Peut-être que
finalement les plus belles choses sont celles dont on rêve… Du fin
fond de sa Province (Moulins dans l'Allier), The Marshals rêve d'Amérique, grands espaces
fantasmés retranscrits ici en musique. Au rock n'roll garage rêche
à base de guitares âpres et de batterie, The Marshals ajoute un
harmonica. D'ordinaire condamné à la portion congrue et aux
interventions sporadiques (du moins dans le cadre d'un groupe de
rock), l'harmoniciste tient ici une place de choix, celle d'un membre
du groupe à part entière. Un choix pas si anodin que cela qui place
le trio sur le terrain du blues. Au son sec et revêche du rock, le
groupe oppose un feeling blues qui prend de l'ampleur au fil de
compositions au long cours (cf. « Good old days »). Point
d'assauts soniques ici (même si le disque comporte sa part de
guitares saturées et bien senties) mais un sentiment hypnotique et
répétitif. Plutôt que de foncer tête baissée, The Marshals
préfère creuser son sillon, un peu plus profondément à chaque
nouvelle sortie. Un bel album intime et minimaliste, idéal pour
rouler le long de routes imaginaires. A écouter pendant une « Long
night ».
Hier soir, Cleo T,
désormais installée à Berlin, a effectué un retour pour le moins
surprenant sur une scène parisienne. Le regard tourné vers le
futur, l'artiste a tourné le dos à son ancien groupe pour une
nouvelle orientation électro. Ils ne sont plus que trois sur scène :
Cleo au chant (quasi exclusivement en anglais), un guitariste et le
fidèle Valentin qui use plus souvent de la table de mixage que de
son violoncelle. Ce nouveau spectacle est placé sous le signe de la
haute technologie. Un mince rideau transparent, sur lequel sont
projetés différents motifs ressemblant à des lasers et évoquant parfois la pluie,
sépare la scène du public. Comme nous l'explique Cléo, les projections sont "des vidéos issues de programmes interactifs qui réagissent en temps réel aux mouvements et aux sons" (création Maflohé Passedouet / Compagnie Mobilis Immobilis). Chaque chanson prend ainsi des allures
de mini tableau avec une mise en scène et une ambiance en constante
évolution servie par des éclairages particulièrement élaborés.
Effacée derrière sa propre création, on aperçoit plus Cleo, en
ombre chinoise, qu'on ne la voit réellement. En plus du chant, cette
dernière danse de plus en plus, des chorégraphies très étudiées rendant très bien dans cette configuration. Aussi ténu soit-il, les
anciennes chansons ont disparues du répertoire, le lien avec l'univers de
Cleo existe, on retrouve sa voix et la mélancolie qui autrefois
caractérisait parfois sa musique. Seule l'interprétation est
finalement différente. Longtemps l'univers de Cleo T a été associé
à une imagerie art déco/cabaret/art nouveau. Dorénavant l'artiste
se charge de projeter ces mêmes influences dans le futur. Si le
résultat visuel est bluffant, le spectateur est comme écrasé par
tout ce dispositif. Tout le monde reste silencieux et ose à peine
applaudir de peur de perturber le subtil ordonnancement de la chose.
Le spectacle est pour l'instant toujours en rodage et on nous promet
un show encore plus immersif à l'avenir. Quant au nouvel album de
Cleo, ce dernier est prévu pour début 2017.
De Triggerfinger à
Balthazar, il est entendu que depuis quelques années, la scène rock
belge est à la fois riche, variée et incroyablement excitante…
Une nouvelle preuve nous en est donnée avec The Sore Losers. Tout,
chez les Sore Losers rappelle l'âge d'or du rock n'roll, une période
fertile en chef d’œuvres allant de la fin des années 1960 au
mitan de la décennie suivante. Dans « Skydogs », leur
nouvel album, on retrouve la violence des Stooges, « Cherry
Cherry », la lourdeur noire de Black Sabbath (le fantastique
« Blood Moon Shining » d'ouverture) ou la déglingue
blues des Rolling Stones (« Can't you see me running »).
Les racines des Sore Losers sont ainsi très variées allant du
garage rock au psyché en y ajoutant à l'occasion quelques touches
de blues ou de hard rock. Au-delà de cette variété d'influences,
un dénominateur commun : l'urgence. D'une durée comparable à
celle d'un vinyle d'époque (une grosse demi-heure environ) l'album
s'écoute comme un shoot d'adrénaline, d'une seule traite.
Typiquement le genre de groupe pour qui le rock n'a d'intérêt que
s'il est accolé au roll. Pas foncièrement original, certes, mais
alors quelle efficacité ! Une claque !
Égérie du Paris by
night des années 1970/1980, Marie-France est également une voix qui
porte sur la scène rock n'roll française depuis un fabuleux album,
39° de fièvre, enregistré en compagnie de Bijou en 1981. Mais les
racines musicales de Marie-France remontent bien au-delà du rock
sixties ou garage à laquelle son œuvre discographique fait
référence. Point de guitares fuzz déchaînées ou de rockabilly
habilement adapté à la langue de Molière sur ce nouvel effort mais
un élégant album de torch songs à la française joué
majoritairement au piano et arrangé avec soin. Ce nouveau disque, a
été concocté avec l'aide de Jacques Duvall, parolier historique de
la chanson française (Lio, Alain Chamfort…) qui tricote un écrin
sur mesure pour la Belle Marie. Étonnamment, ce nouveau disque ne
fait pas tellement écho à sa discographie mais plutôt à sa
carrière cinématographique (elle est également actrice). En effet
Marie aborde chaque chanson comme on s'approprie un rôle et incarne
les textes à merveille (cf. « J'veux cet homme »). Sa
voix rauque et éraillée d'éternelle fumeuse brille ainsi de mille
feux dans cet univers cabaret taillé sur mesure pour elle. Un très
bel album à écouter un soir de solitude et de déroute
sentimentale…
En concert à Paris
le 25/11 (Cabaret de Mme Arthur)
Damien Félix est
sur tous les fronts en ce moment. Alors que sort ces jours-ci le
deuxième album de Catfish, le guitariste présente son nouveau
projet au nom prophétique, Bigger, comme un résumé de sa carrière
débutée en duo pour finalement jouer dans un groupe plus étoffé.
Au côté de Damien dans cette nouvelle aventure on retrouve donc
Kevin Twomey, le chanteur irlandais de Monsieur Pink ; sur scène
le duo est accompagné de Mike Prenat à la basse, Antoine Passard à
la batterie et Ben Muller aux claviers. Les présentations étant
terminées, passons maintenant au cœur du sujet : le disque.
Bigger, c'est ce genre de groupe, tout nouveau mais qui nous semble
étrangement familier. La six cordes de Damien y est pour beaucoup.
Son jeu emprunt de blues et rock garage trouve ici un nouveau terrain
d'expression plus pop, on pense parfois aux Beatles, parfois teinté
d'une atmosphère légèrement dark (« December » sous
influence Nick Cave). Si on compare avec Catfish, le résultat est
moins brut, la démarche moins marquée par le punk. Le groupe trouve
ainsi la juste distance entre une écriture soignée (les harmonies
vocales, les arrangement) et une puissance d'exécution justement
dosée ; on ne se refait jamais tout à fait, le disque contient
des parties de guitares assez corsées (cf. « Bigger »).
Une variété d'ambiance qui fait le bonheur du chanteur Kevin Twomey
à l'aise dans tous les registres, modulant à l'envie son timbre de
crooner rock. Un véritable interprète, dans tous les sens du terme,
se glissant dans les chansons comme un acteur fait corps avec son
rôle. Un joli EP au goût de trop peu, on attend l'album avec
curiosité…
Si les mots rock
n'roll ont encore un sens aujourd'hui, c'est bien grâce à des
groupes comme les Psychotic Monks. Quelques heures avant de
littéralement incendier la scène Ile-de-France du festival Rock en
Seine, le groupe se confie et se révèle aussi posé et réfléchi
qu'il est exalté sur scène. Interview et rencontre à la roots,
aussi en rond dans l'herbe par une chaude après-midi d'été...
Bonjour tout le
monde, c'est ma première interview avec des psychos, j'ai un peu
peur…
The Pyschotic Monks
(rires)…
Il y a un côté un
peu psychotique dans votre musique, quelque chose de répétitif et
d'entraînant. Où voulez-vous emmener l'auditeur avec votre
musique ?
The Psychotic
Monks : On veut l'emmener vers quelque chose d'humain, s'ouvrir
à lui-même et à nous. On aime beaucoup utiliser le terme de
transe. On trouve cette incantation à force de répétition. On
aimerait à la fois intriguer et leur donner la sensation de trouver
quelque chose en eux qui a toujours été là mais à laquelle ils
n'ont pas forcément accès dans leur vie de tous les jours. Les gens
ont besoin de se rassembler et de bouger tous ensemble, c'est ça
qu'on aime bien dans ce côté transe psychédélique. Si le public
arrive à ressentir la même chose que nous c'est vraiment super. On
essaie de se connecter tous ensemble et de connecter le public au
groupe.
Quand je vous
écoute, j'ai l'impression d'un groupe qui fait le lien entre le rock
heavy des années 1970 et le stoner plus contemporain. Comme un
groupe qui croise les influences…
TPM : Au départ
on vient chacun de musiques très différentes et on a appris
ensemble à découvrir des groupes qui mixaient toutes nos
références. Dans le stoner, on retrouve ce côté « autoroute »
qu'on aime bien. Ce côté très sec, desert rock. On écoute souvent
beaucoup de musiques et du coup la notre évolue en fonction de ce
qu'on écoute. On n'écoute pas tous forcément la même chose au
même moment et au final cela donne des influences assez variées.
Sans être un groupe
de blues à proprement parler, j'ai toujours l'impression qu'il y a
du blues caché dans votre musique, toujours prêt à sortir…
TPM : Bien sur.
C'est une influence commune. Il y a de la lamentation dans le blues,
c'est un chant presque de révolte par rapport à la condition de
ceux qui la chante, qui sont en détresse. Cette révolte est
importante pour nous…
Ah oui ?
TPM : On essaie
de mettre du sens dans notre musique. De l'utiliser comme un moyen
d'expression personnel pour parler de ce qu'on ressent dans la vie de
tous les jours. Ca peut être très beau mais aussi très violent des
fois. Ce blues est toujours là. Et puis le blues c'est aussi très
répétitif, la plupart des musiques viennent de là de toute façon.
Rock en Seine, c'est
une grosse opportunité pour vous. Comment vous le sentez ?
TPM : On est
ultra excités ! Et on a un peu peur aussi. A moins que cela
soit l'inverse. Il y a un an on y était comme spectateurs et là on
joue, c'est étrange comme sensation. On va essayer de vivre le
moment à fond. Et profiter du moment présent, on joue un set d'une
demi-heure, ça va passer vite ! On va monter sur scène et hop
ça sera déjà fini !
Justement, comment
vous abordez l'exercice du festival ? Par rapport à une salle,
le set est plus court, le public va et vient, faut le choper au
passage, il y a de la musique partout… Est-ce que cela a changé
quelque chose dans votre set ?
TPM : Nous on
aime raconter une histoire sur un set du début à la fin alors du
coup c'est assez compliqué pour nous… Il faut que le spectateur
soit là au début, au milieu et à la fin pour que le concert ait un
sens. On s'est posé la question en sens inverse : comment faire
pour que quelqu'un qui passe soit en contact instantanément avec
notre univers et ce qu'on a envie d'exprimer ? Qu'il puisse
entrer dans l'histoire parce que même sur une demi-heure on avait
envie de raconter une petite histoire dans le set. On en a besoin
pour être dedans du début à la fin. Il faut que cela ait un sens
aussi pour nous. A la fin du concert, on doit presque avoir
l'impression de ne plus avoir envie de faire de la musique tellement
on a tout donné.
Ah bon ? C'est
super intense…
TPM : Plusieurs
fois on s'est dit, en sortant de scène : « cette fois on
est morts ! ». On va au bout du bout du bout, tellement on
va chercher des énergies au fin fond de nous-même. C'est chargé
(sourire).
Et pour en revenir à
votre approche du story-telling, chanter en anglais n'est-il pas une
limite ?
TPM : Non. Mais
c'est sur qu'en France, le public va avoir peut-être un peu de mal a
comprendre les paroles. Après, il y a beaucoup de choses qui
passent par les sonorités du texte qu'il soit en français ou en
anglais. Sans comprendre le texte, les émotions passent quand-même.
Le fait d'être Français change aussi la donne. On a une culture
littéraire et poétique, Baudelaire par exemple. Il y a aussi des
choses magnifiques en anglais. On essaie de faire un mix des deux.
L'anglais c'est en cohérence avec notre musique. Tous les groupes
qu'on écoute chantent en anglais, c'est vraiment la langue dans
laquelle cela se passe. Le français crée un décalage qui ne
fonctionne pas avec nos lignes instrumentales. Ca peut fonctionner
cependant mais nous on ne le sent pas. On a essayé pourtant, on a
tous été dans des groupes qui chantaient en français avant. On
aime beaucoup écrire en français pour avoir du fond mais pour la
forme on préfère l'anglais.
Au moment où on se
parle, il doit être quelque chose comme 17h et vous passez ce soir à
22h. C'est un peu une métaphore de la vie de musicien, on passe son
temps à attendre son tour…
TPM : C'est ce
qu'on disait. On est là depuis 14h, on attend pour jouer seulement
une demi-heure Ca fait partie du jeu, ça nous laisse du temps pour
se balader dans le festival et aussi pour se concentrer. C'est une
manière de se mettre dedans aussi. La créativité ça vient en
partie de l'ennui. On n'est pas forcément en train de faire quelque
chose de concret, c'est de là que viennent les idées.
Donc c'est un moment
important ?
TPM : Oui. Et
parfois plus agréable ou moins. Ca dépend de l'état d'esprit dans
lequel on se trouve. C'est à chaque fois différent mais on est
contents de se retrouver sur scène.
Et alors quel est le
plan pour ce soir ?
TPM :
Généralement on aime bien les concerts qui prennent le temps de
s'envoler. Là on va essayer quelque chose de différent. On a
inversé la chose. On va démarrer très fort et notre histoire ça
va être cette mort qui va arriver petit à petit vers la fin.
Propos recueillis à
Saint-Cloud (Rock en Seine) le 27 Août 2016.
En concert à Paris
(Point Ephémère) le 8 novembre.
Fait de bric, de
broc et de récup' vintage, Le Chinois de Montreuil nous accueille en
ce samedi soir pour fêter la sortie du premier album des Angry Cats.
S'il est entendu que l'endroit est moins « classe » que
certaines anciennes salles historiques de Paris, le Chinois possède
son charme bien à lui fait d'objets de récupération, notamment un
joli bar en formica au-dessus duquel trône une belle illustration
50s entourée d'ampoules multicolores. Sur les murs traînent
quelques carreaux de faïence, vestiges d'une précédente activité
du lieu (une boucherie peut-être?) quand ils ne sont pas faits de
parpaings bruts. Il se dégage de l'endroit une âme et elle est
foncièrement rock n'roll…
Et ça tombe à
point nommé vu le plateau qui nous attend pour cette soirée. On
commence donc avec Western Machine, un trio à la composition
classique basse/batterie/guitare tout de rouge et de noir vêtu comme
dans une célèbre chanson de… Je plaisante ! Des trois
membres, c'est sans conteste la bassiste (et ses fausses moustaches)
Jesus La Vidange qui nous a fait la plus forte impression. Exaltée,
le regard exorbité, limite flippante, cette dernière délivre des
lignes puissantes dans un fracas de tous les diables, allongée, à
genoux et dans toutes les positions imaginables. Son association avec
le batteur François François est parfaite, ce dernier joue avec
subtilité, un mélange de puissance brute, de vélocité et surtout
de swing apportant tout le sel à la musique. Derrière une belle
guitare Seb Le Bison assure le job dans un tonnerre de décibels et
de pédale wha-wha dans la plus pure tradition garage. Enfin un
quatrième membre Matt le Rouge fait quelques apparitions éparses au
saxophone, apportant la note inattendue faisant toute la différence
et renforçant le swing de l'ensemble. Une très belle découverte
pour commencer la soirée.
S'ils ont quelque
peu délaissé le rockabilly qui a fait leur réputation sur leurs
deux premiers Eps, Les Angry Cats restent un redoutable trio qui
dorénavant exprime la fureur rock n'roll qui l'habite sur un mode
différent. S'il reste quelques vestiges (notamment dans les patterns
de batterie) du rockabilly, le trio exhibe dorénavant toute une
gamme d'influences allant du stoner au punk. Et le moins que l'on
puisse dire, c'est que cela dégage ! Avec son air cartoonesque,
Fred Alpi, le chanteur/guitariste assure le show gesticulant tel un
boxeur derrière sa superbe Gretsh demi-caisse. Une posture de
combattant qui va à merveille à son engagement politique consacré
à la lutte (cf. « Rock n'riot »). L'ambiance met un peu
de temps à monter avant que le public n'explose dans un pogo
ravageur vers la fin du concert au moment où le groupe entame son
hommage rendu à Lemmy dans une reprise d' « Ace of
Spades » (1980). Généreux, le trio reviendra sur scène pour
les rappels par deux fois sous les applaudissements et les cris du
public. Ce qu'on appelle une belle soirée.
Après sept ans de
silence, Sophia, le groupe mené par Robin Proper-Sheppard, un
citoyen étasunien exilé à Londres, fait son grand retour. La
carrière de ce dernier est placée sous le signe du drame. Celui
qui, en 1994, a stoppé net l'ascension de son groupe précédant,
The God Machine, en emportant brutalement le bassiste Jimmy
Fernandez. Depuis, Proper-Sheppard n'a de cesse d'exorciser ce
malheur en musique. A la tête de son groupe Sophia, lancé en 1996
après la séparation dramatique et douloureuse de The God Machine,
Robin Proper-Sheppard prend le contre-pied de tout ce qui a fait sa
réputation musicale jusqu'alors. The God Machine, turbulent trio,
évoluait de bruit et de fureur dans les remous shoegaze/grunge des
nineties. Sophia sera à l'opposé : une formation
majoritairement acoustique, jouant une musique habitée entre spleen
et dépouillement. Ce nouvel, et sixième, album ne déroge pas à la
règle mettant en avant des instruments tels que le piano et la
guitare folk (cf. « Baby, Hold On », « It's easy to
be lonely ») créant des ambiances où se mélangent
harmonieusement les nappes de claviers et les instruments acoustiques
(la baroque « You say it's alright »). Après le joli
instrumental d'ouverture au piano, « Unknown Harbours »,
déboule le monumental post-rock « Resisting »,
particulièrement électrique, pas forcément représentatif du son
du groupe mais irrésistible. Autre pièce de choix, « California »
voit Robin poser un regard désabusé sur son état natal, dans
lequel il est devenu un étranger, sur un fond pop rock tubesque en
diable. Sans revenir tout à fait à ses premières amours, Robin
monte le volume ça et là (« Resisting », « The
Hustle ») variant intelligemment les ambiances, ouvrant la voie
vers les rives inconnues évoquées dans le titre.
Voilà un singulier
objet que ce premier EP d'After Marianne où il est beaucoup question
de l'après, après l'existence ainsi que le résume le titre :
c'est un endroit fabuleux pour en terminer (cf. l'interlude lu par
une voix pour le moins étrange)… A l'image de sa pochette
« spatiale », After Marianne affectionne les ambiances
éthérées bâties sur un délicat mélange d'acoustique,
d'électronique et d'électricité savamment dosée entre envolées
pianistiques et nappes de claviers et de cordes. Le décor
« planant » est planté et il convient à merveille à la
voix diaphane de la chanteuse Mathilda. Son timbre entre en décalage
avec celui de Julien Doré, invité sur un titre, créant un
contraste. Une musique entre spleen et rêverie, lyrique à souhait,
qui n'est pas sans rappeler Sigur Ros. A découvrir.
A peine 21 ans, un
seul 45 tours et déjà sur la scène de l'industrie à Rock en
Seine : tout s'est accéléré ces derniers temps pour Theo
Lawrence et son groupe The Hearts. Assis dans l'espace presse du
festival et impeccablement gominé le jeune, sympathique et
talentueux musicien revient sur son parcours jusqu'ici et ses espoirs
pour l'avenir. Rencontre...
(c) Rodrigue Mercier
Bonjour Theo, alors
tu es de retour à Rock en Seine, là où ton groupe précédent, les
Velvet Veins, a joué son ultime concert. Dans quel état d'esprit
es-tu ? Il y a une émotion particulière ?
Théo Lawrence :
Et bien, je me sens vraiment chanceux. Très chanceux. J'ai grandi à
Paris alors je sais très bien ce que représente Rock en Seine. Cela
me fait vraiment très plaisir d'avoir l'occasion de jouer dans ce
festival alors que l'on a sorti seulement un 45 tours c'est à dire
deux chansons. Je me dis que les étoiles étaient bien alignées
(sourire). C'était une magnifique expérience et une scène superbe.
J'adore ce festival. C'était très émouvant. Et très motivant pour
moi et le groupe. Le contexte est stimulant. Un très beau souvenir.
La dernière fois
les Velvet Veins s'étaient produits sur la scène Ile-de-France qui
est réservée aux groupes locaux en développement et là tu étais
sur la scène de l'industrie, avec les grands si on peut dire. C'est
une belle promotion, assez rapide…
Théo :
Exactement. La première fois que je suis venu ici c'était avec mes
parents en 2010. J'étais venu voir un de mes groupes préférés,
j'avais 12 ou 13 ans. Et je me souviens très bien, avoir vu les
groupes sur la scène de l'industrie. Cette scène est restée
imprimée dans ma tête. Et du coup hier je me suis retrouvé sur
cette même scène, je m'en suis souvenu, c'était émouvant.
Un rêve d'enfant ?
Théo : Oui, un
rêve d'enfant, absolument. Quand je pense à un festival que j'ai
envie de faire en France, je pense à Rock en Seine. J'étais très
heureux quand on m'a annoncé la nouvelle. Trop heureux.
(c) Christophe Crénel
Après les Velvet
Veins il y a eu une petite période de transition en trio jusqu'à la
formation des Hearts. Comment ça s'est passé ? Tu as tâtonné
pour trouver la bonne formule ?
Théo : Je
savais que je voulais faire mon groupe pour jouer la musique qui me
plaisait. Et pour ça il fallait trouver les bonnes personnes. Le
solo, c'est bien pour écrire. Quand j'écris mes chansons, chez moi
dans ma chambre, je suis toujours seul avec une guitare. Même si
j'apprécie d'être en solo sur scène de temps en temps pour une
chanson ou deux, ça ne me permet pas de jouer toute la musique que
j'aime. Il me fallait des musiciens pour mettre ça en forme. Je les
ai rencontrés sur plusieurs années. La période a été assez
longue mais quand je les ai trouvées je savais que c'était les
bonnes personnes. En fait je n'ai même pas eu à les chercher. Il
fallait qu'il y ait de l'amour pour la musique qu'on fait. On a
commencé à jouer à trois, puis à quatre et cinq sur un an et demi
à peu près. La formation définitive ça fait à peu près un mois
et demi qu'on joue ensemble. Le nouveau claviériste vient d'arriver.
Maintenant c'est définitif.
Quelque chose m'a
frappé hier pendant le concert j'ai retrouvé un peu le son des
Velvet Veins, du rock, du blues parfois très ancien, du Delta, et
une ouverture nouvelle vers la soul music qui m'a un peu surpris…
Théo : Dans le
groupe on est des grands amateurs de soul, on collectionne les
disques, depuis toujours on en écoute énormément. Le jour où on
s'est tous rassemblés pour faire de la zic ensemble, c'est ce qui
est naturellement sorti. Ce n'était absolument pas un choix
réfléchi. C'était l'extension de nous cinq réunis. On est très
inspirés par les labels à l'ancienne, Stax, Motown, le sud-est
américain, la southern soul. On est respectueux de la tradition. Des
chansons simples, qui vont droit au but avec des sujets classiques
que tout le monde peut s'approprier. Intemporel. Et après on essaye
de ne pas être trop orthodoxes non plus. On ajoute d'autres styles
qui font que ce n'est pas juste de la soul music. Au sens littéral
soul cela signifie de la musique fait sincèrement, de l'âme, du
fond du cœur. Donc on aime bien dire qu'on fait de la soul. On se
reconnaît dans cette caractéristique. On ne veut pas faire quelque
chose de trop passéiste ou référencé au passé même si on en est
très respectueux.
Ton chant est aussi
différent avec ce nouveau groupe…
Théo : J'ai
juste grandi. J'avais 18 ans à l'époque des Velvet Veins. Je viens
d'avoir 21 ans, entre temps tu changes de voix. Tu te calmes un peu.
Tu t’assagis, tu fais moins d'effets. Avec le groupe d'une manière
générale on essaie de rester dans la sobriété et de faire les
choses le plus simplement possible. De manière à toucher le plus de
monde, même ceux qui n'écoute pas particulièrement de musique.
(c) Dom Secher
Quel est ton rapport
avec le Canada aujourd'hui ?
Théo : Je m'en
sens très proche, la moitié de ma famille vient du Québec. J'adore
le Canada, c'est, jusqu'ici, mon endroit préféré sur terre. Mon
parrain est Canadien et m'a beaucoup soutenu dans mon apprentissage
musical. J'espère vraiment y tourner bientôt, je n'ai pour
l'instant encore jamais eu l'occasion d'y jouer.
Et tes groupes
Canadiens préférés ?
Théo : Timber
Timbre est un de mes groupes préférés. Neil Young que je respecte
infiniment pour sa carrière parfaite de musicien indépendant qui
envoie tout le monde se faire foutre. Respect infini. The Band
également.
J'ai vu qu'il y
avait un voyage de prévu aux USA bientôt…
Théo : C'est
le berceau de toute la musique que j'écoute depuis que je suis tout
petit. Au-delà de la musique je me suis passionné pour le folklore
et le style de vie en général dans le sud-est, le Mississippi. Tout
ce que le peuple fait quotidiennement, l'artisanat, la nourriture, la
politique, l'histoire en général. Je n'ai jamais eu l'occasion d'y
aller, j'étais trop jeune. Maintenant que j'ai 21 ans et que je peux
entrer dans les salles de concert, mon premier réflexe a été de
prendre un billet d'avion. J'ai envie d'expérimenter empiriquement
le lieu, de voir à quoi cela ressemble.
C'est un voyage
initiatique…
Théo :
Exactement. J'ai l'impression de déjà connaître l'endroit
tellement je m'en suis imprégné avec des films, des photos, de la
musique. Je suis vraiment obsédé par cet endroit. J'ai hâte...
Quels sont les
projets pour le groupe à l'avenir ?
Théo : On
rentre en studio pour enregistrer un EP, on espère le sortir pour
fin 2016. Et après on a des dates en France pour l'instant. Mais je
suis focalisé sur le studio. On a écrit beaucoup de chansons qu'on
n'a pas eu l'occasion d'enregistrer. On a envie de faire des disques.
On est très prolifiques dans notre manière d'écrire de la musique.
J'essaie d'avoir une éthique de travail assez rigoureuse. Tous les
jours j'essaie de m'asseoir et d'écrire des morceaux, de sortir
quelque chose sur le papier. J'ai toujours mis un point d'honneur à
produire sans jamais me reposer sur ce que j'avais déjà fait. Je
n'ai pas envie qu'on soit ce genre de groupe qui passe trop de temps
à toujours jouer les mêmes chansons et à se reposer sur son passé.
Il y a trop de chansons à écrire. J'ai peur de la répétition, je
trouve ça chiant pour tout le monde, l'artiste et les spectateurs.
J'ai trop de projets dans la tête pour être prudent et sortir un
album tous les dix ans. C'est pour ça qu'on privilégie des méthodes
d'enregistrement assez rapides, tous en live. On fait peu de prises,
on n'a pas le temps d'hésiter. Il faut garder la spontanéité.
(c) Brice Martinat
Propos recueillis le
27 Août 2016 à Rock en Seine.
Ce n'est pas tous
les jours que l'on a l'occasion de chroniquer un groupe venu de
Pologne et c'est donc une première sur ce blog. De fait, l'histoire
de Trupa Trupa relève d'une de ces heureuses coïncidences,
tellement rares et qui font tout le sel de l'existence. Le quartet de
Gdansk a été découvert, totalement par hasard, par Stéphane
Grégoire, patron du label Ici d'ailleurs lors d'un séjour en
Pologne après que ces derniers lui aient offert un exemplaire de
leur album « Headache ». Bien que peu de gens ont eu la
chance jusqu'ici de poser une oreille dessus, le disque en question
bénéficie d'une aura « culte » depuis que Sasha
Frere-Jones, un critique estimé du Los Angeles Times, a décrété
que « l'un des meilleurs groupes de rock actuellement en
activité se trouve à Gdansk, en Pologne ». C'est donc entre
impatience et fébrilité que l'on pose à notre tour la galette sur
la platine. Le bien mal nommé « Headache » (migraine,
mal de tête) est un disque rare, reposant sur un équilibre fragile
entre tradition et originalité. Pour résumer, Trupa Trupa assume
sans complexe l'héritage des groupes psychés des années 1960 à
nos jours (cf. « Give'em all », « Snow »,
« Sacrifice ») sans pour autant tomber dans le piège du
revival vintage. Trupa Trupa respecte autant les traditions qu'il les
trahit par ailleurs pour mieux innover et inventer sa propre musique.
Le disque tombe alors dans une espèce de faille, un entre-deux, là
où les sixties psychédéliques croisent le shoegaze des années
1990 (cf. « Wasteland », l'impressionnante « Headache »).
Entêtant, hypnotique, répétitif (cf. « Getting older »)
voire dissonant (« Rise and fall ») ce n'est qu'après
plusieurs écoutes attentives, nécessaires pour s'approprier le
disque que l'évidence de ce dernier se fait jour. Le quatuor a
réussi a graver dans la cire un moment tout à fait unique. D'une
part les compositions sont solides et quelque part évidentes. Mais
le groupe a réussi à les habiller d'un costume expérimental sans
en faire des tonnes et sans tomber dans la surenchère grossière non
plus. Riche, l'album révèle ses trésors l'un après l'autre, comme
un renouvellement organique et naturel, chaque écoute révélant un
nouveau détail pour dévoiler au final une fresque impressionnante.
Après une sortie dans sa Pologne natale en 2015, « Headache »
arrive chez nous le 21 octobre prochain dans une version
remasterisée. Et le nouvel album de Trupa Trupa est annoncé pour
2017 !
On ne dit pas ça
pour passer de la pommade, mais, il n'y a pas à dire, sans le label
Born Bad, on s'amuserait quand-même bien moins ! Infatigable
pourfendeur de l'idée selon laquelle tout est beaucoup mieux chez
les anglo-saxons, Born Bad n'a de cesse de parcourir les archives et
autres improbables fonds de tiroirs à la recherche de pépites
francophones oubliées. De quoi garnir les excellentes compilations
Wizzz (trois volumes consacrés au rock 60s) et France Chébran
(orienté funk 80s). Dans le même ordre d'idée, la dernière
trouvaille en date de Born Bad s'appelle El'Blaszcyk. Derrière le
patronyme barbare, se cache un musicien iconoclaste et inclassable.
Certes, le disque est bizarre, bancal et imparfait et on l'adore !
Il se dégage de ces chansons un charme unique, celui de
l'enregistrement qui tient du bricolage et des bouts de chandelles
rafistolés. Entre rock garage, psyché et yéyés (pourtant les
enregistrements datent du début des années 1990) le « rock
band by himself » (autrement dit un one man band) El'Blaszcyk
pratique une musique cinématographique ; pas une
superproduction hollywoodienne, plutôt un film amateur bricolé au
super 8 entre potes où l'interprétation prend tout son sens. En
compagnie de sa petite sœur et de la meilleure copine de cette
dernière, toutes deux à peine adolescentes à l'époque,
El'Blaszcyk « interprète » ses chansons comme autant de
petites saynètes extraites de courts métrages. Qui d'autre
aujourd'hui oserait chanter « Quand tu m'caresses » (une
chanson cochonne pour rire) ou vanter les louanges du « Tapfex »
(une improbable machine à donner des baffes de son invention) ?
L'autre truc d'El'Blaszcyk c'est de chanter la (mauvaise) santé et
cela donne autant d'inénarrables pépites : « J'ai pas
d'santé », « Radiographie », « Piquouze
jerk » (quel titre!!!) ou « Huggy gully neurasthénique »
(on vous laisse découvrir les paroles...). Même tardive, il s'agit
d'une révélation !
De Julien
Barbagallo, on connaissait le touché de baguette magique au sein de
multiples groupes dans lesquels il a officié derrière la batterie
et non des moindres : Tahiti 80, Hyperclean, Aquaserge, Tame
Impala, excusez du peu… Ce soir on découvre le Julien chanteur,
trônant derrière sa batterie au milieu de ses musiciens alignés
sur le devant de la scène : clavier, guitare, batterie et
basse. Si la posture batteur/chanteur n'est pas inédite, elle n'en
reste pas moins extrêmement rare. Et ce n'est probablement pas un
hasard si la musique de Barbagallo nous paraît, par sa nature même,
extrêmement rythmique, la section formée avec l'excellente bassiste
se taillant la part du lion. La basse est ronde, énorme, au son très
sixties et forme un contraste saisissant avec les synthés plutôt
d'obédience eighties. La guitare, acoustique quant à elle est
dévolue à un rôle exclusivement rythmique. Dans la musique de
Barbagallo se bousculent un certain nombre d'influences, un soupçon
de variété italienne pour la note exotique sans tomber dans la
ringardise, une lampée de chanson et une bonne dose de pop. Dans le
fond, et l'esprit, le résultat n'est pas si éloigné de ce que
propose des groupes tels que Tahiti 80 ou Forever Pavot à l'heure
actuelle mais chanté en français. Le nouvel album de Barbagallo
sort à la fin du mois et on est curieux de l'écouter. Belle
découverte.
Les lumières
s'éteignent, plongeant l'audience dans l'obscurité, alors qu'un son
menaçant et lancinant se fait entendre… Une lumière rouge brille
dans le noir et son ombre, immense fait son apparition sur le mur du
fond. Depuis la sortie de son premier EP, on avait un peu perdu Rover
de vue et il a fait un sacré bout de chemin depuis avec deux albums
couronnés de succès. Derrière ses lunettes noires, Rover est un
exalté, qui hurle dans le micro, en nage dès le deuxième morceau.
L'engagement physique des quatre musiciens est impressionnant. La
musique fait un grand écart constant entre la cold wave (on pense
parfois à Interpol, notamment la voix) et des arrangements pop
élaborés évoquant Gainsbourg (celui de « Melody Nelson »)
ou les Beatles. S'il exhibe une collection de guitares demi-caisse
toutes plus belles les unes que les autres (Rickenbacker, Danelectro,
Epiphone) et s'il connaît indéniablement en matière de six cordes
(certaines envolées à la guitare sont impressionnantes), la musique
de Rover laisse aussi une belle place aux nappes synthétiques.
Certains titres laissent échapper une immense ambition musicale (pas
tellement loin du classique dans l'esprit) alternant longues nappes
planantes aux claviers et de brusques attaques de guitare électrique.
La section rythmique joue un rôle essentiel dans l'affaire et
pratique une sorte de groove glacé à base de lignes de basses
énormes et froides. Magnifique concert.
S'ils délaissent
quelque peu le rockabilly (encore que) sur ce premier album,
l'explosif power trio The Angry Cats n'en reste pas moins rock
n'roll. Une fois le court instrumental d'ouverture passé, le groove
du premier titre « Put your hand in mine » est tout
simplement fantastique, dévastateur, l'interaction entre la basse et
la batterie est à tomber par terre, enfin c'est le pied quoi !
Le reste de l'album est à l'avenant carré, ravageur, mais surtout
riche d'une variété d'influences tout en restant fidèles aux
fondamentaux du rockabilly (en matière rythmique notamment). Et
c'est bien ça qui impressionne le plus dans ce groupe, cette manière
unique de fondre un univers dans un autre, de réinventer, d'apposer
une patte personnelle dans un univers aussi codifié. Bref d'inventer
plutôt que de suivre ou de rechercher à recréer le passé, aussi
glorieux fût-il (cf. « Everyone i know »). Pour le
reste, on retrouve le trio tel qu'on l'a laissé, c'est à dire
conscient et engagé, comme ils le disent eux-même : « I
just can't keep out of politics ». Toujours prêts à dégommer
les « Invisible hand » et autres « Master of the
world », les Angry Cats se nourrissent de l'air du temps, et ce
dernier n'est pas forcément réjouissant (« A day of fear and
frown » évoque le meurtre de Michael Brown à Ferguson). Il en
résulte et un album tendu et nerveux, dopé par une adrénaline
allant crescendo.
Avec toute
l'énergie, la candeur voire la folie de leur vingt ans, Johnny Mafia a attaqué la scène du Petit Bain comme une tornade. Voilà le genre
de groupe grâce à qui, les services de sécurité ne seront jamais
au chômage ! Au bout de trois (peut-être quatre) morceaux, la
fosse ressemble à un bazar sans nom, pogo endiablé, slam pieds
par-dessus la tête avant de finir par un envahissement en règle de
la scène par le public, en gros, pour résumé, depuis les Black
Lips on n'avait pas vu un bordel pareil, les verres (en plastique,
heureusement) de bière volant dans le public ! Ce concert ressemble
à ces moments d'oubli (voire d'égarement) de notre jeunesse. La
musique est à l'avenant, garage rock déglingué, joué le pied au
plancher, certains titres n'excèdent pas les deux minutes. En live
les expérimentations psyché du disque s'effacent peu à peu et il
nous semble détecter un soupçon de grunge dans le chant. Johnny
Mafia joue vite et fort, vous êtes prévenus, c'est du rock n'roll…
Décidément, cette rentrée sera à l'heure californienne. Quelques jours après avoir exposé les nouvelles œuvres de Chuck Sperry, la galerie l’œil ouvert accueille de nouveau trois artistes également originaires de San Francisco : Annie Galvin, Eric Rewitzer et Paul Madonna pour trois regards croisés sur la magnifique ville du nord de la Californie.
Du 6 au 30 octobre, Galerie l'oeil ouvert Marais, 74 rue François Miron, 75004, Métro St Paul.
C'est à la cité de
la musique de Marseille, à l'occasion de la dixième édition des
« Rencontres Tambor y Canto » en 2013, qu'est né ce
nouveau projet du pianiste Simon Bolzinger. Le disque est né de la
rencontre entre le pianiste et quatre percussionnistes venus de pays
différents : Cuba, Brésil, Argentine et Pérou. Le résultat
est placé sous le signe du rythme, effréné, et de la rencontre
avec le jazz symbolisé par le piano, la contrebasse et le saxophone,
comme une fusion entre deux univers différents mais complémentaires.
Chaque percussionniste joue d'un instrument traditionnel, typique de
son pays. La richesse rythmique de la chose est infinie, très
subtile (cf. "Yambu marsellés"), et se marie avec bonheur au jazz d'ambiance tantôt
« nocturne » (cf. « Zamba para Sylvie »)
tantôt manouche (cf. « Primer Asado ») tantôt swing
sautillant (cf. « Periquito panamericano ») du pianiste.
Le chant en espagnol apporte une dimension supplémentaire plaçant
ce superbe projet sous le signe de la curiosité exotique. A
découvrir.
Beau plateau hard
rock/métal en ce lundi soir à la flèche d'or, l'ancienne gare
désaffectée transformée en salle de concert avec vue sur la voie
ferrée.
On commence avec
Honeymoon Disease quatuor composé de deux filles, au chant et aux
guitares, et de deux garçons composant la section rythmique. Très
inspiré par les années 1970, la chanteuse arbore un tatouage de
Thin Lizzy, à l'image de la muscle car qui leur sert de logo affiché
dans le fond de la scène, le groupe livre un rock carré pas
foncièrement original mais plaisant.
Place ensuite au
gros morceau de la soirée le surpuissant trio RavenEye dont on avait
auparavant évoqué l'EP et l'album. Ça commence par un
enregistrement de corbeaux légèrement flippant, évoquant un film
gothique pas tout à fait raccord avec l'esthétique du groupe.
Guitariste passé par le blues, Oli Brown a (provisoirement ?) lâché
la note bleue au profit d'un son nettement plus heavy. Le trio
dévaste tout sur son passage, dans la foulée d'un batteur à la
scansion démentielle et porté par un réel plaisir du jeu. Derrière
sa basse Aaron glisse sur le son tel un surfeur sur la vague
délivrant des lignes énormes remplaçant même la guitare à
l'occasion sur un titre joué en version basse/batterie (un peu comme
chez Royal Blood). Quant à Oli s'il s'entend en matière de gros
son, un reste de blues subsiste dans ses soli. Ce dernier assure le
show grimpant aux échafaudages qui encadrent la scène, chantant au
milieu de la foule ou traversant la fosse sur les (larges) épaules
de son bassiste Aaron (un vrai travail de force !). Il n'en faut
guère plus pour s'assurer de l'adhésion du public et pour passer
une bonne soirée sous le signe du fun. Efficace.
Autant l'avouer de
suite, on avait jamais entendu parler de Zodiac avant ce soir, mais
ce n'est pas grave, ce sont des choses qui arrivent. Zodiac, donc est
un quatuor Allemand évoluant dans un registre inspiré des années
1970, Black Sabbath, ce genre de choses. Certes, le créneau est pour
le moins encombré mais les teutons ont des arguments pour faire la
différence : un son clair, net et tranché et un travail
intéressant sur les guitares aussi bien rythmiques que solo, le duo
de six cordes se complétant parfaitement avec bonheur. Un art du
solo, du riff bien trouvé, de la rythmique, techniquement complexe,
balancée avec audace qu'ils savent également mettre au service du
blues, genre qu'ils revisitent parfois à leur sauce, faite de
feeling épicé aux décibels. On le répète souvent mais si tout
ceci n'a rien de fondamentalement original, il y a tout de même de
chance qu'on se lasse un jour de ce style classique et intemporel...
Hildebrandt et Lescop, le divan du monde, 1er octobre 2016 (c) Aurélien Arcaix
Hildebrandt et Mr. K, le divan du monde, 1er octobre 2016 (c) Aurélien Arcaix
Ah les vicissitudes
de la vie d'artiste, faite de hauts et de bas ! Prenez Hildebrandt par
exemple qui se présente sur la scène du Divan du Monde, marchant
avec des béquilles, résultat d'un accident survenu sur le tournage
de son dernier clip. Hildebrandt fête ce soir la sortie de son
excellent premier album en solo « Les Animals » et,
hélas, hélas, hélas, le divan du monde sonne cruellement creux
avec une trentaine de spectateurs seulement, une maigre foule se
rassemblant dans la fosse. Et c'est bien dommage. Affirmons-le une
fois de plus, les absents ont eu tort. Situé au croisement de
différentes cultures, Hildebrandt a donné un concert de grande
classe où les influences se culbutent entre rock, chanson et pop
électronique. On s'en doutait un peu à l'écoute mais certains
titres comme « Les Animals » et « Vos gueules »
possèdent un potentiel scénique certain que l'on qualifiera de
« rentre dedans » bien servies par un duo de guitaristes
furieux, Pierre et Nico, ex-membres comme lui du groupe Coup
d'Marron. Cette électricité latente fait contraste avec d'une part
les claviers et boite à rythmes d'obédience électro mais aussi les
textes en français ancrés dans la tradition de la chanson (à ce
titre notons également les reprises de Ferré et de Gainsbourg). Au
milieu de tous ces mélanges se trouve Hildebrandt, artiste à la
voix puissante et à l'univers singulier qu'il convient de découvrir
au plus vite.
En mini-tournée cet
automne avant de prendre un peu de temps pour mieux inventer la
suite, le quatuor Parlor Snakes revient longuement sur son deuxième
disque, une étape fondamentale de leur évolution, enregistré à
New-York City en compagnie du légendaire Matt Verta-Ray. Interview
fleuve avec la chanteuse Eugénie Alquezar accompagnée du batteur
Jim.
Il s'agît de votre
deuxième album. Le groupe aime bien prendre son temps…
Eugénie (chant/clavier)
: C'est une façon de voir les choses. Entre le premier album qui est
sorti en 2012 et celui-ci, il y a eu pas mal d'événements. On a
beaucoup joué, beaucoup de concerts, de premières parties, une
tournée avec Jim Jones Revue… L'écriture, le rodage. On peut
avoir l'impression qu'on prend notre temps mais au final on n'a pas
arrêté de bosser. C'était aussi un choix d'enregistrer à New-York
et il a fallu s'organiser en amont.
Jim (batterie) :
Mais c'est vrai que dans l'ensemble ça ne va pas vraiment dans le
sens où la durée de vie des disques est de plus en plus courte.
Pour beaucoup de groupes il y a 4 ou 5 ans entre deux albums. On
n'est pas pressés. Mieux vaut faire les choses bien. Après rien ne
dit qu'on ne va pas sortir un autre album dans un an…
Est-ce que vous
pensez que la collaboration avec Matt Verta-Ray (guitariste des
légendaires Speedball Baby, ndlr) a amené le groupe vers autre
chose ? Vous étiez surpris par le résultat ?
Eugénie :
Surpris, non. On l'a sollicité parce qu'on voulait un certain
résultat. On savait qu'il pouvait apporter ce son spécifique, sale
et organique, sur bande. On voulait ce type de son et c'était le
spécialiste. On a eu plein de bonnes surprises pendant
l'enregistrement. Tu rêves d'un truc dans ta tête, t'imagines des
choses, le résultat est toujours un peu différent de ce que tu as
rêvé. Mais là c'était différent dans le bon sens du terme.
C'était mieux que ce que j'espérais personnellement.
Jim : Ne
serait-ce que techniquement, la configuration de son studio, on est
presque tous dans la même pièce. De point de vue du batteur, je
m'étais préparé à un certain type de jeu. Il faut que je sois
Dave Grohl sur cet album (rires) ! Et on se retrouve dans la
même pièce, on ne va pas s'assourdir non plus juste parce qu'on est
musiciens (rires) ! On passe alors à un mode de jeu, peut-être
un peu plus léger. Au final ça va sortir un truc auquel moi je ne
m'attendais pas et duquel je suis content finalement. J'ai pris un
parti sur chaque chanson de ré-accorder la batterie, modifier le son
des cymbales, j'espère que cela va s'entendre. Mais cela nous a fait
prendre une direction différente.
Eugénie :
C'est assez garage dans la manière d'enregistrement. On était dans
une cave. C'est pas un studio immense et high-tech. C'est pas
Hollywood. Mais c'était exactement l'ambiance qu'il nous fallait
pour enregistrer ce disque. Il nous fallait de la chaleur, de la
moiteur.
Jim : De la
pluie et des inondations aussi (rires) !
Eugénie : Un
côté exigu mais avec des instruments et des livres partout… Des
bandes de groupes qu'on adore qui traînent. Tout ça participait
d'une ambiance hyper-inspirante.
Le fait d'être dans
la même pièce ça a donné quelque chose de particulier au niveau
de l'énergie ?
Jim : Bien sur.
Eugénie : Oui.
La basse et la batterie ont été enregistrées ensemble sur la
plupart des morceaux. La guitare aussi parfois. On se voit, on se
regarde, on transpire ensemble… Forcément l'énergie différente
par rapport à d'habitude où chacun joue sa partie à tour de rôle
et on attend sur le canapé. Ce n'est pas du tout la même manière
de procéder.
Jim : Et pour
le coup c'est complètement raccord avec sa technique
d'enregistrement. Tout
est vivant de A à
Z, de la conception jusqu'au mixage.
Eugénie : Même
pour la partie mix, tu ne vois rien. Tu n'es pas devant un ordinateur
avec des fréquences qui s'affichent. Tout est patché sur la table
de mix, tout est fait manuellement. Des fois on était quatre, il y
avait huit mains qui tripotaient les boutons, c'était vraiment un
échange. Si tu n'est pas content du premier mix tu recommences en
écoutant le morceau du début à la fin. C'est vraiment de l'écoute
et du doigté. Moi j'aime bien ce côté artisanal.
(c) Renaud Montfourny
Et les retrouvailles
avec Matt Verta-Ray à la maroquinerie quand Heavy Trash (le groupe
formé avec Jon Spencer, ndlr) est passé au Nuits de l'Alligator (le
27/02/2015, ndlr) ?
Eugénie : Oui
on l'a revu. C'était un moment un moment très particulier pour moi.
C'était à la maroquinerie que l'on s'était rencontré avec Matt la
première fois, il y a quatre ans. Se retrouver en ayant travaillé
ensemble avec tous les souvenirs que cela suppose. C'était encore
plus fort. Je lui ai donné le vinyle de l'album. On a passé une
super bonne soirée, on a dansé, c'était super cool. Un bon moment
d'échange et de retrouvailles. Très chouette.
Et son studio ?
Eugénie : Il a
peu d'instruments finalement, beaucoup de claviers. Peu de guitares,
trois ou quatre, mais vraiment très bonnes.
Jim : Il a peu
de basses, une ou deux et un seul ampli mais, encore une fois, c'est
le bon ampli.
Eugénie :
C'est bien ordonné mais c'est petit.
Jim : C'est
bien tout est facilement accessible.
Eugénie :
Peter (le guitariste du groupe) s'est bien amusé a essayer les
guitares…
Il n'en a pas
embarqué une au passage (rires) ?
Eugénie (rires) :
Si tu veux c'était déjà tellement galère de transporter nos
instruments jusqu'à New York…
Jim : Peter a
dû démonter sa guitare pour la faire tenir dans une valise
(rires) ! Il a dû la dévisser ! Avec la peur constante
qu'un mec jette la valise comme ça ! Cela fait flipper…
Eugénie : On a
voyagé assez léger. Par contre on est revenus avec les bandes.
C'était le mic-mac à l'aéroport pour le partage du poids sinon
t'es taxé à mort…
Qu'est-ce que vous
espériez en débarquant à New-York et qu'est-ce que vous avez
finalement trouvé ?
Eugénie : Moi
j'y étais allé une fois en touriste avec Peter. Pour lui c'était
comme un retour à la maison il a vécu là-bas pendant de longues
années, il a ses repères et une partie de sa famille à Brooklyn.
Nous on était partis avec l'objectif de travailler et ça change
complètement ta manière de vivre la ville. C'est encore mieux. T'as
vraiment l'impression de faire partie de la ville, de vivre comme un
new-yorkais. On se levait tôt, on prenait le métro, on arrivait au
studio, on allait s'acheter un café avant… Le soir on sortait on a
vu plein de concerts à droite, à gauche.
Jim : C'est
drôle parce que du coup en fait tu te retrouves très vite dans un
mode de vie structurant. En treize jours on s'est retrouvé dans le
mode vie d'un habitant. Tu habites en banlieue parce que le centre
est trop cher…
Eugénie : On
était dans un appart un peu cra-cra. Un peu le bordel mais c'était
cool.
Jim : Non pas
cra-cra. On n'avait pas de bed bugs et ça c'est une vraie plaie…
Eugénie : On
était à Brooklyn, quand on est arrivés on avait l'impression que
le quartier était un peu craignos mais en fait tout le monde se dit
bonjour. Il y a un truc hyper agréable à New-York, les gens sont
très sympas, très positifs, très enthousiastes. Ils ne sont pas
flippés comme à Paris où tout le monde fait la gueule et personne
ne se parle. Ils n'ont pas la même manière de voir les choses que
nous. Il n'y a pas de meilleur endroit pour bosser. Ils sont dans
cette optique de boulot, tu décides de tes horaires comment tu vas
organiser ta journée, ce n'est pas l'ingénieur du son ou le
technicien qui veut rentrer chez lui qui décide. C'est toi et
franchement je trouve ça très agréable. Il y a une manière de te
pousser à donner le meilleur de toi-même avec beaucoup
d'enthousiasme, d'écoute. C'est peut-être un peu faux au début
mais quand tu arrives de Paris, le faux ça ne te dérange pas du
tout. Je disais même bonjour au flic dans la rue. Dans le métro, il
n'y a pas une seule fois où on n'a pas discuté avec quelqu'un. Il y
a des choses qui ne se font pas à Paris et là-bas ça se fait…
Bizarre. Avant que ça arrive à Paris… Soit c'est parce que tu te
fais emmerder soit il se passe un truc agressif mais c'est quand même
très rare qu'il y ait un échange.
Quand tu es avec tes
bagages dans le métro parisien tu galères tout seul…
Eugénie : Oui
et en plus t'es dans le passage dont tu fais chier.
Jim : Là-bas
c'est : « Vous êtes touristes, c'est bien, vous pouvez
aller voir cet endroit... »
Eugénie : En
revenant j'ai essayé de garder ce côté enthousiaste, dire bonjour
etc... Et puis t'es vite rattrapé par la mentalité générale… Je
suis Parisienne et j'aime beaucoup ma ville mais c'est bien de
voyager voir comment ça se passe ailleurs…
(c) Marion Ruszniewski
Eugénie est-ce que
tu pourrais nous parler de ton travail aux claviers sur le disque ?
Ils sont assez discrets mais prépondérants...
Eugénie : Je
ne suis pas une grande pianiste, il n'y a pas de solo comme c'est le
cas avec Henry (Herbert, ndlr) des Jim Jones Revue parce que, tout
simplement, je n'ai pas le niveau. Et puis il n'y a pas trop la place
pour dans notre musique. Les claviers, pour la plupart des sons
d'orgues que j'utilise comme des nappes. Un soutien. Il y a des
moments où ça fait partir le morceau ailleurs. C'est ça que j'aime
beaucoup, les ambiances, qui t'amènent à un autre endroit. Matt
(Verta-Ray, ndlr) les a mixé de manière très subtile et j'adore
cette manière de faire. Tu le sens plus que tu ne l'entends. « Just
Drive » sans les claviers ce n'est pas le même morceau. Il est
extrêmement discret mais ça pose l'atmosphère, le morceau. En
live, le clavier est différent, plus agressif, distordu et mis en
avant.
Jim : Surtout
que maintenant tu as un ampli !
Eugénie : Au
tout début du groupe il n'y avait pas de claviers. Et puis c'est
venu au fur et à mesure. On avait envie de quelque chose d'un peu
retro, d'un peu saturé. Il est chouette mon clavier, il y a plein de
sons d'orgues et plein de sons bizarres, modulables qui vont bien
avec les effets rajoutés sur la voix.
Un des aspects qui
m'avait beaucoup plu dans le disque c'est la sensibilité pop comme
sur « Always you » qui se cache derrière le rock n'roll
garage…
Eugénie :
C'est marrant ce terme de pop parce que pour moi c'est presque un
morceau punk, un peu psyché. En live c'est une chanson qui envoie
bien la patate. Moi ça me rappelle le Velvet Underground, cette
structure répétitive. C'est une chanson féministe, c'est vraiment
le point de vue d'une nana. Ce côté pop vient de peut-être des
chœurs, le fait que la chanson soit assez courte. Qu'est-ce que tu
dirais toi ?
Jim : Moi je
dirais pourquoi pas pop après tout… Populaire si cela touche des
gens dans ce cas oui, tant mieux.
Eugénie : Bien
sur ! On veut faire une musique populaire !
Jim : On n'est
pas là pour faire peur aux gens non plus. Il y a d'autres morceaux
dans le disque qui sont plus vénéneux, plus péchus. C'est léger,
ça envoie. Il y a quand même un enjeu au niveau du texte.
Eugénie :
C'est une manière féministe légère, mais rentre-dedans avec de la
mélodie, de raconter la vie d'une nana qui doit absolument avoir des
bébés, être une bombe sexuelle, gérer le quotidien, le ménage,
la famille.
Jim : Et elle
n'a pas le temps (rires) !
Eugénie : Et
non elle a autre chose à foutre (rires) !
Et « Watch me
live » le premier single ? Les paroles m'ont intriguées...
Eugénie :
C'est pareil, c'est un morceau qui parle des nanas. La chanson est
venue d'une situation que j'ai vécu à un moment donné. C'était
l'été, il faisait très chaud, j'étais habillée avec une petite
combinaison blanche, des talons. C'est l'été, quoi. Je sors du
métro et je me retrouve entourée de femmes voilées, tout en noir,
en burqua. Je suis sortie de moi-même, je suis allée de l'autre
côté du trottoir pour voir l'image. Ces quatre nanas, autour de
moi, étaient des fantômes…
Jim : Alors
que, fondamentalement, sous le voile, ces quatre filles étaient
semblable à toi…
Eugénie : Bien
sur. Mais l'image me choque, c'est ça le problème. Je suis allée
leur parler : vous n'avez pas trop chaud, vous voyez quelque
chose là-dessous, avec humour, tu vois. Elles m'ont répondu
qu'elles me voyaient très bien… Donc je voulais écrire là-dessus
en évitant les références trop directes, parce que ça ne fait pas
partie de l'univers de Parlor Snakes. Les textes sont très
importants mais l'interprétation est libre de la part de l'auditeur,
le sous-texte est sous-jacent. Rien n'est jamais extrêmement clair
sauf peut-être pour « Always you »… J'aime bien parler
de problèmes sociétaux mais autrement. Jim a trouvé le refrain
« watch me live, watch me love » et c'était comme un cri
du cœur. Voyez avec vos yeux, pas ceux des autres, de vos mecs ou de
je ne sais quel fondamentaliste. J'aime bien aussi le fait que tout
le monde chante sur ce morceau.
Et « Just
Drive » ?
Eugénie :
J'adore l'ambiance, Matt a fait un boulot exceptionnel. Il y a un
souffle continu… Quand tu l'écoutes tu ne peux pas penser à autre
chose qu'un couple sur la route. La chanson ne pouvait pas s'appeler
autrement.
Jim : Conduit
et lâche prise.
Eugénie :
Voilà ! Il y a quelque chose d'inabouti entre eux, une tension,
un truc vénéneux. Quand on a commencé à répéter la chanson, je
chantais n'importe quoi, du yaourt, « devil, devil »…
Peter a écrit une grosse partie du texte en se calant sur les mots
que j'utilisais et c'est devenu « Just Drive ». On
imagine la nuit, une route, « Sailor et Lula » (film de
David Lynch, ndlr)… J'aime bien.
Comment est-ce que
vous vivez en tournée ?
Jim : Bien mais
ça peut être un peu éreintant. Je peux prendre pour exemple la
tournée qu'on a fait avec Jim Jones Revue. C'était la plus longue
et la plus intense. C'était un groupe avec un mode de vie très
sain. Ils prennent soin de leur show avant tout. Ça nous a inspiré.
Ne pas abuser de la picole après un concert par exemple, même si tu
es très content que tout se soit bien passé, ça fait que tu te
réveilles à neuf heures du matin, frais et ça change tout. Tout le
monde veut aller de l'avant, monter dans la bagnole sans se péter
une épaule parce que tu as pris un ampli et que tu es déshydraté à
cause de l'alcool…
Eugénie :
C'est tout pour le show en fait. Le plus important c'est le concert.
Je pense qu'on est assez raisonnables…
Jim : Assez
vieux en fait (rires) !
Eugénie : Moi
j'adore partir en tournée parce que c'est des moments hors
quotidien, de liberté.
Jim : Et on est
ensemble. On est très bien ensemble.
Eugénie : Oui,
on se marre beaucoup…
Jim : Et il y a
très peu de tension et quand il y en a elle se résout par le
dialogue.
Eugénie :
L'exemple des Jim Jones Revue est pertinent, c'est des mecs qui
vivaient pour la performance et le concert. Encore une fois, le plus
important c'est le concert. Ils boivent de la Badoit, beaucoup sont
végétariens. C'est un mode de vie. Après eux étaient en tournée
six mois par an. Sans ce mode de vie, le groupe aurait périclité
bien avant. Je trouve ça bien de faire la fête mais au final le
plus important c'est de faire de bons concerts.
Jim : Et
finalement tu profites beaucoup plus de ta tournée en faisant gaffe
à ce que tu manges, bois. C'est primordial d'avoir une homogénéité
dans les concerts. Si un soir tu fais un concert exceptionnel et que
tu es tellement content de toi qu'après tu te mets une mine, tu vas
être incapable de jouer le lendemain. Quel est l'intérêt ?
C'est un peu comme aux échecs si t'échanges un fou contre un pion
tu perds au change. Et c'est exactement ce qui se passe.
Eugénie : Et
l'ambiance entre nous est vachement importante. Si il y en a un qui
devient un boulet, parce qu'il est relou, bourré et qu'il ne gère
pas sa partie à lui ça peut créer une mauvaise ambiance. Bon je
dis ça mais ça n'est jamais arrivé, hein !
Jim :
Absolument.
Eugénie : Le
but c'est d'être le plus zen possible parce que, mine de rien, c'est
énormément de contraintes, même si je les aime. Dormir à l'hôtel,
ou dans endroits plus « roots », tu te tapes beaucoup de
bagnole, décharger le matos, remettre le matos dans le van…
Physiquement une tournée, c'est du boulot. Le bien vivre ensemble
pendant la tournée c'est très important. Chacun dort avec la
personne de son choix…
Jim : Et
souvent je dors tout seul parce que personne ne me choisit (rires) !
Eugénie :
C'est pas vrai (rires) !
Comment
décririez-vous le lien entre les différents membres du groupe ?
J'imagine qu'il est assez fort…
Jim : Oui.
Eugénie : On
est quatre amis dans la vie. On ne fait pas seulement partie du même
groupe. On sort ensemble, on va voir des concerts ensemble, on fête
des anniversaires… Il y a une bonne ambiance entre nous, pas trop
d'histoires d'égos mal placés.
Jim : Pour le
coup c'est une sacrée chance. Il y a beaucoup de groupes qui vivent
du conflit, des crises créées par deux ou trois entités qui
veulent être prépondérantes dans le groupe. Et chez nous ça n'a
jamais été le cas (il insiste).
Eugénie : Non
jamais. Il y a une alchimie unique entre nous. Chacun connaît son
rôle. On a un fonctionnement très démocratique au niveau de la
composition et ça évite beaucoup de frustrations. La genèse des
chansons vient très souvent de Peter mais après il y a un
fonctionnement très démocratique entre nous. C'est un échange
permanent, dans le groupe, personne n'est lésé parce qu'il voudrait
faire autre chose. Il n'y a pas de remise en question de la position
d'untel. L'important c'est de faire des bonnes chansons et de bonnes
tournées, de bien s'amuser sans perdre de vue nos objectifs et en
restant soudés.
Jim : Et si je
peux devancer une de tes questions, on nous demande parfois quels
sont les enjeux d'avoir une fille dans le groupe et sa place et il
n'y a aucun souci...
Eugénie : Moi
j'apprécie beaucoup d'être avec tous ces mecs tout le temps. Ça me
correspond bien. Il y a un côté bon pote.
La tonalité de
l'album est en générale assez brute. Est-ce que cela peut-être une
limite en termes d'arrangements au moment de transposer les morceaux
sur scène ?
Eugénie : On
ne se pose pas vraiment la question. L'enregistrement est assez brut,
on n'a pas rajouté trop de choses. C'est une guitare ou deux
maximum, basse, batterie et claviers. C'est notre formation en live,
c'est pas compliqué à recréer sur scène. C'est très intéressant
de voir comment évolue une chanson de l'album au live. L'idée c'est
quand même de proposer les morceaux de l'album mais d'avoir une
liberté dans la réinterprétation.
Jim : L'idée
étant d'avoir le show le plus personnel possible. On est Parlor
Snakes, on vient voir Parlor Snakes. Le principe, c'est pas tellement
de savoir comment vont sonner les morceaux en concert, plutôt de
savoir comment ils vont sonner ensemble. Les enchaînements, le track
listing. L'enjeu est là. Techniquement on n'a pas mis des tonnes
d'arrangements sur le disque.
Eugénie : Pour
en revenir à l'album, on a mis beaucoup de temps avant de trouver la
bonne manière d'enchaîner les morceaux, les positionner. On doit
gérer la même problématique pour les concerts. Il y a des moments
très énergiques et rock n'roll sur le disque mais aussi des
morceaux très calmes. Et cet aspect là est aussi très
représentatif du groupe. On a une ambivalence. On a un goût pour la
mélodie, l'ambiance, le calme, le silence parfois et en même temps
on est aussi un groupe de rock. On fait des chansons avec très peu
de choses parfois. « Man is the night », il y a tout un
passage avec juste la batterie, la voix et la basse. On recherche le
déséquilibre à l'intérieur de la chanson.
Jim : Je pense
que la diversité des ambiances tient au fait qu'on a une perception
visuelle des morceaux. On va voir les choses différemment, ce qui
est drôle c'est que souvent on a une direction commune. On imagine
les morceaux, on se représente des scènes. Et du coup il y a plein
de scènes différentes donc plein de titres différents.
Eugénie : On
attache aussi une grande importance à la lumière dans nos
spectacles, quand il y a la possibilité de faire le show lumière
qu'on a créé, on joue quand même beaucoup dans des petits clubs.
La lumière à beaucoup d'importance dans un concert de Parlor
Snakes, cela participe au visuel et à la création d'ambiances.
J'aime bien voir des choses subtiles en lumière qui t'aident à te
mettre dans l'ambiance. Et j'espère que cette ambiance nous est
propre.
« Man is the
night » est un morceau intéressant, on pense forcément à
Kate Bush dans ta façon de chanter mais musicalement cela reste très
rock. J'ai perçu ce morceau comme une fusion de deux univers…
Eugénie :
Alors déjà j'aime beaucoup Kate Bush donc je te remercie. Ce
morceau est né de manière très spontanée, on jammait en studio à
la recherche d'une structure et tout d'un coup, comme ça, je me suis
mise à chanter très aigu. Tout le monde a trouvé ça vachement
bien.
Jim : En fait
tu peux le faire…
Eugénie : Oui
c'est ça, en fait je peux le faire... Avec de bons abdos (rires) !
J'avais ce titre en tête, avant même que le texte ne soit écrit
« Man is the night ». On a donc écrit le texte avec
Peter et puis on m'a encouragé à chanter très aigu. Il y a quelque
chose de très féminin dans le chant et en même temps il y a cette
grosse batterie et ce son de guitare énorme. Visuellement, je vois
un milliard de choses sur ce morceau là. Il est à la fois riche et
très étrange.
Il est étrange
aussi dans le contexte de l'album…
Eugénie : Il
fait un peu ovni et pourtant il nous ressemble complètement, la
guitare western, la rythmique très forte.
Jim : Les
chœurs aussi…
Eugénie : En
live il est aussi très bizarre. J'adore chanter cette chanson, la
voix perce tout ! On a fait du bon boulot sur ce texte, il a
quelque chose de très mystérieux.
Jim : La phrase
en elle-même est très étrange. « Man is the night »…
Eugénie :
J'avais ce truc dans la tête, je me suis réveillée un matin, il
nous fallait un morceau qui s'appelle « Man is the night »,
c'est trop beau (elle répète le titre)…
Jim : Donc les
paroles ont été écrites autour du titre et non l'inverse…
Eugénie : Non
mais tu sais quoi, moi je trouve souvent le titre avant le texte.
Jim : C'est
l'ambiance du groupe, on trouve d'abord les thèmes.
Pourquoi l'album
est-il éponyme ? Il s'agît du deuxième du groupe, et souvent
les premiers albums sont éponymes. C'est un nouveau départ ?
Eugénie :
Chaque album est un nouveau départ, une nouvelle histoire. C'est le
premier où on est tous les quatre ensemble.
Jim : C'est le
premier composé à quatre aussi.
Eugénie : Sur
notre premier album, Séverin (bassiste, ndlr) ne faisait pas encore
partie du groupe et Jim venait d'arriver.
Jim : J'ai
participé un peu au premier disque, j'ai surtout apporté ma griffe
sur ce qui existait déjà. C'est tout à fait sensé que ce disque
soit éponyme parce qu'il nous ressemble plus.
Eugénie : Il
est plus abouti. Et puis on a recherché des titres et on n'était
pas satisfait. Pourquoi ne pas l'appeler tout simplement Parlor
Snakes (sourire).