Avant la sortie de
leur premier album, Grit dévoile un nouveau chapitre de son arbre
généalogique. Et celui nous ramène, contre toute attente, vers
plusieurs courants aux ramifications multiples. En effet la musique
de Grit est multi-facettes abrasive à souhait, et vive le gros rock
à guitares, mais également (power) pop en diable. S'amusant avec sa
musique, le groupe saute d'une case à l'autre dans le cours de la
même chanson passant d'un couplet pop à un refrain au son énorme
et vice-versa. Trois titres seulement mais combien de chausse-trapes
dans lesquels l'auditeur tombe à pieds joints ? On à hâte de
découvrir la clef de l'énigme sur format long.
vendredi 30 juin 2017
jeudi 29 juin 2017
Chuck Berry : « Chuck »
Absent des bacs
depuis 1979 (qui dit mieux?) Chuck Berry, l'icône rock n'roll,
travaillait sur ce nouvel album depuis les années 1980. La vie,
assez mal faîte sur ce coup-là, a voulu que le guitariste
disparaisse, le 18 mars dernier, avant de voir la naissance au grand
jour du fruit de ses efforts. Derrière cette pochette à la fois
sobre et iconique, un mot et un seul suffit pour résumer le tout :
Chuck ! L'album pourrait être résumé ainsi : frais et
émouvant. Frais, car à 90 ans, Chuck rocke comme au premier jour,
niant la dictature des horloges, des calendriers et du temps qui,
tout simplement, passe. Ainsi le disque regorge de rappels à ses
œuvres passées (« Big Boys », « Lady B. Goode »).
Du classique, du solide, ancré dans la tradition séculaire du rock
n'roll, évidemment, mais aussi du blues (« You go to my
head »). Emouvant ensuite, car l'album s'écoute comme une
carte postale envoyée de l'au-delà par un artiste qui fût, pour
beaucoup d'entre nous, un des pionniers par lesquels nous sommes tous
tombés dans cette grande marmite envoûtante du rock n'roll
(« Darlin' »). Emouvant aussi par ce que cet ultime
effort voit Chuck enregistrer avec ses propres enfants (Charles Jr à
la guitare, Ingrid à l'harmonica) et croiser le fer avec quelques
jeunes pousses (Gary Clark Jr, Tom Morello, Nathaniel Rateliff) dans
une sorte de croisement générationnel euphorisant. Un grand nom qui
disparaît emporte toujours avec lui une partie de la jeunesse de son
auditoire. On pourra toujours se consoler en l'espèce avec Chuck
Berry qui, lui, a réussi sa sortie.
mercredi 28 juin 2017
Imelda May : « Life Love Flesh Blood »
Confrontée à
l'impérieuse nécessité de renouvellement, Imelda May bouleverse
tout de fond en comble sur ce nouvel album. Fini donc le rockabilly,
le look de pin-up, qui la rendait tellement craquante, et le
perfecto, la nouvelle Imelda est arrivée ! La première écoute
de ce nouvel album désarçonne et le choc peut paraître rude de
prime abord. Puis, petit à petit, la musique fait son œuvre et
trouve son chemin vers le cœur de l'auditeur. Un argument de poids :
Imelda chante toujours aussi bien, son timbre déborde d'émotions et
charme l'oreille (« Call Me », « Black Tears »).
Il est entendu qu'Imelda n'est plus aussi sauvageonne que par le passé. A la place, l'Irlandaise joue la carte du charme rétro sur
un registre évoquant tour à tour Chris Isaak (« How bad can a
good girl be ») ou le jazz vocal. Un peu circonspect au début,
l'album remporte finalement l'adhésion grâce à une grande force de
composition et une production soignée où les années 50 (« Bad
Habit ») rencontre le shoegaze (« Game changer ») !
Si on se permettra de regretter un peu le mordant passé de la
chanteuse et une petite dérive FM ici ou là (« The girl I
used to be », "Human") force est de constater que l'on a connu des
reconversions bien moins réussies que celle-ci.
dimanche 25 juin 2017
Garland Jeffreys, New Morning, 23/06/2017.
Toujours la pèche
Garland Jeffreys ! Le concert débute sur les chapeaux de roues
avec un « Coney Island winter » survolté (guitare
énorme) suivi du blues « Til' John Lee Hooker calls me »
et de la récente « Reggae on Broadway ». En trois
titres, le natif de Brooklyn, et son excellent quartet (guitare,
basse, batterie et clavier) nous a livré la quintessence de son art,
là où la puissance du rock n'roll rencontre le feeling du blues et
le groove du reggae. Chanteur passionné, Garland n'a cessé de
multiplier les acrobaties durant son set, allongé sur le dos, à
quatre pattes sur scène, on l'aura vu sous toutes les coutures !
Autant d'occasion de multiplier les contacts avec le public, à la
recherche de cette chaleur humaine, qui se révèle être le
véritable moteur de sa musique au même titre que l'amitié :
Elliott Murphy (à la guitare électrique, une curiosité) viendra
ainsi faire un coucou le temps d'une reprise de son propre titre
« Diamonds by the yard ». Toujours charismatique, qu'il
saute à pieds joints ou se ballade dans la fosse le micro en main,
Garland a, à maintes reprises, transformé son set en
happening/performance où l'émotion prend le dessus. Ainsi, « New
York skyline » s'est métamorphosée en cri d'amour pour sa
ville natale doublée d'une gueulante contre la Trump Tower
(« réduisez-là en cendres ! ») et, à ce titre, il
est impossible de passer sous silence sa déchirante version de
«Help » (The Beatles). Garland a finalement quitté la scène
épuisé avant que son groupe ne prenne le contrôle des opérations
et lance « 96 tears » (reprise de Question Mark and the
Mysterians) : « Ils vont me tuer » clame le
chanteur ! Mains accro à l'exercice et dopé à l'adrénaline,
Garland restera seul sur scène un long moment pour évoquer son
amitié avec Antoine de Caunes (présent dans le public) avant qu'il
ne se fasse finalement exfiltrer de la scène par son épouse, aidé
du célèbre présentateur sus-mentionné, clôturant ainsi une
chaleureuse soirée placée sous le signe du meilleur de la musique
étasunienne.
jeudi 22 juin 2017
Dérapage, Galerie L'oeil ouvert, 21 juin 2017.
Souvent mon
entourage tombe des nues lorsque j'avoue à demi-mot que je n'aime
pas spécialement la fête de la musique. Déjà, je n'ai pas besoin
d'attendre le 21 juin pour aller voir des concerts ce qui, en gros,
constitue mon quotidien depuis quelques années. Ensuite après bien
des années, je reste traumatisé par quelques mauvaises expériences,
Bernard et son accordéon par exemple avec tout le respect que je lui
dois, ou cette fois où j'ai bien crû mourir écrasé par la foule
Place de la République. Mais cette année, j'ai trouvé une bonne
raison de me réconcilier avec le concept. Déjà Chuck Sperry et ses
magnifiques sérigraphies, inspirées par le mouvement psychédélique
et les années 1960 sont de retour en ville et c'est déjà une
magnifique nouvelle en soi. Ensuite profitant de la proximité de
dates de cette nouvelle exposition avec la fête de la musique, la
galerie l’œil ouvert a saisi la balle au bond organisant un
concert gratuit avec les zinzins de Dérapage.
Dérapage, le nom
fleure bon la gomme brûlée sur le bitume et promet un sacré bon
moment de rock n'roll puissant et caréné comme un hot rod. Et, de
fait, le trio survolté tient toute ses promesses ! A mi-chemin du
rock garage façon Stooges et du punk, mené de main de maître par
le batteur frappant ses peaux comme un maniaque appuyant à fond sur
l'accélérateur, le groupe fait sensation sur un bout de trottoir de
la rue du Château d'eau, transformant ce dernier en terrain
d'expérimentation quasi-sociologique et hilarante, prouvant à quel
point ce style de rock n'roll primal, et que l'on adore sur cette
page, n'est toujours pas entré dans les mœurs de notre beau pays
(et arrivé à ce point on peut conclure que cela ne sera
probablement jamais le cas).
Donc, le set venait
à peine de commencer, le trio attaquant sa première chanson, qu'un
intrus, d'un age certain, probablement riverain et fort contrit, en
polo bleu, se présentait devant le groupe demandant que l'on baisse
le son avec force gestes. S'en suivit une hallucinante palabre durant
de longues minutes :
- Fred (le
chanteur) : Ca va être pénible mais dans dix minutes c'est
fini !
- L'homme en polo
bleu (tout sourire) : C'est vrai ?
- Fred : Non !
Et l'homme de s'en
aller, haussant les épaules, sur un tonitruant et définitif
« Connard » ! Avec Chuck, on est morts de rire !
C'est ensuite, une Dame, une baguette sous le bras, qui passe devant
le groupe, les yeux écarquillés et absolument pas rassurée, mais
que se passe-t-il, qui sont ces gens, est-ce dangereux ? Par la
suite, un chien a absolument pété les plombs, excité par le déluge
de décibels, aboyant à tout rompre après le trio, tirant sur une
laisse que son propriétaire avait toutes les peines du monde à
retenir. Et pour finir le groupe a reçu les applaudissements
d'éboueurs perchés sur leur camion à ordures ce qui nous a valu ce
trait d'humour de la part du groupe : « Ah tiens voilà le
van avec notre matos ! » Pour en revenir à Dérapage, un
seul détail suffira pour vous éclairer sur le niveau (élevé) de
coolitude du groupe : deux cordes de guitare cassées (sur deux
instruments différents) en un peu plus d'une demi-heure ! Et
ouais mon pote, c'est ça le rock n'roll !
Exposition Summer of Love by Chuck Sperry
Jusqu'au 15 juillet 2017
Galerie L’œil ouvert
1, rue Lucien Sampaix 75010 Paris
Métro République / Jacques Bonsergent
http://www.loeilouvert.com/
mardi 20 juin 2017
Le dernier vice-roi des Indes de Gurinder ChadHa.
1947. L'Angleterre
s'apprête à quitter les Indes après 300 ans de présence. Connu
sous le nom de « Partition », le processus donnera
naissance au Pakistan, crise migratoire (14 millions de personnes
déplacées) et situations ubuesques (comment diviser une
encyclopédie ? Quid de l'argenterie?) à la clef. Dans ce
contexte, Lord Mountbatten, accompagné de sa famille, s'installe
dans le Palais Royal. Il sera le dernier vice-roi des Indes, en
charge de gérer cette délicate transition historique…
La réalisatrice
Gurinder ChadHa, connue pour quelques hits (« Joue la comme
Beckham », « Coup de foudre à Bollywood ») est de
retour avec ce projet hautement personnel, visant à renouer avec le
concept de grande fresque historique. Situant la quasi-totalité de
son intrigue entre les murs de la Viceroy's House et mêlant drame
historique (le métrage est ponctué de nombreuses images d'archives)
et destins personnels, à l'image du personnage d'Aalia tiraillée
entre deux amours, la réalisatrice obtient un résultat bien
différent, entrant étrangement en collusion avec l'actualité
récente (cf. la crise migratoire) illustrant aussi bien les
décisions prises par les dignitaires du haut et ses conséquences
directes sur les employés du Palais. Manquant parfois de souffle et
pas toujours très lisible, le film brille surtout par le faste de sa
production (le décor magnifique du Palais, les costumes) et ses
interprètes (citons entre autres Gillian Anderson, Hugh Bonneville),
tous excellents.
Sortie le 5 juillet.
Libellés :
Cinéma,
Le dernier vice-roi des Indes
lundi 19 juin 2017
Monsieur Lune, Café de la danse, 17 juin 2017.
Quelques jours avant
la sortie de son nouvel album, de reprises de Renaud, Monsieur Lune
fête la sortie de cet effort sur la scène, intimiste, du Café de
la danse. Renaud avait pour coutume de se décrire comme « le
chanteur énervant ». Sur scène Monsieur Lune, s'avère être
tout le contraire, drôle et sympathique, parsemant le concert de
nombreuses interventions, de blagues, de souvenirs personnels
(parfois très touchants) bref, en un mot, le jeune homme se révèle
hautement charismatique. Le projet de M. Lune s'appuie sur un
répertoire bien spécifique, les débuts, les années 70 et 80 à
l'époque où le chanteur « était encore de gauche ».
Les mots et la poésie de Renaud restent très touchants, nostalgique
à l'occasion, et brillent de mille feux avec un accompagnement
musical modernisé mêlant le rock garage, l'électro et la pop
atmosphérique. Quant à Monsieur Lune il passe parfois pour un sosie
vocal saisissant de son modèle offrant ainsi un point de référence
au public, c'est ressemblant (la voix) et très différent à la
fois. Une belle soirée pour célébrer ce projet très réussi.
samedi 17 juin 2017
Très Court International Film Festival
Comme son nom l'indique, le très court international film festival programme des films très courts, c'est à dire de moins de quatre minutes et ce depuis 18 ans ! Le festival est à vocation internationale et se tient simultanément dans 90 villes de 28 pays différents. A noter, la soirée "Trash & glam" ce soir (21h30) au Forum des Images de Châtelet-Les-Halles sera suivie d'un best of intitulé "Ames sensibles s'abstenir". Tout un programme !
http://trescourt.com/fr
http://trescourt.com/fr
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Très Court International Film Festival
vendredi 16 juin 2017
Tellma : « Swansong »
L'expression
« Swansong » désigne littéralement, en anglais, le
chant du cygne, soit les adieux. Certains se souviennent peut-être
d'une compilation de Led Zeppelin du même nom. C'est également le
nom du premier EP de Tellma, une formation bordelaise, dont on espère
bien que la carrière ne se résumera pas à cet unique disque de 6
titres. Le cœur du groupe est bicéphale, d'un côté la voix de
Laurent Rousset, de l'autre la guitare, acoustique le plus souvent,
de Bertrand Mouty. Autour de ces deux éléments Tellma bâtit une
architecture sonore élaborée où le folk rencontre la pop
atmosphérique grâce à l'aide de quelques comparses en charge de la
section rythmique. En acoustique ou légèrement électrifiée, la
musique se révèle douce et délicate, propice à la rêverie et à
la construction de paysages sonores imaginaires, comme une rencontre
entre Nick Drake et Kate Bush ; la batterie injectant
suffisamment d'énergie pour éviter à l'ensemble de sombrer dans la
léthargie. Doux et entraînant à la fois. A noter, « The show
must go on » chipée chez Queen.
mercredi 14 juin 2017
Monsieur Lune : « Un Renaud pour moi tout seul »
Le titre de ce
nouvel album de Monsieur Lune s'inspire de la série de concert donné
à l'Olympia en janvier 1982 par le modèle du chanteur. Il ne faut
pas en effet être grand clerc pour deviner que ce nouveau disque est
un hommage à Renaud. Et bien senti en l'espèce M. Lune retrouvant
parfois les intonations et la gouaille de son modèle (« Deuxième
génération », « Laisse béton », « Je suis
une bande de jeune »), servant ainsi à merveille la poésie
banlieusarde si particulière de son aîné. C'est au niveau musical
que l'écart est finalement le plus grand. Exit donc l'accordéon et
les artefacts habituels du répertoire original. Bien entouré
(Cheveu, Johnny Montreuil) Monsieur Lune livre sa version personnelle
et elle est assez différente, modernisée, alternant entre rock
garage (« Laisse béton », "Les aventures de Gérard Lambert") et pop atmosphérique (« La
chanson du loubard »). En ce sens l'album témoigne du
véritable appropriation du répertoire par M. Lune. En ce qui
concerne le choix des reprises on retrouve quelques tubes mais,
surtout, on redécouvre beaucoup de titres un peu oubliés (« La
teigne », « Gueule d'aminche », « Buffalo
débile », « La médaille »). Un choix pertinent et
original même si, à titre personnel, on regrette un peu l'absence
de « Mistral gagnant » ; la puissance émotionnelle
de cette dernière, toujours intacte, aurait été bien servie par
cette nouvelle lecture. Un bien petit défaut au regard de la qualité
du disque, un peu nostalgique, qui remporte l'adhésion.
En concert le 17
juin à Paris (Café de la danse)
mardi 13 juin 2017
Gino Sitson : « Body & Voice »
Artiste Camerounais,
Gino Sitson fait de la musique sans utiliser le moindre instrument de
musique : body and voice, corps et voix, tout est dans le titre.
N'utilisant que sa voix, des percussions corporelles et du beatbox
(technique de percussion utilisant la bouche et la langue), Sitson
obtient un résultat pour le moins surprenant. De fait, faute de
ressembler à quoi que ce soit de connu, la musique de Sitson en
rappelle, de loin en loin, plusieurs autres. On pense en particulier
à la soul music (« Bird », « Song Zin' »)
voire au hip hop (« Vocassiko ») et à l'Afrique bien sûr
(cf. « Look-ut », « Passing »). La majorité
des chansons sont interprétées en medumba, une langue vernaculaire
de l'ouest du Cameroun, le continent est ainsi évoqué sous un angle
inédit et totalement novateur. Enregistré a cappella, en solo
absolu, et compilant des chansons enregistrées au cours des vingt
dernières années, l'album possède un charme unique et un immense
mérite : celui de remettre l'être humain au centre de la
partition musicale au fil de multiples acrobaties vocales. La
pulsation, le groove, animant le disque est unique et rappelle le
battement d'un cœur. Beau et émouvant.
lundi 12 juin 2017
Paris Combo : « Tako Tsubo »
Un nouvel album de
Paris Combo, c'est un de ces petits plaisirs de l'existence toujours
renouvelé et cela fait 20 ans que cela dure. Voici donc venu le
nouvel effort, le sixième, du quartet. Et force est de constater
que, même si la formule n'a finalement que peu bougé au fil des
années, le charme opère toujours. Pas passéiste pour un sou et
pourtant tenant d'une tradition séculaire de la chanson (« Notre
vie comme un western »), Paris Combo évolue sur le fil, là où
le jazz (manouche en particulier) rencontre la chanson surréaliste
(cf. « J'ai dans la cage thoracique un couple anémique de
maracas ») sous l'influence du début des années 1960
(« Profil »). Une ouverture vers des sonorités latines
ou d'Europe centrale (« Anémiques Maracas ») voire
d'Afrique offre autant de respirations et une diversité bienvenue ;
sans pour autant nuire à la cohérence de son univers plein de
charme et tout en swing, contrebasse et trompette à l'appui.
Héritier voire caractéristique d'une école de la chanson
française, ce qui explique certainement son succès énorme hors de
nos frontières, Paris Combo sort, une fois de plus, le disque idéal
à écouter lors d'une ballade dominicale en 2CV décapotable le long
des bords de la Marne.
En concert à Paris
(La Cigale) le 6 avril 2018.
Paris Combo - Notre Vie Comme Un Western from Aćim Vasić on Vimeo.
vendredi 9 juin 2017
No Money Kids : « Hear the silence »
Prenant le
contre-pied de la tendance actuelle, le duo No Money Kids accouche
d'un projet pour le moins original. Point de batterie ni de guitare
abrasive sous influence garage chez ces parisiens mais une six corde
élégante, une basse et des boucles électro. Ce deuxième album
scelle la rencontre entre une guitare éminemment blues, débordante
de feeling, et des sonorités électroniques cotonneuses et planantes
pour un résultat à la fois fidèle à une tradition ternaire (« The
Hangman ») voire rock n'roll (cf. le final de « Loaded
Gun ») et pourtant innovante et ancrée dans le paysage actuel.
On pense parfois à Black Strobe sans les influences techno et les
guitares énormes. En effet, même si No Money Kids s'amuse à
pousser parfois les amplis dans le rouge (« Burning game »),
le geste reste classe, sans jamais se départir d'une esthétique
soignée et élégante (cf. « Take me to your home »).
Planant à ses heures voire nocturne à l'occasion ("Hear the silence"), voici l'album
idoine pour une soirée digne d'un juke joint du 21ème siècle.
jeudi 8 juin 2017
Beauty and The Beast : « Something new »
Duo surprenant, 30
ans de différence d'age entre les deux membres du groupe, Beauty (la
chanteuse Roxane Arnal) and the Beast (Michel Ghuzel) sort un premier
album à la fraîcheur imparable. Situé au confluent de plusieurs
influences, le blues, le jazz, la chanson française, le duo pratique
une musique enlevée et chaleureuse avec une préférence certaine
pour l'acoustique (contrebasse, mandoline, ukulélé, guitare…)
jouée avec maestria (« Birds are singing »). Ancré dans
la tradition, sans pour autant être passéiste, l'album est propulsé
par une dynamique contemporaine à la production élégante et
soignée dans les moindres détails. Ces onze titres, en français et
en anglais, possèdent ce petit charme rétro et swing (cf. « J'me
casse ») auquel il est difficile de résister.
En concert le 15
juin à Paris (le zèbre de Belleville).
Festival la bonne aventure les 24 et 25 juin 2017
Nouveau festival crée sur les bords de la Mer du Nord, à Dunkerque, La Bonne Aventure mélange l'expérience live (Molécule, Rodrigo y Gabriela, Catherine Ringer, Deluxe...) et club dans différents lieux de la ville. On note la participation des très intrigantes chorales The Mamys & The Papys (âgés de 55 à 82 ans, ils reprennent des standards du rock) et Salt & Pepper. A ces éléments classiques, l'équipe du festival ajoute un soupçon de mystère avec les "Parcours secrets" sous la forme de concerts dans des lieux atypiques à la jauge limitée et tenus secrets jusqu'à la dernière minute (même le dossier de presse reste vague à ce sujet). Dernier volet, hors musique, les "visites insolites" soit 16 visites en compagnie des acteurs culturels du territoire. Un week-end mélangeant musique, fête et culture au bord de la mer en perspective, à prix très doux, voire gratuit pour ce qui est des concerts sur la grand scène. On a hâte d'y être...
mercredi 7 juin 2017
Cotton Belly's : « Live session vol. 1 »
Excellent
représentant de la scène blues hexagonale, les Cotton Belly's
sortent un nouvel EP en forme de petit pas de côté dans leur
carrière. Six titres, tous joués en live, sont au menu. On y
retrouve de nouvelles versions d'anciennes chansons du groupe, une
reprise de Stevie Wonder (« Superstition ») et une
composition originale en ouverture du disque, « Broken line ».
Ce nouvel EP souligne la superbe évolution musicale du groupe, qui
est resté fidèle à sa ligne blues tout en la faisant évoluer vers
des sonorités folk et rock n'roll. La palette bleue du groupe est
ainsi élargie grâce à cette électrification subtile. Une gageure
réussie par le groupe, portée par le plaisir simple de jouer
ensemble, que l'on retrouve tout au long de cette galette courte mais
ô combien savoureuse.
En concert le 7 juin
à Paris (New Morning)
jeudi 1 juin 2017
Interview avec Lucie Baratte
A défaut de pouvoir
aller voir son idole Janis Joplin en concert, Lucie Baratte s'est
lancée sur les traces de la chanteuse. Une sorte de voyage
initiatique dont elle a tiré « Looking for Janis » un
livre passionnant sur lequel elle revient ici longuement, entre
éclats de rire et émotion. A noter enfin, Lucie sera présente au
Supersonic pour dédicacer son ouvrage le soir de notre concert du 9
juin prochain (l'événement Facebook est ici, le crowdfunding pour la soirée là).
Qu'est-ce que tu as
ressenti quand tu as découvert Janis pour la première fois ?
Lucie Baratte :
C'est spécial, c'est un bouleversement, ça m'a pris comme une
énorme vague. J'étais petite, j'avais 14 ans. J'avais déjà eu des
expériences avec la musique, d'avoir été emportée par une
mélodie. Mais là… Ce n'était pas tant la mélodie, c'était
surtout sa façon de chanter qui m'a bouleversée au niveau
émotionnel mais aussi rationnel. La chanson avec laquelle j'ai
découvert Janis, c'est « Coo Coo » de Big Brother &
The Holding Co (1966, ndlr) qui n'est pas une chanson culte. Et puis
c'était les débuts, elle cherchait encore sa voix et puis c'était
le premier album du groupe, elle ne chantait pas sur tous les titres.
C'est un disque enregistré un peu à la va vite et ils ont eu
beaucoup de mal à le produire, il y a un côté un peu imparfait. Et
c'est ça qui m'a frappé. A l'époque, elle s'écartait du micro
pour chanter, pour pouvoir crier plus fort. Tu entends qu'elle
s'éloigne, j'ai trouvé ça dingue ! Ce truc qui partait dans
tous les sens comme si elle ne pouvait pas retenir son énergie, ça
déborde trop, elle ne pouvait pas gérer. Ça fait comme un tsunami.
J'ai été obsédée par cette chanson, il fallait que je l'écoute
en boucle, seule, dans le noir (rires)…
Que représente pour
toi cette musique…
Lucie : C'est
difficile comme question (elle réfléchit, silence). Il y a
plusieurs choses, mon adolescence, la période entre mes 14 et 18
ans, déjà. C'était l'époque où je l'écoutais à fond, j'étais
obsédée par elle, c'était mon modèle absolu. Sa musique a
accompagné ma vie quotidienne. Quand je réécoute sa musique, je
repense à la Lucie que j'ai été (silence). Après sa musique
représente quelque chose ultra intime, de magique et de sacré. Même
si plein de gens écoutent Janis Joplin, j'aurai toujours le
sentiment que moi je partage un truc particulier avec elle. Je n'ai
pas ça avec d'autres artistes. J'aime beaucoup Tori Amos aussi par
exemple. Mais la musique de Janis m'offre une sorte d'intimité avec
elle. J'ai le sentiment de la connaître personnellement, dans une
sorte de dimension spirituelle, et de vivre un truc unique avec elle.
Pour moi elle symbolise aussi une libération, la libération des
femmes. Je viens d'un milieu très traditionnel, je suis la seule
fille dans une famille de garçons… C'est comme le déclencheur sur
une vie très linéaire (elle claque des doigts). Et là tu vois la
vie autrement. Et ça c'est la musique, le chant de Janis. Tout
devient possible. Son côté extrême, c'est le plus beau cadeau
qu'elle est fait à l'humanité. Quand tu la replace dans son époque,
c'est fou ce qu'elle a pu accomplir. Encore aujourd'hui ça n'est pas
hyper simple. Les femmes dans le rock ça n'était pas si courant que
ça… Et là Janis a poussé très loin la libération en prenant
parfois des artifices plutôt masculins.
Comment est née
l'idée de ce voyage ?
Lucie : C'est
très personnel. C'est lié à la manière dont je me suis
construite. Je me suis inspirée de Janis Joplin.
Cela peut-être
dangereux (rires)…
Lucie : Cela
peut-être très dangereux (rires). Mais les drogues dures et les
expériences trash n'étaient pas ce qui m'intéressait. Il y avait
quelque chose en elle, ce côté étrangement très vivant, alors
qu'elle est décédée très jeune (27 ans, ndlr). Pour moi cette
relation avec Janis était intime. Après, pendant longtemps, je
n'arrivais plus à écouter ses disques. Sa musique me rendait triste
sans que je comprenne vraiment pourquoi. J'ai continué à chercher
des albums pirates, à lire les bouquins mais il y avait un vrai
problème perso. Je me suis mariée jeune et je m'étais oubliée. A
27 ans je me suis demandée : « Mais c'est quoi ma vie en
fait ? ». J'avais des envies, je voulais être artiste,
aller à des concerts. Mon problème de couple a fait remonter le
fait que je m'étais mise de côté. Quand j'ai eu 28 ans je me suis
réveillée. D'un coup j'étais plus âgée que Janis. A 17 ans, je
rêvais que pour mes 18 ans je verrai la maison natale de Janis à
Port Arthur (Texas, ndlr). Ca serait tellement génial. Mais d'autres
soucis à gérer ont fait que je n'y suis pas allée. Dix ans plus
tard, à 28 ans, je me suis dis : « Mais c'est quoi
ce truc ? ». Si je ne le fais jamais, à quoi ça sert ?
C'est là que l'idée du voyage a commencée à germer dans mon
esprit. Et j'ai recommencé à réécouter Janis Joplin en boucle et
plus je me sentais à nouveau moi-même. Je me reconnectai avec
moi-même, je réintégrai une partie de ma personnalité que j'avais
mise de côté. Une partie oubliée de mon âme. Je me suis promise,
le jour de mes 30 ans, je serais avec Janis. Je vais faire ce voyage
avec Janis Joplin, c'est trop important pour moi.
Comment as-tu décidé
du parcours, il y avait des endroits mythiques aussi sur la côte Est
des Etats-Unis, Woodstock, l'hôtel Chelsea à New York ?
Lucie : J'ai
choisi en fonction de la corrélation avec mon intention
personnelle : me reconnecter avec Janis, retrouver qui j'étais,
aller vers ma vérité. Et ça je voulais le faire avec Janis.
Refaire son parcours quand elle avait quitté le Texas où elle se
sentait opprimée, déphasée pour San Francisco. La route avait un
sens. J'ai terminé là où elle est décédée à Los Angeles. J'ai
suivi une logique : sa vie en accéléré. Les choses les plus
importantes, les plus marquantes. J'ai fait aussi le parallèle avec
ma propre existence, je viens d'un milieu provincial, traditionnel,
c'est très bien, mais ça m'a aidée à trouver un lien avec Janis.
Je me suis retrouvée dans son parcours, sa route vers la libération.
Et quel a été
l'endroit le plus émouvant ?
Lucie : Il y en
a eu beaucoup. Je pense que le plus fort c'est sa maison d'enfance à
Port Arthur (Texas, ndlr). Il y a eu peu de transition entre l'avion,
l'hôtel et la maison de Janis. En 48 heures, j'étais passée de
Lille à Port Arthur. Le rétrécissement de l'espace était hyper
fort, d'un coup ça semblait facile. Il suffisait de prendre un
avion. J'en avais discuté avec un copain fan de Queen. Lui il a une
théorie, être fan c'est réduire les espaces, temporels, physiques.
Avec Janis, je ne peux plus réduire l'espace temps, je ne serai
jamais dans le même temps qu'elle, c'est impossible. Je ne peux que
réduire l'espace physique. Et là tout d'un coup, j'étais le plus
proche physiquement de ce qu'elle avait pu vivre. Et ce très
rapidement. Il y avait un truc fort. C'était la maison de son
enfance, là où elle avait commencée et là où moi j'ai commencé
mon voyage. Après il y avait aussi la plage Stinson Beach, qui était
aussi très fort, j'étais dans le trip où je me baignais avec les
cendres de Janis (sourire). J'étais déjà allée à l'Olympia où
elle avait chanté mais ça n'avait rien à voir.
Et la rencontre la
plus marquante ?
Lucie : C'est
difficile comme question (elle réfléchit). C'est vachement dur.
Rencontrer Janis Joplin, mais c'était plus une rencontre
spirituelle. Il y a eu beaucoup de gens et chacun apporte à
l'histoire de manière différente (silence). Je vais quand même
dire Sam Andrew (le guitariste de Big Brother). Cela a été un
moment très très fort.
Surtout maintenant
qu'il nous a quittés…
Lucie : Oui,
c'est clair. Et puis c'était génial, après on est resté en
contact sur Facebook, il était tellement sympa (émue). Mais là
c'était vraiment un moment de « fan attitude ». Un peu
pétrifiée, je ne savais plus quoi dire. Il était tellement
bienveillant (émue). Il parlait le français, il avait fait ses
études à La Sorbonne, il était trilingue… Incroyable. Une très
très chouette rencontre.
Il y a un chapitre
que j'ai beaucoup aimé dans le livre, c'est cette fameuse lettre à
Janis où tu lui dis « je t'aime mais j'ai envie de te dire
merde » !
Lucie (rires) :
Ah oui cette fameuse lettre. Tu n'es pas le seul à m'en parler, ç'a
perturbé pas mal de monde !
J'ai trouvé ça
très bien, parce que cela instaure une certaine distance, on n'est
pas dans l'adoration aveugle du fan et en même temps, en lisant le
livre on a l'impression que tu l'as vraiment connue en personne.
Lucie : Dans
mon cœur, je me sens intime avec elle. Au fil du temps, c'est comme
une amie. Imagine ton meilleur ami au lycée. On grandit
différemment. Tu peux voir ce que tu partages, à quel point tu peux
t'aimer mutuellement mais aussi les différences ou en vouloir à
l'autre…
Tu évolues
différemment aussi de tes amis d'adolescence et après un moment tu
n'es plus en phase…
Lucie :
Exactement. Et c'était ce moment là avec Janis. Moi je ne suis pas
en phase avec tout ce que tu as fait. Je ne peux pas dire, c'est ok,
c'est génial, tu t'es éclatée jusqu'à la fin. Non (grave). Dans
un sens c'est quand même con. Quelque part j'aimerai qu'elle soit
toujours en vie et complètement has-been. Est-ce qu'elle serait
autant à la mode ? Je me poserais toujours la question. Quand
je me suis vraiment connectée avec Janis Joplin, quand j'étais sur
la route en émotions et en pensée avec elle, ça m'a rendue
vachement triste. Je lui en voulais d'être morte, comme un épisode
de deuil. Elle me manque tout le temps, comme quelqu'un de ma
famille, que j'aime profondément et qui ne sera jamais là.
Est-ce que tu penses
qu'écrire ce livre, la dessiner, car il y a beaucoup de croquis dans
l'ouvrage, c'est un moyen d'insuffler un peu de vie nouvelle dans son
œuvre ?
Lucie :
Complètement ! C'est même la démarche profonde du livre. Les
dessins, les textes écrits à la main sont autant de captations de
choses dites ou vécues par Janis pour essayer de la capter vivante.
Je ne voulais pas que cela devienne un monument en marbre morbide. Je
suis un peu mal à l'aise avec les biographies, les documentaires. Et
si moi je mourrais et si quelqu'un parlait de moi, peut-être qu'il
se gourerait complètement… Je me demande ce que Janis pensait et
vivait vraiment. C'est pour ça que le livre est construit sur des
flashs, où on capte une phrase, une image, un son. Je voulais la
rendre vivante de manière sensible. Ce livre c'est Janis qui me
parle et qui parle au lecteur.
Tu as commencé par
un blog. Comment ce blog est-il devenu un livre ?
Lucie : De part
mon métier, je suis dans une démarche artistique. C'est le sens que
je donne à ma vie, j'ai besoin de créer. Quand je suis partie, je
me suis dit que ça serait chouette d'en faire quelque chose sans
savoir quoi exactement. Je suis juste partie avec mon appareil photo.
Et j'avais vraiment besoin d'écrire. J'ai donc commencé un blog
mais avant tout pour moi, mes copains et ma famille. Pour raconter,
comprendre. J'en fait plein de photos. Quand je suis rentrée,
quelques mois plus tard, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose qui
fonctionnait bien quand on regarde les photos et les textes. Et les
photos racontent quelque chose que l'on ne retrouve pas dans les
textes. Assembler les deux permet de raconter l'histoire d'une
nouvelle manière. Le texte et l'image se mélangent pour faire vivre
une expérience au lecteur et ça, ça m'intéresse.
Le livre est très
illustré…
Lucie : C'est
un roman photographique et graphique en même temps. Chaque élément
est là pour une raison. Il y a différents niveaux de lecture, par
l'image, les citations apportent une nuance ou éclairent le sujet…
Tu as tout fait
toute seule, chemin de fer, mise en page, textes et photos. C'est
titanesque comme charge de travail…
Lucie : C'est
énorme (rires) ! J'ai retravaillé les textes du blogs tout en
gardant le côté spontané « flashs sur la route ».
Quand j'ai mis le texte bout à bout ça faisait déjà 150 pages A4,
je me suis dit « Wouah, on va attendre un peu pour la
traduction » (rires) ! Cela m'a pris cinq ans pour en
venir à bout... Les trois derniers mois j'ai travaillé comme une
forçat ! C'était super enrichissant. Il y avait des choses que
je connaissais du fait de mon métier de graphiste comme la mise en
page. J'ai travaillé pour des éditeurs, je connaissais le chemin de
fer, tout le process du livre mais il y avait plein de choses
auxquelles je n'avais pas pensé. Je voulais un livre « enrichi ».
Il fallait réfléchir au positionnement des traductions, il y avait
de l'argot des années 1960, pas évident à traduire. J'ai aussi
abandonné pas mal de photos qui ne fonctionnaient pas dans ce côté
livre. Je ne voulais pas que cela devienne trop illustratif. Et puis
à la fin tout le questionnement autour de la fabrication :
quand, comment, combien ??? C'était génial en même temps. Ce
livre c'est un témoignage à la croisée de plein de choses :
un journal intime, un livre rock, un carnet de voyage.. Je l'ai fait
à fond sans compromis. C'est aussi une grosse prise de risque pour
moi. Mais c'était dans la même démarche que Janis, si j'y vais,
j'y vais vraiment. Si je l'ai fait c'est parce que je pense que cela
pouvait apporter quelque chose à quelqu'un d'autre.
Qu'as-tu ressenti
quand tout était fini et que tu as tenu le livre dans les mains pour
la première fois ?
Lucie : Je
crois qu'à ce moment là mon cerveau fonctionnait à peine (rires) !
Ca faisait tellement longtemps que je travaillais dessus, il fallait
que je réalise ! Le côté pro a pris le dessus, j'ai vérifié
la reliure, le nombre de pages, les détails techniques. Et puis ç'a
été (elle chuchote tout doucement) : « Ah oui, il est
bien, il est doux. Les photos rendent bien » (rires)… C'est
quelque chose que j'ai imaginé, créé, ç'a été long. Et
maintenant il existe, d'autres gens le découvre, le lisent et
l'apprécie et il vit sa vie. C'est con hein ? (rires). Mais
j'étais très contente du résultat, l'impression, la reliure. Les
photos rendent bien et c'était la grosse difficulté. Je voulais que
le bouquin soit maniable, chaleureux, qu'il ait une forme populaire,
à l'inverse d'un livre photo classique un peu glacé et froid.
Tu es revenue
différente de ce voyage ?
Lucie : Je le
pense, oui. Cela ne peut pas être neutre. Cela m'a donné beaucoup
de force de voir ce qu'il y avait au bout de mon rêve, de ce désir.
Le dernier chapitre à été très dur à accoucher. Pendant un long
moment, j'avais du mal à revenir du voyage à reprendre une vie
classique. J'avais encore envie d'être là-dedans. J'avais du mal à
me séparer de Janis. C'était ça le retour à la réalité. Janis,
elle est décédé et ça c'est fait… Et ta vie elle continue et
qu'est-ce que tu en fait maintenant ? Qu'est-ce que cela
t'apporte dans ta vie de tous les jours ? Par sa création
artistique Janis a changé ma vie ou du moins ma vision du monde. Et
ça pour moi c'est le truc le plus important. Elle l'a fait pour
plein de gens. C'est magique et puissant de voir comme l'art peut
créer des connexions et faire grandir. C'est son esprit libre et
rock n'roll qui sera toujours avec moi. Partir toute seule, conduire
ç'a ma donné beaucoup de confiance en moi. Surtout pour la
conduite, toute ma famille avait peur! J'avais des recommandations,
si tu es perdue dans le désert, tu bois l'eau du radiateur (rires) !
Gros stress (rires) ! J'ai plutôt réussi à m'en sortir,
c'était cool !
J'étais avec mon
frère le jour où on a appris la mort d'Amy Winehouse et il a tout
de suite fait le rapprochement : « 27 ans, comme Janis
Joplin » ! Je n'avais même pas fait le rapprochement…
Lucie : Je l'ai
appris le jour même de mon arrivée aux Etats-Unis ! C'était
fou ! Je venais d’atterrir à Houston, j'étais claquée, je
vais directement dormir. Le lendemain, je vais à la salle du petit
dej' et je vois l'info. Un truc de fou. Et ouais (soupir un peu
triste)… Je me demande toujours si l'histoire se répète ou si
cela tient du fantasme de notre société, des héros rock n'roll,
sacrifiés. Il y a plein de jeunes rockeurs qui sont morts entre 23
et 35 ans. On a fait cette fixette sur le « club des 27 ».
Ca créé des mythes. Je me méfie du mythe. La notion archétypale
m'interpelle mais je me demande toujours ce qu'on en fait de cette
« histoire de héros ». C'était des êtres humains. Tout
de suite après avoir appris le décès d'Amy Winehouse, j'ai pensé
que c'était parti pour les documentaires et tout. Est-ce bien
nécessaire ? Même si il faut lui rendre hommage. Mourir à 27
ans c'est tragique.
Moi, quand j'ai eu
27 ans, j'ai pensé à tout ceux qui sont décédés à cet âge là
et je me suis rendu compte que tout ces disques, que l'on considère
comme des chefs-d’œuvre, ils les ont enregistrés très jeunes. La
maturité artistique est assez dingue…
Lucie (elle
approuve) : Oui c'est dingue. C'est incroyable. Amy Winehouse
cette voix, quel talent. On est un peu tous fascinés par cette
tranche de 27 ans, le basculement ado/adultes. C'est comme si tous
ces personnages n'avaient pas pu passer à l'âge adulte, à l'âge
dit « de raison ».
Oui, et qui restent
éternellement dans une sorte de jeunesse…
Lucie : Oui, la
jeunesse éternelle. Et notre société est fascinée par la
jeunesse, c'est quelque chose qu'on valorise beaucoup.
Et tu as eu un
sentiment particulier le jour de tes 27 ans ?
Lucie (interdite) :
J'ai pleuré. Pourtant ma vie elle n'était pas si mal que ça. Mais
je n'était pas à l'endroit où je me sentais à ma place. Le temps
passe trop vite. C'est pour ça que dans le livre, je parle beaucoup
de la chanson « Kozmic blues » où Janis parle, à 25
ans, du temps qui passe, des amis qui s'en vont, les gens meurent…
Je l'ai ressenti aussi. Janis c'était mon modèle, je me suis
demandé : « Mais qu'est-ce que j'ai fait moi de 20 à 27
ans ? ». J'ai fait des études, j'ai travaillé, rencontré
des gens. Rien d'extraordinaire en fait. Cela a été une grosse
remise en question.
Est-ce que c'est
compliqué de vivre une vie de fan quand l'idole est décédée ?
Lucie : Oui
c'est compliqué et je dirais même que c'est compliqué de vivre une
vie de fan tout court. Je m'en rends compte de plus en plus quand je
discute avec ceux qui viennent me voir en dédicace. Plusieurs
personnes m'ont avoué être fan de quelqu'un. On a un peu cette
image ridicule du fan, l'adoration aveugle, les cris, l’hystérie,
les groupies. Etre fan, c'est déjà un peu difficile à assumer à
la base. J'ai un peu de mal avec les autres fans de Janis. J'ai
l'impression d'être intime avec elle et d'être la seule à pouvoir
la connaître comme ça. J'ai pas l'impression qu'on parle de la même
personne. C'est assez triste en fait. Tu pourras jamais la voir en
concert, avoir une dédicace, lui poser une question. Avoir une
interaction comme avec un autre être humain. Je remets en question
le « côté mythe ». On te sert des documentaires, tu as
juste des légendes pour la connaître. C'est compliqué, cela peut
être un peu frustrant. Ma réponse avec le livre, c'est que la
solution et les réponses aux questions sur Janis se trouvent à
l'intérieur de moi. Ce bouquin c'est ma Janis, celle que moi je me
suis imaginée. Tu vois Tori Amos est toujours en vie, je touche du
bois. Tori Amos, j'ai eu la chance de la rencontrer, de lui parler.
Je lui ai offert des petits livres que j'avais fait en micro édition.
Et c'était super. J'ai eu la chance de lui dire merci, ce que j'ai
toujours voulu dire à Janis. Juste se connecter sur ce « merci »
en vrai c'était magique (sourire, des étoiles dans les yeux). Je
trouve ça très important d'honorer ce sentiment de gratitude qu'on
peut avoir envers les autres. Artistes, famille, amis, parfois même
un client. Pour moi, c'est une valeur importante.
Rêvons cinq
minutes. Si je te dis, ce soir on va voir Janis en concert. Comment
tu imagines la chose ?
Lucie : Oh la
la… Je ne sais pas, ça serait tellement fort. C'est là que je me
rends compte que dans le livre j'ai quand même répondu à pas mal
de mes questions. Ado, j'étais vraiment fascinée par l'idée de la
voir. Et j'avais très peur qu'elle me trouve conne. J'aurai de
l'appréhension je pense (elle réfléchit). Je pense que j'aurai
envie de pleurer, d'excitation, de joie. Cela m'a mis dans tout mes
états quand j'ai découvert que ma prof d'anglais l'avait connue
personnellement. J'ai trouvé ça complètement fou. Je ne sais pas
dans quel état je serai… Peut-être que Janis donne des concerts
au paradis ? Si on va au paradis, c'est encore autre chose…
Propos recueillis le
19/11/2016.
En dédicace le 9
juin au Supersonic (Paris, Bastille)
Et pour rappel notre
opération de crowdfunding :
Libellés :
Interview,
livres,
Looking for Janis,
Lucie Baratte
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