samedi 3 mai 2014

Rencontre avec Cleo T.


 


 
C'est par une belle après-midi ensoleillée d'été indien que l'on fait connaissance avec Cléo T. Jeune artiste à l'univers foisonnant, cette dernière tient un discours passionnant et érudit, parsemé d'influences picturales (cinéma, peinture) où reviennent régulièrement les mots « magie » ou « magique ». Rencontre avec Cléo de « 5 à 7 »...
 
Le visuel est très important dans ton univers artistique, donc j'imagine qu'un premier clip est une étape importante...
Cléo T. : C'est vrai, c'est pour ça qu'on travaille avec une équipe assez complète, on a une styliste qui crée des pièces, un photographe qui imagine des images... Je fonctionne beaucoup comme ça, même pour écrire de la musique. Tout est lié à des couleurs, des photographies mentales. C'est un moment clé. Je suis très influencée par le cinéma et la peinture, qui est un encrage majeur pour moi. C'est très intéressant de voir comment je vais me traduire en visuel, en images, en rythme graphique.

Comment décrirais-tu ton identité visuelle ?
Cléo (réflexion, silence) : Attends, c'est très compliqué cette question... Je dirais d'or, d'obscurité, de spleen et d'idéal. En citant Baudelaire à la fin. Je pense que mon univers est très expressionniste, proche de Klimt. Il empreinte autant au surréalisme qu'au symbolisme par les intrusions de l'irréel dans le réel. Toutes les traces de magie que l'on peut saisir. J'aime beaucoup le doré et la couleur or qui était utilisée pour les icônes et récupérée par l'art nouveau. Mon visuel c'est comme une capture pour cristalliser quelque chose de sacré dans une image instantanée.

Quelle saison mettrais-tu sur ta musique ?
Cléo : Le printemps. Je suis quelqu'un des grands extrêmes. Le printemps c'est cet instant magique où toutes les fleurs que tu croyais mortes et ratatinées par l'hiver reprennent vie comme si il ne s'était rien passé. Les arbres se réveillent toujours de plus en plus beaux et grandis. Le printemps te donne une raison de croire en la magie. La vie revient entièrement dans quelque chose qui n'existait quasiment plus...

Une couleur pour définir ta musique ?
Cléo : L'or. C'est pas une vraie couleur, je sais, je triche (rires)... C'est la couleur de l'immatériel, c'est ça que je trouve très beau.

Quel est le meilleur moment de la journée pour écouter tes disques ?
Cléo (pensive) : C'est dépend si on est du soir ou du matin. Très tard dans la nuit ou très tôt dans la journée, c'est en fonction du rythme de chacun. Je pense que le meilleur moment c'est celui où on est un peu en décalage. Soit par ce qu'on rentre très tard et que les gens sont déjà partis. Ou quand tu te lèves très tôt en surprenant tout le monde et en croisant les noctambules. Ces instants de transitions, là je pense que c'est le bon moment.

Ta chanson « We all » est présente sur les deux Eps, c'est ton titre emblématique ?
Cléo : Elle sera même sur l'album figures-toi (rires) ! Oui, complètement. Les deux eps annoncent l'album qu'on a enregistré entre 2010 et 2011 et qui n'est pas sorti. Il faut avoir conscience qu'aujourd'hui, un premier album pour un artiste qui vient de nulle part, c'est long pour le faire exister. On a eu la chance d'avoir collaboré avec de grands Messieurs comme John Parish (producteur de PJ Harvey, ndlr) ou Robert Wyatt (leader des mythiques Soft Machine, ndlr), qui m'a écrit une poésie pour que je la mettes en musique sur l'album. Par rapport à eux, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire exister le disque proprement. Pas juste le sortir comme ça. C'est un long travail. Le public patiente un peu. Nous aussi. Le disque sort dans différents pays avec des partenaires un peu disséminés. On a un parcours iconoclaste, absolument pas traditionnel. Le disque sort à l'étranger avant de sortir en France. Les eps c'est une stratégie pour préparer la sortie du premier album. C'est pour que les gens nous connaissent, connaissent notre musique. On prépare le terrain. C'est dur de faire sortir un album. Ça prends du temps mais je pense que c'est du temps de gagné.

Je voulais justement te parler de John Parish, c'est un personnage légendaire. Comment tu l'a rencontré ? Quel a été son apport ?
Cléo : Il est formidable ! Déjà c'est un ancrage de confiance. C'est dur quand on écrit tout seul. On ne sait pas du tout ce qu'on fait, on marche à l'aveugle. John m'a suivie depuis ma première démo seule au piano avec mon oiseau qui chante derrière. Il a tout écouté. Ça a été un guide qui m'a accompagnée assez silencieusement. John est quelqu'un d'assez silencieux, majestueux et solennel. C'est un port d'attache, quelqu'un de confiance qui marche à mes côtés. Du coup j'ai pu arriver à l'album en sachant qu'il y avait quelqu'un derrière qui allait capter les bonnes choses. C'est dur d'enregistrer la musique. On a tout enregistré en live, c'était mon envie, sans jamais rien retoucher aux chansons. Et John c'est la personne qui était là pour capturer le moment. L'essence d'un morceau peut tout aussi bien se perdre. Tu peux recommencer tant que tu veux, jouer très bien, garder une prise parce que la guitare est mieux et au final tu n'auras pas la chanson. John réussit à créer les conditions pour garder l'essentiel. Moi j'adore l'album, parce que c'est mon premier et aussi parce que John a capturé qui je suis à ce moment là. C'est un fragment de moi et de ma vie. Je lui dois beaucoup. Je trouve ça superbe.

C'est presque de la photographie non ?
Cléo : Oh oui, c'est de l'image instantanée. C'est ce que j'aime aussi dans le cinéma de Lynch par exemple. Cette sensation de capturer un instant. Comme dans les rêves. T'as des fragments de rêves qui sont tellement concrets. Et après dès que tu veux le raconter à quelqu'un tu ne trouves pas les mots. C'est pas possible. Pourtant l'image à l'intérieur de toi elle est très claire. Cet album c'est un peu ça pour moi.

Et Robert Wyatt ?
Cléo : J'ai chez moi un vieux secrétaire dans mon entrée qui recèle toute une correspondance très rigolote que j'ai avec Robert Wyatt depuis 4 ou 5 ans. J'ai commencé à lui envoyer mes chansons, mes textes. Je lui avais donné une vieille démo quand je l'avais rencontré. Il m'a appelé et m'a laissé un message complètement lunaire. Il avait reçu plein de démos et avait mis six mois pour tout écouter. La mienne lui avait beaucoup plu et il voulait me parler. On avait eu un échange magnifique. Il m'avait parlé des oiseaux migrateurs, des particules dans l'air et de tout ce qui nous constitue. Depuis ce moment là on n'a pas arrêté de s'écrire. On s'est envoyé des dessins, des collages, des petits poèmes, des choses comme ça. D'avoir ses retours sur mes chansons c'était extrêmement important et très touchant. Et donc il m'a envoyé une enveloppe vide avec écrit au crayon de papier dessus un texte qui racontait notre histoire imaginaire et la manière de le mettre en musique. C'est devenu une chanson de l'album.
 
On parle de John Parish et de Robert Wyatt mais finalement ta musique n'est pas très rock...
Cléo : En fait je pense que je suis à la croisée de pas mal de choses. Sur scène notre concert est assez punk. Dans l'énergie ça va plus loin que le rock.

Je l'ai senti sur « We all », il y a une accélération de guitare sur la fin...
Cléo : Oui. Mais en concert on est très proche du cabaret, quelque chose de très électrique. J'aime beaucoup l'idée que la musique soit polymorphe car en fait elle vit avec nous, elle évolue tous les jours. Ma musique est très versatile, un peu comme moi. Elle peut aussi bien aller dans la chanson populaire. Il y a des morceaux très rock mais sans vraiment appartenir à la scène rock. C'est un peu curieux c'est vrai (sourire). Moi j'ai écouté beaucoup de musiques différentes. L'industriel par exemple. Je suis une très grande fan de Einstürzende Neubauten. De Schubert aussi. Dans toutes ces choses que j'aime pour moi il y a un sentiment commun que j'arrive à reconnaître. Comme un herbier personnel. Gustav Mahler et Screamin' Jay Hawkins côte à côte (sourire).

Ce que je trouve génial c'est qu'on entends aucune de ces influences sur le disque (rires)...
Cléo (rires) : C'est vrai ! C'est un peu curieux, parfois tu te dis on va faire une chanson un peu comme ça et puis en fait ça ne marche jamais. Je ne sais pas le faire. J'aime tellement de choses différentes, je suis une grande fan de free jazz, Charlie Haden et tout... En plus je ne suis pas une musicienne instrumentiste qui peux te composer des chansons « à la manière de ». Je trouve assez magique d'accepter à un moment donné que tu fais la musique que tu peux faire. Le vrai travail c'est de rester juste par rapport à toi-même et ton expression. Moi-même je suis assez souvent surprise quand j'écoute mes chansons. Le résultat est toujours différent de ce que tu espères. Je trouve ça assez beau. Tu donnes vie à quelque chose qui est une partie de toi mais que tu ne contrôles pas. Le pari est là : il faut s'auto-hypnotiser et voir ce qui va en ressortir sans volonté véritable. Ne pas chercher à faire un truc un peu blues par exemple. Donc je digère tout ça et après je me « check up » (rires). Les choses ressortent et je ne sais pas trop comment...

Tu voyages beaucoup, tu fais une carrière européenne. Ce n'est pas donné à tous les artistes français, notamment à Londres qui est en général une destination assez compliquée...
Cléo : C'est vrai, on a de la chance. C'est même curieux quand on regarde la liste de nos concerts, on est plus souvent à l'étranger qu'en France. Ça devient bizarre. Et je ne sais pas quoi à c'est dû. J'ai des points d'accroches à l'étranger, chaque année on fait 25 dates en Italie et peut-être deux concerts en dehors de Paris. C'est assez disproportionné. Je ne sais pas... Pour moi c'est naturel, nous on va là où il y a des gens qui ont envie de nous écouter. Ce n'est pas forcément volontaire de s'exporter. On fait des rencontres et après quand on nous fait une proposition et bien on y va. Là cette année on va être beaucoup en Allemagne, en Italie et en Angleterre.

Tu aimes la vie en tournée ?
Cléo (affirmative) : J'adore ! On a un superbe camion en général jaune assorti à mon canari, mais par contre le canari ne vient pas (rires) ! Ca a le cœur fragile ces petites bêtes ! L'enregistrement ce n'est qu'une toute petite partie de mon travail. Moi, ce que j'aime c'est jouer, je suis quelqu'un du spectacle vivant. J'aime cette vie de bohème. Trois mois par an, on dort à six dans un gros fourgon, on campe un peu partout, on joue 22 concerts en 23 jours, on rentre puis on repart. C'est fantastique. Ça permet de te décentrer. Quand tu es de Paris et que tu joues en ville, tu as un rapport particulier. On arrive au fin fond de la Sicile dans des villages perchés en haut des montagnes, les rues sont désertes à 20 heures et à minuit il y a plein de gens qui arrivent voir ton concert. Ils ne te connaissent pas. Tu arrives dans l'arène. Les spectateurs sont là : « Ok, qu'est-ce que tu as à nous montrer ?». C'est magique. Des rencontres complètement pures. L'échange est fantastique. Des vrais parcours initiatiques musicalement et humainement.

Tu apprends aussi sur toi ?
Cléo : Ah oui ! C'est fantastique ! On rencontres des gens. Les gens qui nous accueillent, c'est assez génial. En Allemagne on s'est retrouvé à jouer sur un navire de guerre est-allemand qui a été récupéré par un groupe d'anarchistes qui naviguent entre Amsterdam et Hambourg, c'est des gens insensés. Tu as beaucoup de choses à apprendre. C'est une vraie chance, grâce à la musique, de rencontrer et d'apprendre d'autant de gens. C'est fascinant. C'est très fatiguant aussi et pas excellent pour la santé (rires) !


 

Quand je t'écoute, je trouve que tu as une façon de chantée très expressive, passionnée et lyrique...
Cléo : C'est mon côté italien ça. C'est du théâtre. Moi tu sais, je suis comme un oiseau, je me lève, je chante. Depuis que je suis petite (rires) ! C'est en moi.
 
Que faut-il pour poursuivre un rêve artistique comme le tien ? Du courage ? De l'abnégation ?
Cléo : Beaucoup de foi. J'ai été bien dotée, j'en ai en grande quantité. Pas dans le sens d'acharnement. Pourquoi on fait ce qu'on est en train de faire dans notre vie ? A partir du moment où tu te poses la question, ça devient compliqué. Moi je marche. J'avance. Après dans le détail, il faut beaucoup de courage, de la persévérance, de la santé, par ce que les tournées c'est costaud.
 
Tu doutes parfois ?
Cléo : Tout le temps. Il le faut. Je suis très versatile. J'aime marcher sur les précipices. Quand tu acceptes de descendre très très bas ou au contraire de monter sur des crêtes très arides, tu peux toucher à des sensations uniques. Il faut savoir se remettre très violemment en question, ouvrir son cœur et regarder dedans. Sans avoir honte ou peur. En l'acceptant. C'est sur que c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire et que là c'est parce qu'il fait beau et que j'ai passé une excellente journée (rires) ! Il y a des fois c'est beaucoup plus compliqué. Mais c'est cette intransigeance par rapport à toi qui est nécessaire. Parfois tu trébuches mais il faut se relever.
 
Et que faut-il pour monter sur scène, de l’exhibitionnisme ?
Cléo : Du whisky déjà, c'est très important ! (rires). Après des supers musiciens, et moi j'ai une équipe en or. Il faut beaucoup de confiance et beaucoup d'amour. Et beaucoup de désir. En même temps c'est tellement excitant la scène que tu en as forcément.
 
Un petit mot sur le cabaret pour finir ? Je crois que c'est une influence importante pour toi ?
Cléo : J'adore. Je suis quelqu'un du théâtre aussi. J'adore le spectacle. Ce que j'aime dans le cabaret c'est la scène : il s'agît d'un petit lieu clos dans lequel on peut créer un espace magique. A l'intérieur on peut partir n'importe où. C'est ce qu'on essaye de faire avec notre spectacle, créer une sorte de micro-temple dans lequel toutes les folies possibles peuvent arriver. Et j'aime l’exubérance du cabaret, j'aime la folie. J'aime surtout la volonté affirmée de ne pas être dans le réel. Ça ne m'intéresse pas trop moi d'être un miroir de la réalité. J'aime l'idée d'être en danger et d'aller chercher loin des choses. Je pense que c'est le meilleur moyen de toucher les gens.
 
Tu utilises souvent les mots « magie » ou « magique » ?
Cléo : C'est parce qu'il fait beau (rires) ! En même temps ce sont de très jolis mots. Je trouve que la musique c'est de la sorcellerie. Un rituel dans le bon sens du terme. D'ailleurs dans plein de sociétés la musique est utilisée comme un accessoire de la magie. C'est forme de transe pas forcément dans le sens rythmique. Mais la musique à cette puissance d'invocation d'ouvrir des portes vers d'autres endroits, pas forcément réels d'ailleurs. Je ne pense pas que l'on entre dans une autre dimension en venant me voir en concert. Mais je pense que chacun dans son rapport à la musique peut avoir accès à de l'invisible. Pour moi, c'est le processus de l'art. C'est pour ça que j'aime la peinture, je suis comme aspirée par la couleur. Et on en revient avec des choses fantastiques dans les yeux et dans la tête. Et ça c'est magique (rires) !
En concert le 26 mai à Paris (le divan du monde 1ere partie Gabby Young & Other Animals)
Propos recueillis le 23 septembre 2013.
Un grand merci à Cléo pour sa gentillesse et sa disponibilité.
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