Un harmonica croise le battement lourd et ténébreux de la batterie, rien d’anormal vous venez de pénétrer dans l’univers baroque de Jacob (a.k.a Jaypee & The Cannibal Orgasmic Band) ! Autrefois artiste solo, Jaypee-Jaypar a décidé de transformer son projet en formant un véritable groupe. Une sacrée bande de cintrés aux contours fuyants où la voix caverneuse, intrinsèquement métallique, du chanteur fait le grand écart entre le blues et le heavy métal, de quoi faire bondir les puristes d’une esthétique comme de l’autre (cf. « Son of bitch » qui lâche les décibels après une intro acoustique) ! Sans oublier de mentionner que le folk fait aussi partie des préoccupations principales du groupe, qui compte une violoncelliste dans ses rangs, flirtant avec la country (la très réussie « The Loser Song ») tout en faisant preuve de délicatesse (« Lonesome Bastard » ; « Rain » ; "In my Realm"). Comme quoi, en dépit de l’univers très sombre du projet (cf. la pochette) derrière la voix de gorge et le chant râpeux, se cache un cœur qui bât au rythme de la musique. Tant de diversité aurait pu finir par poser un problème de cohérence mais il n’en est finalement rien, le groupe trouvant dans chaque chanson le petit dénominateur commun qui finit par rendre l’ensemble cohérent. Peut-être en décidant, avec ou sans saturation du son, que le mieux était de tout jouer avec la même énergie, amplis crachant les décibels sous la main ou non. Surprenant et réussi.
Un grain de voix suintant le vécu, légèrement éraillé d’une petite cassure soul, au fond de la gorge, des cordes de guitare folk arpégées avec délicatesse, un groove lent et alangui de la batterie, il y a des signes qui ne trompent pas. Ainsi, ce nouvel album du songwriter s’impose comme une évidence, venue, surprise, de Suède, mais que l’on jurerait sortie du studio de feu Levon Helm à Woodstock (bon on y presque, Amy la fille du regretté batteur du Band chante sur le disque). Jesper Lindell donc s’inscrit dans un croisement très précis, là où le folk rencontre la soul, le tout surmonté de légères touches country, autant d’inspirations bien éloignées de sa terre natale, mais qu’il a su s’approprier avec talent et feeling. Après avoir passé une partie de la pandémie à l’hôpital, pour un problème de santé étranger au Covid, et l’autre partie dans son studio entouré de son groupe, Jesper est simplement content d’être là, de jouer et de chanter. Et cela s’entend ! Une joie de jouer qui irradie d’un bout à l’autre de l’album, sensible dans les grandes rasades chaudes de l’orgue (« Dance » en duo avec Theo Lawrence) et terriblement évocatrice des grands espaces et des herbes folles se balançant au gré du vent dans le soleil couchant. Car il n’est finalement question que de cela, d’un disque proche de la nature et à écouter au bord d’un feu de camp, tel que celui figuré sur la pochette.
Un an après son éclosion internationale, le trio est déjà de retour, avec un nouveau batteur, Daniel Weiss et c’est une excellente nouvelle ! Troisième album studio (le quatrième en tout) pour le groupe et le signe que l’inspiration, ainsi que l’excellence du geste musical qui les anime, ne se tarit pas le moins du monde. En résumé, ce nouvel effort, est la suite exacte du précédent, sans la moindre révolution et les ingrédients utilisés sont toujours les mêmes, guitare, batterie et orgue, exclusivement instrumental, mais qu’importe puisque la qualité est au rendez-vous et la formule fonctionne ! En effet, insérer le disque dans le lecteur, c’est la promesse d’un excellent moment, porté par la douce euphorie, et le groove irrésistible, de la musique. « Feel good music » appelle-t-on la chose, tenez-vous le pour dit ! Situé à la lisière du funk, du blues, du jazz et de la soul, le Delvon Lamarr Organ Trio, propage ses bonnes ondes dans un style intemporel, ou subsiste une pointe d’acidité psychédélique à la Jimi Hendrix (cf. « Big TT’s Blues »). Et puisque la bonne nouvelle n’arrive pas seule, le trio débarque enfin sur scène chez nous dès le mois d’avril, grand moment en perspective !
Après deux années de pandémie, et d’incertitudes liées, Fred Chapellier, qui avait pourtant émis le souhait d’arrêter sa carrière sous son nom propre, remet la main dans le pot en allant droit à l’essentiel, « Straight to the point » ; «Si ça doit être mon dernier album, je ne veux rien y mettre d’inutile » abonde-t-il, droit au but, donc. Derrière sa facture simple et classique, point de superflu, tel est le mot d’ordre, ce nouvel album est un petit chef d’œuvre en forme de quintessence de tout ce qui fait l’art du guitariste / chanteur. Point de superflu, ne signifie en rien un album ascétique et décharné. Bien au contraire, accompagné de ses acolytes habituels, Billy Brice, Neel Black ou Alain « Footballer » Rivet, Chapellier met le cap vers la note bleue, mettant l’accent sur l’émotion avant tout le long d’un album blues, certes, mais aux effluves variées allant de la soul au R&B. Les arrangements de cuivres caressent l’oreille, la voix de Fred regorge d’émotions et le musicien surprend même en reprenant Gladys Sunlight & The Bips (« I’ve got to use my imagination »). A noter enfin deux instrumentaux, « Juliette » et « Racing with the cops », prouvant que le musicien en a suffisamment sous le manche (Dutronc ne s’y est pas trompé) pour poser un climat, une ambiance, sans le moindre mot. Superbe, comme d’habitude !
En concert (avec
Grant Haua en première partie!) à Paris (New Morning) le 23/03
Le quatuor français donne une seconde vie à son premier album « The Ropes » avec cette édition « monolithique », sous la forme d’un luxueux digipack agrémenté d’un deuxième disque. Mais, commençons par le début, soit le premier album du groupe. Evoluant dans des sphères assez sombres, Trank tend de nombreuses cordes (ropes) qui ramènent à une scène dark étasunienne allant de A Perfect Circle (les signes cabalistiques ornant le cd rappellent l’atwork du premier album du groupe mené par Billy Howerdel et Maynard James Keenan) à Nine Inch Nails. Sans appartenir tout à fait à la mouvance métal, Trank n’a peur ni des décibels, ni des guitares saturées, mais apporte un contrepoint intéressant en compensant la puissance des guitares par des arrangements soignés et des nappes synthétiques planantes. Quelques titres apaisés (« Refugee ») finissent d’emballer l’album d’un voile délicat et subtil, produit à la perfection. Tout un univers en réalité incarné par la voix déformée et filtrée du chanteur Michel André Jouveaux plongeant l’auditeur dans un abîme d’étrangeté. Bien mieux qu’un disque bonus, le deuxième cd est une relecture complète de leur premier album. Proposés dans un ordre différent, soit un tout nouveau tracklisting, les titres de l’album ont été totalement remixés. Une relecture qui offre un angle d’écoute différent, plus radical, dans une ambiance électro industrielle, encore plus proche de Nine Inch Nails que l’album original, mais également de Depeche Mode. Une double sortie ambitieuse et franchement impressionnante compte-tenu du statut indé du groupe.
A peine un an après la sortie de son effort précédent, le groupe Jay Ryan est de retour avec un nouvel album en suite directe du disque précédent (le même artwork a été recyclé, cette fois en pochette intérieure du cd). On en veut pour preuve cette nouvelle reprise, adaptée en anglais cette fois, du « Je suis venu te dire que je m’en vais » (« I just came to tell you that I’m going ») de Serge Gainsbourg. Une reprise à l’image de ce nouvel album, entièrement chanté dans la langue maternelle de l’artiste, l’anglais, après l’effort francophone précédent. Si au passage l’album perd de son originalité (et l’artiste de son unicité) le geste musical reste impeccable, entre rock’n’roll / blues rageur (« Chew the cud » ; « Poor everybody ») et country/folk rocailleuse (« Frontline worker blues ») ; le tout convient à merveille au timbre de gorge, éraillé, du chanteur, dont le vécu transcende les cordes vocales. Les mandolines et contrebasses sont de sorties, tout ceci représente une magnifique nouvelle dans le paysage musical hexagonal !
Si derrière chaque grand disque se cache histoire, alors pour le coup, nous avons des choses à raconter ! C’est alors qu’il est hospitalisé dans une clinique psychiatrique pour dépression sévère que David Mauro (aka Rigil Kent) compose cet album, poussé par un soignant, Lewis Féraud, lui-même musicien et qui finira par jouer sur le disque, persuadé que la musique est la seule sortie possible de la maladie. C’est à sa sortie de la clinique, en 2021, une fois remis (enfin on l’espère pour lui), que l’album est enregistré à La Ciotat. Conçu comme un journal de bord de la maladie il y avait fort à craindre d’un disque chaotique et bruyant. Étonnamment il n’en est rien, passé l’intro anxiogène, David Mauro accouche d’un album pop lumineux (« Every Single Grain of Sand has A Mass »), ponctué de virgules électriques, bienvenues, à la guitare faisant le lien entre les influences psychédéliques et progressives des années 60/70 (il y a un peu de Syd Barrett en lui cf. « Gathering the Waves ») et le son saturé et contemporain du rock stoner (« Trans Part I et II »). Dans un cas comme dans l’autre, il est question de répétition hypnotique et d’envoûtement par la musique. Un album en forme de voyage, dans lequel il est bon de se perdre en route, dans les méandres…
La basse gronde et imprime un rythme entêtant, le moins que l’on puisse dire est que le premier album du trio part sur les bons rails. Anciens membres de Cheyenne, Marine, Christophe et Nicolas se sont réinventés sous ce nouvel alias en forme de pilule à la cerise pour notre plus grand bonheur. Concassé, compact, le trio fait le maximum et délivre un album à l’effet semblable à deux doigts collés dans la prise d’électricité, électrochoc assuré. Mais la plus grande réussite du trio réside dans cette capacité à jouer sur la retenue, l’électricité est savamment maîtrisée, l’énergie débordante canalisée, le groupe sent à merveille quand il est opportun de lâcher les chevaux pour de bon, l’interaction entre musiciens joue à plein. Le résultat est euphorisant, mené tambour battant par une section rythmique d’enfer, et ce merveilleux son étouffé de la batterie. Sans affection particulière pour le passé, les années 60, 70 ou autres, sans jouer la moindre carte nostalgique, le groupe nous délivre en dix titres une galette intemporelle prouvant que ce bon vieux rock’n’roll est increvable !
Si la musique est pleine de virages, alors le groupe du même nom a décidé de les enchaîner dans une sorte de grand huit proprement assourdissant. Les membres de Virage sont au nombre de deux, on y retrouve le batteur Cyril Gilibert et, plus étonnant, l’accordéoniste François Castiello (Bratsch, Lalala Napoli). Une recette somme toute assez simple mais au résultat étonnant, sous influence électro et particulièrement sensible dans la pulsion donnée à la musique par la batterie. François Castiello utilise son instrument, multipliant les effets sonores, comme un peintre dispose de sa palette, toujours à la recherche de nouvelles couleurs, dans un grand raout psychédélique. Transe, expérimentations et hypnotisme sont les mamelles nourricières de la musique du duo qui ne ressemble à rien de connu. Une expérience unique en son genre, intense, dont on ressort rincé et c’est peut-être là que se situe la limite de la démarche. Dans ce contexte, une composition cinématographique telle que « Labyrinthe » fait du bien, repose, et ajoute de la profondeur à l’album. Il n’empêche, l’effet doit être saisissant en concert !
Faisons plus ample connaissance avec nos nouveaux amis. Chichi (déclamade) et Banane (guitare, banjo, percussions, basse) sont originaires de La Ciotat (Bouches du Rhône), une ville et son mode de vie qu’ils chantent avec passion et enthousiasme. Qu’il s’agisse du « O Central » (un bar du centre ville), de l’Escalet (la place du bal du samedi soir) ou de la déveine d’un pêcheur malchanceux le duo n’a pas son pareil pour faire voyager l’auditeur dans sa ville natale en musique et en mots, l’effet est garanti ! Pour accompagner la déclamade de Chichi, Banane fait le pari d’une musique acoustique où l’écho du blues et de la country résonne dans la guitare, le banjo ou la contrebasse. Un disque plein de charme présenté dans le luxueux écrin d’un livre-disque de 36 pages, magnifiquement illustré à l’encre, publié en collaboration avec la librairie Au Poivre d’Âne, sise dans le vieux port. Accent chantant du Midi et banjo, voici le disque idéal pour un dimanche pluvieux !
Le poing brandi en l’air, le groupe de Béziers fait son entrée sur scène, 15 jours avant la sortie de son nouvel album « Social Violence » prévue pour le 25 mars prochain. Le premier effort du quintet avait fait forte impression en son temps et la prestation scénique de ce soir ne fait que confirmer le bien que l’on pense d’eux. Passée au révélateur de la scène la musique de Fabulous Sheep prend de l’épaisseur. Il serait facile de n’entendre en eux que bruit et fureur post punk dans un cocktail énergique où les giclées acides du synthés sont contrecarrées par des attaques brutes et sèches des guitares le tout mené tambour battant, sur un tempo infernal respectant les trois minutes. Il y a bien évidemment de cela et à ce petit jeu les musiciens, tout comme les spectateurs, pourraient bien être foudroyés sur place débordés par une telle intensité ; le quintet n’est pas du genre à faire semblant et l’énergie déployée semble être décuplée par l’engagement social du groupe et les raisons profondes qui l’ont poussés à se lancer dans le grand bain du rock. Pour l’heure c’est avec surprise que le groupe dégaine un harmonica et, dans le même état d’esprit, le saxophone apporte une couleur différente à la musique à telle enseigne qu’il n’est pas déraisonnable d’entendre chez eux des échos lointains venus du blues ou du jazz, le temps de quelques ballades calmant un peu l’ambiance. Carré engagé et efficace, Fabulous Sheep s’impose comme l’une des meilleures formations de l’hexagone. Ne ratez pas leur nouvel album !
Le duo québécois fête son retour dans l’hexagone par une date de prestige (et complète) dans le cadre, très officiel, du Centre Culturel Canadien, sis au sein de l’Ambassade du Canada. Une prestation à laquelle on a assisté le masque sur le nez, conformément à la législation en vigueur au Canada, à laquelle nous sommes soumis dès lors que nous pénétrâmes dans l’enceinte du bâtiment, après avoir franchi, bien entendu, les contrôles de rigueur (un peu comme à l’aéroport). Un cadre très officiel donc, inhabituel pour un concert de rock, qui a quelque peu figé le public, assez timide en début de concert. Mais peu importe, car sur scène, se trouve les Deuxluxes, un groupe québécois qui n’a pas son pareil pour faire monter l’ambiance. Ils sont donc deux, Étienne Barry que l’on retrouve à la guitare et à la batterie rudimentaire (grosse caisse, caisse claire, cymbale) façon one man band et l’exubérante Anna Frances Meyer au chant, à la guitare ténor (une guitare miniature à 4 cordes) et à la flûte. Les Deuxluxes évoluent dans un périmètre resserré entre rock garage et rock psychédélique où les influences sixties règnent en maître. Ce n’est pas pour rien qu’ils s’attaquent aux « Loose » des Stooges ! Une mission dont ils s’acquittent avec énergie, passion et beaucoup d’humour déjanté. Un bon moment, pédale fuzz, wha-wha et son saturé à go-go, le public ne s’y trompe pas et les réserves du début de concert tombent au fur et à mesure. En tout cas, après, Le Nombre, Chocolat ou les Hôtesses d’Hilaire, voici un nouveau groupe Canadien avec lequel se délecter, preuve de la vitalité du genre chez nos cousins francophones d’outre-Atlantique.
Dans le cadre sublime du Trianon, entouré de faux palmiers et d’un néon rose fluo reprenant le nom du groupe accroché dans le mur du fond, une déco so eighties on se croirait dans Miami Vice, les No Money Kids, en trio avec batteur, ont donné une prestation enthousiasmante ! L’électronique légèrement mise de côté, du moins pour la soirée, les musiciens se sont souvent retrouvés dans une configuration classique du power trio, guitare, basse et batterie. Le résultat est limpide, aussi tranchant que le rock, aussi profond que le blues, les deux mamelles nourricières de leur musique. Aux soli rageurs de la guitares se sont malgré tout ajoutées quelques nappes synthétiques et autres thérémine créant une structure étrange et planante, un contrepoint étonnant à l’électricité ambiante propulsant le rock et le blues dans une autre dimension.