Le groupe gascon est de retour avec un nouvel effort qui, comme d'habitude, n'a de cesse de renouveler les musiques traditionnelles de son sud-ouest natal. Album au long cours, tous les titres flirtent voire dépassent les dix minutes, « Cerc » constitue une proposition musicale ambitieuse et expérimentale mariant instruments traditionnels (vielle à roue, tambourin à cordes) à la lourdeur étouffante du heavy-metal mêlée d'aspirations progressives. Usant de mille détours, la violence qui se dégage du disque est mise sous cloche, comme étouffée, et contrebalancée par le chant, mélodique, en langue vernaculaire. Inspiré par le massif calcaire de Pierre Saint Martin, et ses 430 km de galeries à explorer, Artús livre un album à l'avenant : labyrinthique, constitué d'impasses et de détours, au fil de ses compositions fleuves faites, aussi, de silences, de coupes brusques, de décharges d'adrénaline suivies d'accalmies. La tension, qu'elle soit sous-jacente, explosive, retenue, crescendo ou non, est ici une valeur cardinale. La clé pour dompter, puisque c'est bien de cela qu'il s'agît, ce disque sauvage dont les nuances ne se révèlent qu'après une écoute intégrale et répétée. Le résultat est passionnant.
Une décennie après leurs débuts, Cage The Elephant, a bien évolué. Fini les premiers disques grunge évoquant Nirvana et consorts. Fini également la période garage/psychédélique qui n'aura finalement duré que le temps d'un album, produit par Dan Auerbach. Ce nouveau disque voit John Hill, connu pour son travail avec Florence+The Machine, s'installer dans le fauteuil de producteur. Le résultat est déconcertant à plus d'un titre, « Social Cues » est l'album le plus pop du groupe et par un effet de balancier inverse, le moins rock de la formation. Les guitares parfois en sourdine, le groupe, tombé dans une étrange faille temporelle, accouche d'un album influencé par les années 1980 auquel il ne manque plus qu'un logo MTV dans le coin de la pochette (cf. « The war is over »). La musique du groupe s'enrichit ainsi de nombreux accents évoquant le David Bowie des années 1980, une influence qu'ils ont réussi à conjuguer au rock rageur qui a fait leur réputation (« House of glass » ; « Ready to let go »). Ailleurs, le chanteur Matthew Shultz, toujours aussi émouvant, apporte la touche de sensibilité nécessaire (« Love is the only way ») à un album aux déroutants détours synthétiques.
Ancienne des Liminanas, avant l'arrivée au chant d'Emmanuelle Seigner, la chanteuse Nika Leeflang lance son "project" en solo aux fortes effluves rock, garage et psychédéliques. Vivement la suite !
Tatouages apparents, bagues et jeans déchirés, la pochette du nouvel effort de la chanteuse présente toutes les caractéristiques de synecdoque, un détail désignant le tout, soit, en l'espèce, le rock'n'roll. Car s'il est bien question de rock dans ce nouveau disque, ce dernier est interprété comme une intention, un état d'esprit, plutôt que comme un style duquel il convient de cocher toutes les cases. Le rock'n'roll chez Jewly se teinte autant de guitares abrasives (« I just need to ») que d'arrangements électroniques (« Listen to myself » ; « And realise » ; "Purify"). Une manière pour la chanteuse de rendre hommage à son inspiratrice première, Janis Joplin, sans tomber pour autant dans l'admiration béate et la redite. Concept album, inspiré par des tranches de vie douloureuses sous les fourches caudines d'un pervers narcissique, « Toxic » nous conte la vie d'une jeune femme de l'enfance à l'age adulte. Un thème fort, parfois violent, et suffisamment éprouvant pour que la musicienne ait ressenti le besoin d'ajouter un soupçon de blues à sa musique, présent à travers la participation de musiciens venus des deux côtés du Channel : Justin Adams, Phil Spalding, Pascal Danaë (Delgres) et Axel Bauer. Autant d'invités venus renforcer la portée et la profondeur de ce disque puissant.
De tout temps, et ce depuis The Beatles et Bowie, le « live at the beeb » est considéré comme un rite de passage, auquel se soumet aujourd'hui la bande post punk menée par le chanteur James McGovern, le temps de trois titres, dont la reprise de « Cellophane » (chipée chez FKA Twigs), enregistrés dans les mythiques studios. De quoi patienter, en attendant la suite, après un premier album et un passage ayant fait sensation à Rock en Seine... Nerveux, mû par une tension extrême allant crescendo (« Green & Blue »), alternant le calme et la tempête jusqu'à l'explosion finale (« Don't cling to life », impressionnante) ; le tout est chapeauté par la voix de stentor de McGovern, le groupe confirme ici tout le bien que l'on pensait de lui. Un seul regret, trois titres, c'est un peu court…
Le confinement a, peut-être encore plus que d'ordinaire, renforcé le désir de collaboration, même à distance, des musiciens. Ainsi, nous est arrivé il y a quelques jours cette vidéo du groupe Catfish accompagné d'Andy Balcon, l'ancien Heymoonshaker, que nous sommes heureux de retrouver dans un contexte plus rock que sur son premier EP en solo. Il est quoiqu'il en soit amusant d'observer les musiciens, oublier, le temps de l'interprétation, la caméra, ce qui donne l'impression d'observer le groupe en catimini devant le trou de la serrure. Voila une belle façon de redécouvrir "Oh, Me", la composition des Meat Puppets, que certains se rappelleront avoir découverte sur l'album "MTV Unplugged in New York" de Nirvana...
Passé par le punk avant de subir un reliftage électro-dance, !!! (on prononce chk chk chk) est actif depuis une vingtaine d'années à la fois en Californie (la terre natale du groupe) puis à New York City où le groupe a trouvé asile depuis de longues années. Ils ne sont pas inconnus non plus de ce côté-ci de l'Atlantique avec de nombreuses tournées et festivals où ils ont conquis le public en autant de shows explosifs, le groupe étant une attraction sur scène, et une discographie forte d'une bonne dizaine de titres. Le dernier en date, « Wallop » est sorti l'été dernier et c'est avec grand plaisir que l'on retrouve ce cocktail unique en son genre où un fond expérimental digne de Kraftwerk (cf. « Off the grid / In the grid» ; « My fault » ; "Domino") rencontre quelques guitares (« Couldn't have known ») et une scansion funky imparable (« Serbia Drums ») qui fonctionne en forme d'appel à la danse. Et c'est précisément de cette alternance, que viennent les qualités du disque. D'une écriture solide magnifiée par la production ("$50 millions"). Une formation uniformément dance aurait vite lassé. Rien de tel ici et on trouve largement matière à répondre à l'injonction du morceau d'ouverture « Let it change u » : « Let the beat change you, rearrange a thing or two »…
De tous les albums sortis pendant le confinement (celui-ci a été enregistré en 2010) voici probablement le plus dingue : 4 heures (quatre!) de musique instrumentale, et expérimentale serait-on tentés d'ajouter après écoute (mais ça on va y revenir) ! Le genre d'album, si l'on peut encore appeler cela un album, dont l'écoute aurait été ingérable hors confinement. Signée des Dandy Warhols, la chose montre tous les signes apparents du groupe en train de vriller, ce qui était déjà passablement la cas sur leur disque précédent « Why you so crazy ». Ceux-là même qui s'autoproclamaient « le dernier des groupes de rock'n'roll » au début des années 2000, eux encore, que la presse d'outre-Atlantique qualifiaient (un peu trop hâtivement d'ailleurs) de « meilleur groupe brit-pop américain ». Le fait est que les Dandys ont toujours été un peu portés sur la chose psychédélique limite inécoutable, à jeun du moins (cf. « Pete international airport » sur leur deuxième album). Mais là, les aspirations psychédéliques prennent une tournure qui de fait éloigne le groupe du rock et des guitares à l'exception de la première plage de 36 minutes, « It's the end of the world as we know it and I feel bored » au titre prophétique chipé chez REM. Le reste se constitue en une succession de nappes planantes, ambiant, composées de synthés et de boîtes à rythmes bon marché. La musique est assez répétitive mais quoi de plus normal alors que la répétition est l'essence même de sa nature hypnotique et psyché. Un projet hors-sol, hors-normes, hors tout ! Une dernière question, et peut-être la plus importante, reste en suspens : et en fait, ils ont fumé quoi, au juste ?
Composé de la chanteuse Charlotte Savary (Felipecha) et de la musicienne Marine Thibault, Seyes pratique une pop électronique soyeuse, une musique câline propice à la rêverie à la croisée de plusieurs courants. Autant organique qu'électronique, savant mélange de claviers de d'époques diverses et incarnée, en anglais ou en français, par la voix protéiforme de Charlotte, qui alterne des graves aux aigus « Kate Bushiens » (cf. « Arrest him »), la musique de Seyes est à l'image des vagues bleues abstraites ornant la double pochette intérieure. Une invitation à se laisser emporter par les vagues successives, comme autant de couches sonores qui se superposent invitant, c'est selon, à la mélancolie ou au songe. Mais le bleu, qui domine la pochette, c'est aussi l'infini, du ciel ou de l'océan, et une invitation au voyage, intérieur en l'espèce, tour à tour doux, mélodique et apaisant.
Attention, on ne se ballade pas comme on veut dans ce disque ! Projet artistique ambitieux, débordant très largement du simple cadre d'un groupe de rock, cet effort se conçoit comme un concept-album. Le récit d'un monde « qui va basculer et qui ne sera plus comme avant » (prophétique!) qui s'écoute d'une seule traite et dans l'ordre des plages. Le personnage principal est une femme, mystérieusement nommée 480, et qui se trouve être la seule personne lucide de cette dystopie futuriste. Mi chanté-mi parlé (12 des 25 plages qui le compose sont narratives) l'ampleur de la chose n'est pas sans rappeler le Pink Floyd des années 1970. Musicalement, il serait cependant trop facile de taxer la chose de progressive. Certes ce dernier élément fait partie intégrante du processus mais le groupe ne se gène pas pour varier les plaisirs : du funk moite (« Run Away ») jusqu'au phrasé hip-hop (« Sing a song ») ; élargissant ainsi le spectre de sonorités modernes s’intégrant parfaitement dans le paysage, plus classiquement folk, blues, pop et rock (planant ou non) d'un album très marqué par les années 70 ; tout en sachant s'en distancier par ailleurs. Bercé par la voix bienveillante de Mélanie Briand (autant comédienne voix-off que chanteuse pour le coup) l'auditeur se laisse bercer, puis bousculer, par la bande-originale de ce film imaginaire. Il ne vous reste plus qu'à imaginer les images…
Alors que la musique s'écoule des enceintes et que le riff tournant de la guitare vrille imparablement le cerveau de l'auditeur, le groupe You Said Strange apporte la confirmation de ce que l'on osait à peine imaginer, à savoir la vitalité de la scène psychédélique hexagonale ! Impossible, impensable, il y a quelques années encore ! Mais, revenons à notre sujet du jour, You Said Strange dont l'album a été enregistré, classe absolue, à l'Odditorium Portland, le studio des Dandy Warhols dont le guitariste Peter Holmstrom a co-produit et co-mixé le disque ! L'influence des Dandys se fait d'ailleurs sentir dans le son qui reproduit cet équilibre fragile entre guitares, aux multiples effets, et claviers rudimentaires, le tout constituant une sorte de toile de sons enveloppant l'auditeur. Le groupe a repris à son compte cette formule constituant à jeter un voile psychédélique (chant choral et éthéré, motifs répétitifs légèrement orientaux de la guitare et rythme hypnotique de la section rythmique) sur des compositions pop déjà rudement bien troussées dès le départ, avec une petite pointe d'expérimentation en prime. La formule est sublimée par la production et, petit exploit, fonctionne à la perfection du début à la fin de ce copieux album (11 titres, une heure de musique) sans jamais lasser. Vous avez dit étrange ? Excellent, serait plus approprié !
Avec sa fusion funk-rock dégageant de fortes effluves des années 1990, on pense en particulier au Red Hot Chili Peppers (« Get myself up » ; "Frenzy"), voire à Rage Against The Machine (« Blue Duck »), dont l'aura plane sur ce disque, les Tasty Freaks visent plus haut que la simple vue revivaliste. Non, en retrouvant le groove, la syncope funky irresistible du groupe ranime la flamme rock'n'roll tant cette dernière se marie particulièrement bien aux guitares survoltées. C'est entraînant, vitaminé et non dénué d'émotion le temps de la belle ballade « After winter's cold ».
Brant Bjork n'est pas forcément le plus connu des anciens membres de Kyuss mais n'est pas le moins talentueux non plus, loin s'en faut ! Cheville ouvrière du desert-rock, hyper productif, l'homme sort un album par an depuis quelque années, et se situe dans un espace-temps bien précis entre le blues et le hard-rock seventies. Un style basé sur la répétition hypnotique des riffs de guitares, suffisamment bien troussés pour rester en mémoire pendant longtemps, auxquels son chant profond, reconnaissable entre mille, apporte un supplément d'âme incontestable. La guitare bénéficie d'un soin particulier en l'espèce. Le son est à la fois lourd, saturé et gras, mais semble quelque peu étouffé, ce qui donne cette sensastion de lenteur poisseuse, évoquant si bien le désert. Comme si la musique était assommée par la canicule et creusait le tempo au maximum. Les riffs de Bjork sont si bien tournés qu'ils distillent cette excitation propre à tout bon disque de rock'n'roll qui se respecte. Sa signature sonore est tellement forte qu'elle transcende tous les styles, ses disques instrumentaux, acoustiques ou lorsqu'il se met en tête d'assurer à lui seul tous les instruments, ce qui est le cas de ce nouvel album. Un petit bijou desert-rock à découvrir sans réserve !
Relativement méconnu de ce côté-ci de l'Atlantique, Jason Isbell peaufine patiemment son art, en compagnie de son groupe fétiche The 400 Unit, depuis 2007, date à laquelle il a quitté les Drive-By Truckers. Treize années d'un long apprentissage en solo pour arriver à ce résultat, et quel résultat : « Reunions » est un grand album ! Emprunt des grands espaces, la musique respire le long des magnifiques arpèges acoustiques (cf. « Dreamsicle » ; « Only Children ») parfois relevés de guitares électriques (« Overseas »). Aéré et aérien, il se dégage quelque d'aussi évident qu'intemporel de cet album, enregistré avant le confinement mais dont le titre d'ouverture « What've I done to help » résonne étrangement prémonitoire. Excellent.
Ouh là là, mais que se passe-t-il ? Sorte de Pee-Wee Herman du rock, le regard un tantinet triste et la voix haut perchée, Pokey LaFarge était jusqu'à présent un zébulon, un type à l'humour désabusé dont le charisme faisait des ravages en concert. Le voilà à présent de retour avec son album le plus désespéré à ce jour. Il suffit pour s'en convaincre de lire le tracklisting : « End of my rope », « Fuck me up » et on en passe des « Fallen Angel »… La cause ? Un déménagement catastrophique à Los Angeles et la vie de patachon et d'excès en tous genres qui en découle. Chronique d'un drame annoncé, la vie dans la cité des anges... Probablement trop pour le natif de Saint-Louis qui s'est perdu en route. Mais qui, question musique, n'a certainement pas perdu le nord ! Brillant dans un style swing vintage (l’irrésistible riff de piano bastringue de « Fuck me up » ; « Bluebird ») Pokey LaFarge nous offre une collection de torch-songs entre chien et loup (« Lucky Sometimes »), solide de bout en bout et porté par cette étrange dichotomie : textes noirs sur musique lumineuse (cf. « Just the same »). Une manière de country-folk, inspirée par le jazz, arrangée à grandes lampée de cordes mais qui a gardé un fond sec et aride. Excellent, une fois de plus.
Le groupe chicagoan (sans aucun rapport avec David Lynch) que l'on avait connu autrefois pourvoyeur d'un rock garage déchaîné met la pédale douce sur son nouvel effort, le quatrième du groupe. Toujours ancré dans les années 1960, la musique de Twin Peaks semble avoir mis le cap à l'ouest, la Californie dans un endroit imaginaire, rêvé par le groupe, quelque part entre Haight-Ashbury (San Francisco) et Laurel Canyon (Los Angeles). Plein de jolies mélodies à reprendre en coeur ce nouvel album fait de la place à de nouveaux instruments, tel que le piano (acoustique comme électrique), et à des harmonies vocales à faire pâlir d'envie qui vous savez. Posé, calme et relaxant, acide et psychédélique, ce nouvel album a pour modèle esthétique des formations telles que Crosby, Stills, Nash & Young ou Moby Grape, autant de groupes légendaires dont Twin Peaks reprend le flambeau avec classe et inspiration. Excellent.
Bien souvent, le rock garage/psychédélique rime avec années 1960, pédale fuzz et orgue Farfisa. Rien de tel avec ce premier album du groupe Les Attitudes Spectrales qui a gardé certes un peu des sixties dans sa musique, mais lorgne surtout vers les années 1990, pour aboutir à ce genre hybride à mi-chemin du grunge, du shoegaze et du garage psychédélique. Mais, surtout, Les Attitudes Spectrales font abstraction du blues et du groove black (une composante essentielle du garage) pour un déluge de larsen guitaristique sur une scansion de la batterie au bord de l'infarctus. La différence est énorme ! Il faut dire que l'affaire est rondement menée et riche de tubes en puissance (« Faces Dissolve » ; « Meat and Flies ») et sonne comme si la troupe de Riga (Lettonie) s'était amusée à vitrioler d'innocentes chansons pop (« It Glows Behind the Trees »). Lorsqu'on accepte de s'y abandonner, la tornade ayant actuellement cours dans les enceintes recèle son lot de beauté, dérangée et hypnotique. Enfin, le disque est disponible en vinyle dans une sublime finition verte/bleue marbrée.
En dépit de l'arc-en-ciel psychédélique qui orne la magnifique pochette, Lilly Hiatt nous offre un pur moment d'americana avec ce nouveau disque. Par americana, on signifie qu'il s'agît là d'un disque intrinsèquement américain dans tout ce que cela suppose de brassage de styles. L'essence en serait le folk et la country (magnifique « Walking Proof » ; « Drawl ») ce qui n’empêche nullement un tonnerre de guitares rock'n'roll de se déclencher fort à propos (cf. « P-Town » ; « Some kind of drug ») où quelques escapades pop de bon aloi (« Little Believer », la superbe « Candy Lunch ») ; le tout sans jamais perdre des yeux l'horizon désertique et la poussière qui se soulève qui caractérisent si bien la musique outre-Atlantique, sous la forme d'une lap-steel délicate à l'oreille. Un éclectisme parfaitement incarné par la chanteuse qui module sa voix à l'envi, quitte à forcer un peu sur les titres les plus durs. Il faut dire que la fille du grand John (crédité sur « Some kind of drug » ce dernier fait une apparition fantomatique) a de qui tenir ! Varié et excellent de bout en bout.
L'obscur collectif breton est de retour avec ce nouvel EP et il est fascinant de constater à quel point le pouvoir d'attraction du groupe reste puissant. Ecouter Le Groupe Obscur, c'est instantanément être emporté dans une spirale hypnotique bercé par ce chant de tête, dans cette langue inventée pour l'occasion : l'obscurien. Aux accents acoustiques, inhabituels, de la première plage « Fhëmë » répondent les échos d'une cold wave lente (« Violansor » ; le triptyque « Pondecen ») évoquant le lointain héritage des Cocteau Twins et mettant en valeur leur savoir faire mélodique. Et au fil des titres, l'évidence se fait jour. Le Groupe Obscur est une exception dans ce monde standardisé, de clichés prémâchés. Et c'est précisément pour cela qu'on l'aime. Pour cette capacité, rare, à entretenir le mystère et la part de rêve qui en découle, nécessaire à toute création qui se respecte. Le Groupe Obscur c'est une part d'imaginaire qui s'infiltre dans notre quotidien remplis d'écrans et la cruelle réalité que ces derniers nous rejettent, chaque jour, en pleine face. Et pour toutes ces raisons, la seule chose à leur adresser est un grand merci.
Fine fleur du blues hexagonal, guitariste inspiré et soulful, Fred Chapellier aura vécu une drôle d'année 2018 avec la parution de deux albums et l'annonce de l'arrêt de sa carrière solo. On a bien dit « solo » car le bonhomme reste toujours actif, derrière d'autres. Petit focus.
Fred Chapellier plays Peter Green Live Recording.
Mais avant de tirer sa révérence (en tant qu'artiste solo, on insiste) il convenait pour Fred de rendre hommage à un musicien cher à son cœur : Peter Green, guitariste de Fleetwood Mac. Ce dernier aura accompagné Fred toute sa carrière, son répertoire consistant un corpus de choix dans lequel il est facile de puiser moult reprises, égrainées régulièrement sur scène au fil des années. C'est ainsi, au cours de discussions avec les spectateurs d'après concert, que Fred a réalisé l'impensable : Green, malgré son statut iconique restait un « musician's musician », un type essentiellement connu des exégètes, une référence pour d'autres guitaristes (dont certains largement plus connu que lui) mais, aussi, un artiste de l'ombre assez méconnu du grand public. Et c'est ainsi que cet album est né, avec la volonté de remettre la lumière sur le répertoire de Peter Green. Une fine équipe de musicien l'accompagne dont les chanteurs Leadfoot Rivet et Ahmed Mouici (un ex-Pow Wow), un signe du désengagement à venir du musicien vis à vis du chant. Concernant le répertoire Chapellier s'est concentré sur une période très précise de trois années, ne reprenant que des titres enregistrés entre 1967 et 1970. Et c'est là l'occasion de quelques surprises « Black Magic Woman » et « Oh Well » que l'on croyait sans peine pouvoir attribuer à d'autres sont en fait des reprises de Peter Green ! L'album voit Chapellier et son groupe évoluer sur un fil, qui relève de la gageure : imposer sa patte personnelle sur les compositions tout en restant proche des versions originales, ce qui reste essentiellement une histoire de feeling et de ressenti. Pour le reste, Chapellier et son groupe nous transportent littéralement dans ces années magiques dans un geste musical de grande classe débordant d'émotions et d'âme. Une petite heure de bonheur intégral pour qui aime le blues.
Fred Chapellier & The Gents featuring Dale Blade : « Set Me Free »
La décision, évoquée plus avant, de Fred Chapellier d'abandonner le chant étant surtout motivée par le fait de retourner au rôle préféré du guitariste : écrire, composer et se concentrer sur le placement de sa guitare ce qui a pour conséquence finale d'élever le niveau de jeu et d'exigence musicale du musicien (comme si cela était possible!) Un rôle qu'il connaît bien, tenu en concert auprès de Jacques Dutronc, ce qui l'a amené a monter sur scène avec les Vieilles Canailles : Eddy Mitchell et Johnny Hallyday ! Encore faut-il pour cela trouver l'alter ego, le chanteur capable d'incarner vocalement l'ambition débordante du guitariste. Et cela sera fait en la personne de Dale Blade, natif de la Nouvelle-Orléans ayant baigné toute sa vie dans la musique, rencontré pendant une jam au Cahors Blues Festival en 2014. Autre avantage : Blade peut tout chanter, ce qui permet aux guitariste d'aborder de nouveaux genres musicaux (sans toutefois trop s'éloigner du blues, du rock'n'roll et du rhythm'n'blues) et apporte en sus le supplément de crédibilité qu'il est tant difficile d'atteindre pour les francophones tentant le chant en anglais. Et l'association de malfaiteurs fonctionne au-delà des espérances ! Un magnifique album !
Contrairement à l'affirmation péremptoire du titre, après huit années sans album, on a bel et bien cru que s’en était fini de The Hyènes... Un retour en petite foulée, le temps d'un nouvel EP composé de trois nouvelles chansons et de deux reprises. Un changement de personnel (Jean-Paul Roy n'apparaît que sur un titre) plus tard et le groupe mène grand train le rock'n'roll ; sur un mode légèrement différent. Moins frontalement punk que son prédécesseur, ce nouvel EP se pare de nouvelles teintes sombres (« Plus dark que Vador ») où la tension qui anime le groupe apparaît masquée derrière des accents cold (« Ça s'arrête jamais »). Ainsi, la musique est tendue, sur un fil qui menace de se briser à tout moment (« S'il avait fait beau »). Le groupe joue sur la retenue, et les nerfs de l'auditeur, en attendant l'explosion brutale des décibels. Un court mais toutefois impressionnant exercice de colère rentrée en attendant un album en bonne et due forme.
Plus qu'un album, Archie Lee Hooker (le neveu du John Lee du même nom) nous offre une odyssée musicale, sa propre histoire mise en musique, les chansons sont régulièrement entrecoupées d'intermèdes parlés où Archie nous conte son passé, les hauts et les bas de la vie dans la plantation ou l'hommage vibrant à son oncle John, de sa voix traînante cabossée par les ans. Et il en a des choses à raconter Archie depuis son départ des plantations du Mississippi à l'age de 13 ans (en 1962) : de son initiation au blues par son oncle John Lee en 1989 jusqu'à ce premier album sorti pratiquement trente ans après ! Et entre les deux, c'est du caviar ! Le geste musical se révèle de grande classe, soulful, souvent acoustique sans pour autant occulter l'électricité, pratiquant un groove euphorisant et entraînant. L'album bat en brèche une conception du blues considéré comme une musique triste et dépressive et, en ce sens, sublime les conditions, forcément difficiles, de sa gestation. Excellent !
Originaire de Caroline du Nord, comme un certain Ryan Adams, American Aquarium propose une relecture crépusculaire du folk et de la country, le tout teinté de rock'n'roll. Les fantômes affluent à l'écoute de la musique, impossible ainsi de ne pas retrouver des échos de Bruce Springsteen dans le chant, enfin le Bruce acoustique et minimaliste de « Nebraska » (cf. « Me + Mine »), voire de Steve Earle lorsque le groupe lache les chevaux (cf. « Before the dogwood blooms » ; « The Luckier you get ») ; car, n'en déplaise le titre, tout n'est pas que lamentations sur fonds de guitares arpégées dans ce disque. Bercé par la caresse langoureuse de la lap-steel, le groupe évoque en sons et en mélodies, une image de la ruralité étasunienne telle que l'on aime à la fantasmer par ici ; provoquant ainsi moult images mentales chez l'auditeur. Pourtant, du début à la fin du disque, le groupe réussit à maintenir vivace une pointe de tension soujacente, comme un ciel trop lourd avant que l'orage ne déchire l'air. Très réussi.
Musicien accompli, Difracto a débuté par la basse et le saxophone avant de plonger la tête la première dans le grand bain de l'électronique. Aujourd'hui le musicien aborde la musique électronique comme une expérience sensitive où lumière, images (sa scénographie sur scène est très étudiée) et musique se complètent. Sur disque, l'expérience se révèle moins forte, forcément, mais ce nouvel EP happe littéralement l'auditeur dans les échos envoûtant de chœurs fantomatiques et de rythmes saccadés desquels s'échappent une forme de groove abstrait et fracturé. Les structures mouvantes éloignent le musicien des compositions classiques. Il s'agît là d'une forme de beauté aux accents expérimentaux réclamant l'abandon de l'auditeur. A écouter les yeux fermés.
Quel étrange duo que voici, composé du guitariste Popy (No One is Innocent) et du batteur Brice ! Alors que tous les indicateurs pointent vers une électro-rock de bon aloi, avec une vague connotation 1980s (cf. « Dark Monsters »), Dukes of Paris se révèle un véritable de rock dont les arrangements synthétiques visent surtout à faire bouger les hanches des auditeurs (« Dance »), répondant à l'injonction du titre, provoquant en soi la même excitation qu'un vieil album punk. Et le tout chanté en français, le fait est assez rare pour être souligné. Redoutable et d'une efficacité à toute épreuve, même si plus destiné au live qu'à une écoute domestique, la chose fait toutefois du bien en temps de confinement…
N'en déplaise son titre ou la magnifique pochette qui l'orne, le plus coquet dans ce nouvel EP reste bel et bien la musique ! La chanteuse s'inscrit dans cette veine jazz vocal qui a le vent en poupe depuis le début des années 2000. Comme à son habitude le disque voit Hailey Tuck alterner compositions personnelles et reprises, dont « Juste quelqu'un de bien » dans la langue de Molière svp, probablement un héritage de ses années passées à Paris. Mais son grain de voix de tête ne s'arrête pas au jazz pour également explorer d'autres horizons entre pop, folk et americana (la très belle ballade « Seabird »). Le tout constitue la bande originale idoine pour se laisser aller à la rêverie en se laissant bercer par le swing doux et raffiné, le temps de la parenthèse délicate et enchantée que constitue l'écoute de ce nouveau mini effort.
Guitare, mandoline, contrebasse : le parti-pris acoustique de l'EP constitue le charme immédiat de la musique, à la fois délicate et chatoyante. Le folk constitue le cœur du groupe mais n'exclut pas quelques clins d’œil vers le blues par le biais d'une guitare slidée avec bonheur (« Light in the dark ») ou des accents pop (« We are ») et blues rock (« Drive it ») ; évitant à la formation l'illusion de la relecture du passé. Et même si le fantôme de Nick Drake cogne à la porte (« Happy I am »), Gabriiel produit une musique d'aujourd'hui au charme plus intemporel que passéiste. Beau et apaisant.
Allez, on peut bien l'avouer maintenant, on n'a jamais été trop portés sur Popa Chubby jusqu'ici. A l'image de l'un de ses, nombreux, surnoms « The Beast from the East » n'a jamais fait dans la dentelle (avoir une érection est la traduction de l'expression argotique « pop a chubby » qui a inspiré son patronyme). Le lourd et le gras seraient plutôt les deux mamelles de la musique de Chubby qui a longtemps incarné une version plutôt rock, aux accents métalliques, du blues. Un manque de finesse caractérisé par les doigts d'honneur en pagaille qui lui ont un temps servis de signature visuelle dans un geste assez peu élégant.
Et pourtant, l'âge aidant, une certaine forme de sérénité s'est emparée du musicien. Un changement de cap qui s'est fait sentir à l'époque de son album hommage à Jimi Hendrix (« Electric Chubbyland », 2006) et qui se confirme pour le New-Yorkais qui reste sur deux excellents albums de haute volée. Focus.
Sorti en 2017, « Two Dogs » fait montre d'un feeling à toute épreuve (« Cayophus Dupree ») et d'une ambition musicale revue à la hausse des hendrixien (on y revient toujours) « Two dogs » et « Me won't back down », la pédale wha wha dans le rouge, aux cuivres chauffés à blanc de « Preexisting Conditions » ; du shuffle (cf. « Rescue ») au boogie (cf. « Chubby's Boogie ») ainsi que les nombreux accents soul (« Dirty old blues », « Shakedown »), la variété de styles abordés ne font que souligner la maîtrise du musicien au sommet de son art et désormais à l'aise dans tous les contextes y compris acoustiques, cf. la très belle ballade mid-tempo mi psychédélique « Wound up getting high » où le chanteur évoque Elliott Murphy ! L'acoustique en l’occurrence est un signe de l'apaisement de l'artiste, qui a réussi à canaliser sa colère revendicatrice en créativité musicale. Seul accroc de cette solide collection de chansons, les deux reprises inutiles placées en bonus dont celle d' « Hallelujah » (Léonard Cohen) loin de rivaliser avec celle, inoubliable, du regretté Jeff Buckley. Pour le reste, c'est du tout bon !
En 2020, Popa Chubby à des choses à fêter : 30 ans de carrière et son retour sous les fourches caudines du label Dixiefrog après cinq d'absence ! Et un excellent nouvel album pour fêter cela, « It's a mighty hard road », le tout emballé dans une magnifique pochette signée Ben Hito (comme d'habitude) et accompagné d'une superbe série de photos prises dans Greenwich Village pour orner le livret. Et oui, pour fêter ses trente ans de carrière Popa Chubby a décidé de se retourner sur son passé et sa ville, depuis toujours, New York City. Ainsi, le regard quelque peu nostalgique qui se fait jour (« It's a mighty hard road ») est aussitôt contré par une vision positive (« Let love free the day », « More time making love », « The best is yet to come ») ; le tout confirmant la quiétude nouvelle du musicien, toujours aussi mordant par ailleurs (« Buyer Beware » ; le survolté mais canalisé « If you're looking for trouble » ; « I'm the beast from the east »). Moins diversifié que son prédécesseur, évoqué plus tôt, ce nouvel effort se veut plus direct et ancré dans le blues, enregistré en petit comité, où les guitares et le piano véloce se disputent la part du lion. Inspiré et soulful, l'album se permet quelques pas de côté, des clins d'oeil vers la soul langoureuse (« Let Love free the day » sous influence Barry White!), la délicatesse du jazz ("Lost Again") ou le reggae ("Enough is enough"). Mais surtout la proposition musicale est suffisamment évocatrice (cf. le merveilleux instrumental « Gordito ») pour transporter l'auditeur dans les rues d'un New-York fantasmé ne ressemblant plus guère à la ville d'aujourd'hui. Donnant autant envie de se lover que de taper du pied, ce nouveau disque confirme la vitalité du musicien, donnant enfin la pleine mesure de son talent, en pleine possession de ses moyens.
La cassette audio (K7 comme on disait à l'époque), d'un rose bonbon du plus bel effet, evoque les années 1980. C'est pourtant une décennie plus loin, celle des années 1990, qu'il faut pousser le fast forward quand on pense à la musique d'Unschooling. Et cette dernière est loin d'être aseptisée ou innocente comme la couleur rose pourrait nous le faire croire. Organisé autour de Vincent Février, Unschooling, un des multiples projets parallèles de MNNQNS, est issu de la bouillonnante scène normande actuelle et, pour paraphraser un autre membre éminent de la même scène, « Kids are lo-fi » définit assez bien le son de la formation. Lo fi, et do it yourself, sont les deux rouages de la mécanique (artisanale bien sûr) mise en place par le groupe pour broyer à peu près tout ce qui se trouve à sa portée du (post) punk au rock garage et psychédélique, dérives bruitistes à la limite de l'expérimentation à la clef. Inutile de rechercher un vinyle, un support bien trop branché pour une proposition aussi radicale, la cassette audio est le seul support physique disponible pour cet album. De quoi renforcer ce petit je ne sais quoi rendant la chose difficile d'accès de prime abord mais envoûtante pour qui ose s'y abandonner.
En intitulant son troisième album de son seul patronyme, Michael Kiwanuka nous donne une indication : avant d'écouter ce disque, il convient d'oublier tout ce que l'on connaissait de lui avant : les jolis arpèges de guitare acoustique, le délicat mélange de soul et de folk, c'est (presque) terminé tout cela (cf. « Piano Joint » ; "Light"). « Kiwanuka » (le disque) est peut-être bien l'oeuvre la plus personnelle de son auteur, une redéfinition totale, un jardin secret où le musicien se livre et tends les clefs de son univers à l'auditeur. Et ce dernier est des plus contrasté, un grand écart entre la soul bien sûr (les regrettés Bill Withers et Curtis Mayfield en tête), des guitares aux accents rock très électrique ("Hard to say goodbye") et, plus étonnant, des éclairs psychédéliques dignes de Pink Floyd (« Rolling » ; « You ain't the problem ») ; le résultat sonne comme une improbable jam session avec Jacco Gardner. Dense et touffu, l'album occupe quatre faces dans sa version vinyle. Et se révèle passionnant de bout en bout. Comme quoi, il y a au moins quelque chose qui ne change pas chez Michael Kiwanuka.
Voilà un disque qui nous arrive comme par surprise et enchantement. Ainsi du mystérieux Eamon'Ra on ne savait avant l'écoute et pas grand-chose de plus après, si ce n'est l'essentiel, le type est talentueux ! Les crédits indiquent The Plastic Eamon Band (ah ah!) qui en fait se constitue d'Eamon (guitare, basse, mellotron) et de différents batteurs qui se succèdent. Mais le patronyme ne fait que confirmer l'influence Beatles sur l'ensemble (« Future History »). Mais du Beatles ascétique, mêlant écriture power pop et garage psychédélique (cf. l'abrasif « Waiting for the morning » ; « Simple but so complicated »), sublimant les moyens limités par une écriture raffinée et une interprétation inspirée et soulful (cf. l'acoustique « Nightingale »). Concentré et allant à l'essentiel (28 minutes chrono), l'album, sans fioriture excessive, charme indéniablement, et sonne comme une invitation à partager l'intimité de sa création. La démarche favorise l'imaginaire et l'auditeur se prend à rêvasser du basement où la chose a, très probablement, été enregistrée. Envoûtant ! Enfin la photo de la pochette a été prise dans un magnifique cabinet de curiosités et le disque est accompagné d'un chouette comic book.