penser. Cela vient c’est tout.
C. : C’est très intéressant d’écouter Winston, je ressens exactement la même chose. J’ai vécu la même chose, plein de fois. C’est un classique chez les musiciens. C’est ce qui fait de nous des frères. La musique est la même pour tous : Français, Chinois, Jamaïcains. Il y a toujours un niveau d’honnêteté. Un songwriter est un songwriter et cela ne changera jamais. C’était comme cela il y a 100 ans et cela sera la même chose dans 100 ans. Ecrire une chanson, ce n’est pas un travail. C’est un flash, une inspiration. Tu fais de la musique 24 heures sur 24. Même quand tu dors tu fais de la musique. Tu seras toujours musicien, tu n’arrêtes jamais. C’est comme ça. Ce qui est rigolo, c’est qu’en écoutant Winston, j’ai l’impression de m’écouter moi-même. Ca me perturbe ! La musique c’est magique !
« Jacob’s Ladder » (l’échelle de Jacob) ? Winston, tu as commencé la musique en chantant du gospel à l’église. La Bible t’inspire-t-elle ?
W. : Oui, beaucoup. La chanson est venue d’après une vision qui m’est apparue un jour alors que j’étais éveillé. Un matin j’étais dans la maison de mon petit frère. J’étais dans une pièce, j’attendais. Et soudain je me suis vu dans le ciel. Aucune parole. J’ai écrit les paroles en décrivant la situation. Il y avait comme une bourse de cristal qui était synchronisée avec mon corps. J’étais avec les étoiles et le ciel dans mon corps. Et il y a une voix qui me dit : « Est-ce que tu sais que je peux faire ça ? ». Et je reçois une décharge électrique !
C. : Tu veux dire que tu étais mort ?
W. : Non, je n’étais pas mort, j’étais vivant. Mais dans un autre corps. Séparé de moi-même. Quand je parle, ma voix n’est pas là. Mes oreilles ne sont pas là. Et la voix me dit : « Est-ce que tu sais que je peux faire ça ? » et je reçois des décharges électriques dans différents parties de mon corps (Winston se lève et mime la scène). Et je me disais, merde, quand est-ce que je vais rentrer à la maison (rires) ? J’ai crié mais je ne m’entendais pas. Je n’étais pas à l’intérieur de mon corps. Et soudainement tout est redevenu normal. Mon frère m’a entendu et il est revenu en courant dans la pièce en se demandant ce qu’il se passait. Il pensait qu’il y avait des cambrioleurs et que j’avais été agressé ! Il disait avoir entendu une voix qui n’était pas normale. Et pendant quatre heures, je n’ai pas eu la force de prononcer un seul mot. Après quatre heures j’ai pu lui expliquer. Après pendant trois ou quatre ans, j’ai raconté cette histoire, je voulais savoir si d’autres personnes avaient vécu la même expérience. Personne ne comprenait. Et puis un jour j’ai rencontré cette femme à Amsterdam. Je lui ai raconté mon histoire. Elle m’a lu l’histoire de Jacob dans la bible. Elle m’a dit que j’étais Jacob. C’est comme ça que j’ai compris ma vision et que la chanson est née. C’est une des grandes histoires de ma vie. J’ai nommé mon fils d’après cette histoire.
C. : « Jacob’s ladder », c’est une super chanson. On en est très fiers, par ce que c’est vraiment du hard rock. On l’adore, on adore surprendre le public. Pour moi, la chanson est née la première fois que j’ai accompagné Winston en Jamaïque. On étais arrivés sur place et ma première inspiration ça été celle la. Ecrire une chanson c’est comme faire un puzzle. Et le puzzle peut être immense parfois. Je suis très heureux d’entendre la vision de Winston sur cette chanson.
Quel est votre meilleur souvenir après toutes ces années passées dans la musique ?
C. : Le meilleur souvenir, c’est le prochain concert.
W. : Mon meilleur souvenir, c’est un concert avec Bazbaz. On avait du nono. C’est un fruit tahitien. C’est très bon pour la santé, tout est bon, le jus, les feuilles. Et il y a un type qui me dit : je sais quel est votre secret, pourquoi vous jouez aussi bien, vous prenez du jus de champignon. Et je lui dis, non pas du tout, c’est le nono. Il ne voulait pas y croire…
www.myspace.com/winstonmcanuff
Propos recueillis le 10 mai 2011.