Tout clichée
qu'elle soit, l'expression « revenir de loin » prend un
sens particulier aujourd'hui. Assis dans les loges de la boule noire,
quelques heures avant son concert, Eli Reed revient de loin. Lâché
successivement par deux majors de l'industrie musicale, on le pensait
fini, perdu pour la musique, après la sortie en 2013, de l'album,
décevant, « Nights like these » ; comme une
allégorie de notre monde moderne, ultra-rapide, où les carrières
se font et se défont en un clin d’œil. Mais c'était mal
connaître le personnage. D'inspiration gospel, dopé aux guitares
garage rock, le magnifique « My way home » signe le
retour en grande forme d'Eli « Paperboy » Reed. Assis
sous l'impressionnant plafond, entièrement recouvert d'anciennes
affiches de concert, des loges de la boule noire, il est temps de
mettre le magnéto en route...
Bonjour Eli, la
première chose que j'ai envie de te dire c'est : Ca fait
plaisir de te revoir !
Eli Reed (sourire) :
Merci !
Tu aimes être sur
la route ?
Eli : Parfois,
ça n'est pas la chose la plus simple. Mais quand le show se passe
bien et tout, alors c'est fun.
Après avoir été
lâché par une major, est-ce que tu as pensé abandonner la musique
et prendre un boulot régulier, du genre neuf heures – dix-sept
heures, cinq jours par semaine ?
Eli : C'était
plus une séparation par consentement mutuel, mais c'est ok. C'est
difficile comme question. Je ne connais personne qui ne se soit pas
posé cette question à un moment donné de sa carrière. Mec, la
musique c'est dur ! C'est un métier vraiment difficile. Moi,
j'aime bien être actif tous les jours. Et quand tu n'es pas en
tournée ou en train de faire ou de promouvoir un nouveau disque, et
bien tu n'as rien à faire. Et c'est pas marrant. Sans parler des
échecs et alors tu te retrouves à la merci des fans et d'autres
choses impossibles à contrôler. Ce n'est pas la façon la plus
simple de gagner sa vie. Parfois, tu aimerais avoir une fiche de paye
à intervalles réguliers, ça c'est certain.
Pourquoi poser sur
un ring de boxe sur la pochette du nouvel album ?
Eli : Pour la
même raison. C'est un combat, mec. C'est toujours un combat. Surtout
quand tu essayes d'atteindre un certain niveau. Quand tu essayes
d'accomplir quelque chose, musicalement parlant. Il y a tellement de
facteurs qui entrent en jeu. C'est toujours une bataille. Mais
attention je ne veux pas donner l'impression d'être dramatique ou
quoi que ce soit. Et puis j'aime bien l'idée d'être sur un ring de
boxe sur la pochette de mon album. Je trouve ça génial !
C'est plutôt cool,
en effet…
Eli : Ouais !
La photo a été prise dans une vieille salle de boxe à Brooklyn.
Dans ce milieu, il faut se battre sur tout, tout le temps. Toujours…
Ce nouvel album
s'appelle « My way home », comment décrirais-tu cette
« maison », musicalement parlant ?
Eli : Il y a
plusieurs façons pour un artiste d'avoir du succès et de gagner sa
vie même si les salles ne sont pas pleines tous les soirs. Mais
c'est toujours difficile. C'est difficile de trouver « une
maison », je ne sais pas, j'aimerai avoir une réponse…
Les paroles sont
parfois très sérieuses, je pense à une chanson comme « What
have we done »...
Eli : Je ne
voulais pas faire un disque politique, mais je pense que l'on doit
prendre nos responsabilités quant à la façon dont on traite notre
planète. Je voulais écrire un hymne. C'est un hymne pour
aujourd'hui. Je pense qu'il faut que l'on dépasse tout cela. Je n'ai
pas toutes les réponses aux questions posées dans la chanson et
c'est justement le problème, on ne sait pas…
En écoutant le
nouvel album j'ai eu l'impression que tu t'étais réconcilié avec
ta musique. Sans vouloir te vexer, je n'ai pas aimé l'album
précédent « Nights like these » sur lequel j'ai eu du
mal à te reconnaître…
Eli : C'est
dommage mais je comprends, pas de problème. Ce disque (Nights like
these, ndlr) je l'avais fait moi-même, j'avais écrit toutes les
chansons, il y a beaucoup de moi-même dedans. Je voulais faire un
disque différent, repousser les limites, ne pas toujours sortir le
même album. Et je suis heureux de l'avoir fait, quoi qu'il ait pu se
passer par la suite. J'aurais aimé avoir l'opportunité de le
promouvoir plus, parce que je l'aurais fait. Honnêtement, ce n'était
pas forcément la musique que j'aurais fait naturellement mais cela
ne signifie pas que c'était une mauvaise idée. Parfois, il faut se
pousser soi-même hors de sa zone de confort. Ce nouveau disque, en
revanche, ressemble à ce qui me vient naturellement quand je
commence à jouer et à chanter. Ce qui est très bien. Il y a une
place pour chaque chose et sans challenge, un artiste ou un musicien
stagne et sort de mauvais disques. Arrivé à ce point de ma
carrière, il fallait que je retourne vers quelque chose que je
savais faire…
As-tu été d'une
certaine manière influencé par le rock n'roll ? Il y a un
sentiment d'urgence qui se dégage de certaines chansons comme « The
strangest thing » ou « A few more days »…
Eli : « The
strangest thing », c'est un gospel, une chanson d'église
(rires) ! J'aime bien les Sonics et les trucs comme ça. L'album
est un peu trash, mais je ne dirai pas que c'est mon influence
majeure pour autant. Je n'écoute pas trop de rock n'roll.
Peux-tu nous parler
de ton engagement auprès du programme « Gospel for teens » ?
Eli : C'est un
programme, à Harlem, avec lequel je travaille depuis trois ans.
J'enseigne les quartet gospels aux jeunes. C'est un cours un peu
mouvant, certains gamins sont là depuis le début et d'autres
arrivent en cours de route. J'ai des nouveaux gamins à chaque cours.
Travailler avec ces gosses, c'est une leçon d'humilité et c'est
aussi très excitant. Ils sont super talentueux et très marrants.
J'adore ça ! Et j'ai aussi beaucoup appris sur la musique par
la même occasion. Cela m'a obligé à réfléchir sur la façon dont
tout s'imbrique. L'harmonie, tout ça. C'est une expérience très
positive à tout points de vue.
Et penses-tu que tu
avais besoin d'une expérience de ce genre après tes déboires avec
le business ?
Eli : Je le
faisais déjà avant. Et ça m'a sauvé en quelque sorte. Je n'avais
plus grand-chose à faire après l'épisode « Warner Bros »…
Travailler avec des
enfants, c'est un moyen de payer ta dette, de rendre quelque chose à
la musique ?
Eli : Oui bien
sur. Personne n'enseignait la musique des quartets à ces gamins. Ce
genre particulier de gospel. C'était important, dans mon esprit, de
donner une voix à cette musique. Le gospel ce n'est pas uniquement
les grands chœurs. Moi j'aime les petits groupes.
Je t'ai vu plusieurs
fois en concert avec ton ancien groupe The True Loves et je me
souviens en particulier de ce concert au Trabendo avec les Right Ons.
C'était la dernière date de la tournée et une grosse fiesta sur
scène, c'était marrant. A-t-il été difficile de se séparer des
True Loves, vous sembliez être très amis ?
Eli (sourire
pensif) : Le groupe ne s'est jamais séparé en fait. C'est le
même groupe, les mêmes personnes. C'est juste que maintenant on ne
s'appelle plus les True Loves. C'étaot juste un truc qu'on avait
monté comme ça, il n'y a jamais vraiment eu de groupe. Mike
(Montgomery, basse, ndlr) et JB (Flatt, claviers, ndlr) qui vont
jouer avec moi ce soir ont été dans les True Loves. Tous ces mecs
sont mes amis.
Te sens-tu toujours
proche de la ville de Boston ?
Eli : Oui, j'y
retourne tout le temps. Je n'y ai plus de famille personnellement
mais du côté de ma femme, ils sont tous de Boston. Je collectionne
les 45 tours de soul et de gospel des groupes de Boston. J'en ai
toute une collection spécifique. Il y en a beaucoup. En fait non,
pas tant que ça mais suffisamment pour m'occuper. J'adore Boston
mais j'adore aussi vivre à New York qui est devenu ma maison
maintenant. J'y vis depuis dix ans, c'est une grande partie de ma vie
d'adulte. Boston reste un endroit avec une signification spéciale
pour moi.
Pour finir sur une
note légère, il y a quelques années tu chantais « I'm gonna
break every heart that I can » (je vais briser tous les cœurs
possibles, ndlr). Comment ça a marché pour toi ?
Eli : C'était
une reprise !
Oui je sais c'est
une chanson country…
Eli : C'est
Merle ! (Haggard, ndlr)
D'ailleurs, il nous
a quitté il y a peu (le 6 avril 2016, ndlr)…
Eli : J'étais
un grand fan de Merle. Je veux faire un album entier de reprises de
Merle Haggard. Je pense que je vais vraiment le faire un jour !
Et donc pour en
revenir à ma question, comment ça a marché pour toi (rires) ?
Eli : Oh tu
sais, j'étais déjà marié à l'époque (rires)...
Propos recueillis le
3 juin 2016.
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