dimanche 30 juin 2019

Frédéric Lo + Bill Pritchard, Le Café de la danse, 27 juin 2019.


« Barefoot Bill is coming to town », une antienne sonnant comme le titre d'un western, mais qui décrit bien la condition d'un Bill Pritchard ayant perdu ses « boots » dans les loges et qui se présente pieds nus accompagné de son guitariste Mike. Une petite demi-heure en duo de guitares durant laquelle le Britannique égrène les titres de ses albums, récents ("Midland Lullabies") comme anciens, une configuration légère qui met en valeur le côté intemporel de ses chansons, leur immédiateté pop et leur nostalgie aussi, une fois débarrassées de leurs encombrants oripeaux. Une originalité, Bill au piano, une première depuis « 16 saisons ». Musicien trop rare par nos contrées, dont il parle couramment la langue, on profite de cet instant privilégié dans une salle intime, à taille humaine. 

Mais un fantôme plane au-dessus de la scène ce soir, Daniel Darc, descendu de son nuage pour nous faire un coucou depuis l'au-delà, « un ami commun » dixit Bill, qui après avoir enregistré un disque en duo avec lui (« Parce que ») à la fin des années 1980, a connu la renaissance artistique auprès de Frédéric Lo qui a produit le disque du come-back (« Crève cœur ») au début des années 2000. Il est, quelque part, beau de voir les deux artistes collaborer ensemble le temps d'un album (« un truc fou » d'après Frédéric) qui sortira dans le courant de l'année, formant une sorte de trilogie prolongeant les deux albums cités précédemment. 

Pour l'heure, nous redécouvrons Frédéric Lo, producteur côté mais chanteur méconnu, dont le troisième album et le premier depuis des lustres, « Hallelujah » est sorti ce printemps. D'emblée on est frappés par sa voix, ses intonations, son parlé/chanté quelque part entre Daho et Daniel Darc. Ce soir Frédéric est accompagné d'un groupe de musiciens prodigieux, un merveilleux batteur, Christophe Deschamps, aux descentes redoutables dont l'association avec la basse au bourdonnement énorme fait des étincelles, un guitariste à la classe rock rock’n’roll, clavier et violoncelle pour la note classique et la mélancolie contagieuse. Ainsi accompagné la musique fait des allers retour entre pop et chanson, un soupçon de cold wave également, le tout constitue un univers des plus séduisants surlignés par plusieurs duos de prestige (Alex Beaupain, Florent Marchet et Alain Chamfort en invités). Quelques sommets d'émotions atteints lors des différentes reprises de Daniel Darc effectuées par les deux principaux protagonistes (« La pluie qui tombe », « Pauvre Petite » etc.) qui ont présenté en exclusivité, et en guise de rappel, trois chansons de l'album à venir. On en ignore encore le titre à l'heure actuelle, mais le morceau final est extraordinaire dans sa version live, on attends la suite avec impatience !

Magma, Philharmonie, 26 juin 2019.


Sur la scène de la Philharmonie de Paris, plus habituée aux concerts classiques, Magma, qui fête son demie-siècle cette année, a trouvé l'écrin idéalement taillé à sa démesure. Le groupe mené par le batteur Christian Vander, c'est un peu l'objet musical non identifié qui survole le paysage rock français depuis 50 ans. Magma, c'est avant tout un batteur virtuose, nourri au jazz et qui a préféré garder la liberté formelle du genre plutôt que de le respecter à la lettre. Mais c'est aussi une écriture empruntant aux compositeurs classiques et aussi, parfois, une puissance sonore propre à attirer un public métal (comme on a pu le constater lors du deuxième set). Autant de facettes mises à jour une par à une, le long de la performance du soir, trois heures trente de spectacles découpé en deux entractes. Ainsi la formation élargie à mis les grands moyens, huit chanteurs/chanteuses, un véritable cœur d'opéra se répondant l'un à l'autre, des cuivres et deux pianistes virtuoses rappelant l'ancrage classique du zeuhl, le nom qu'ils ont donné à leur musique. C'est donc à une performance au long cours, aussi ambitieuse qu'une odyssée musicale à laquelle le public est convié. Une foule totalement hypnotisée par l'emphase dégagée sur scène et qui se réveille, comme on sort d'un doux songe, par des applaudissements fervents et une clameur méritée, une véritable ovation saluant la fin de chaque set. Ce n'est pas seulement trois heures et demie de concert que l'on fête mais les cinquante ans d'un mythe !

lundi 24 juin 2019

Trio Corrente : « Tem que ser azul »



Composé du pianiste Fabio Torres, du bassiste Paulo Paulelli et du batteur Edu Ribeiro, le Trio Corrente est parti enregistrer ce nouvel album en Italie. L'occasion était belle pour les Brésiliens de questionner ainsi la notion de latinité sur ce nouvel effort en forme de lien tissé entre le passé, une source d'inspiration primale, et aujourd'hui. Se concentrant sur ses forces acoustiques et électriques, son sens du swing ; sans cliché aucun ni renfort superfétatoire, le trio célèbre le jazz brésilien en suivant son inspiration et, force est de le constater, une virtuosité superlative ne prenant jamais le pas sur l'émotion. Osant au passage quelques surprenant détours, flirtant avec le free-jazz, se gardant toutefois de franchir la rédhibitoire ligne jaune. L'auditeur est ainsi convié à un véritable voyage, déroulant un tapis de notes, comme autant de petits grains de sables le long de cette plage bordant notre baie musicale imaginaire. Un album lumineux et estival, qui s'il ne réinvente pas la roue l’interprète avec un souci constant d'émotion, conférant à cet album un réel plaisir d'écoute, et au-delà, un régal pour les sens. 

http://triocorrente.com/
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dimanche 23 juin 2019

Magma : Zëss



Alors que le groupe fête son cinquantième anniversaire cette année (une date de prestige est prévue à la Philharmonie de Paris le 26 juin prochain) sort cette année le nouvel effort du groupe aux origines fort lointaines. Entamée dans les années 1970, la composition « Zëss » n'avait jamais été achevée à ce jour. Ce disque revêt donc une grande importance dans la carrière du groupe. La composition, culte, au long cours (38 minutes environ) constitue donc ce nouvel album, découpé en plusieurs plages dans sa version CD, même si l'album ne contient qu'un seul titre. Il s'agît là de la quintessence de l'art fantasmagorique de Magma, un véritable choc, un fleuve tourmenté, mélangeant les langues, le français et le kobaïen (la langue propre du groupe qu'ils ont inventé) empruntant à la fois au classique, au jazz ou au rock progressif ; fidèle à son image de seul groupe au monde à jouer au Hellfest comme au festival Jazz à Vienne. Accompagné de l'Orchestre Philharmonique de Prague, la troupe de Christian Vander (qui, pour une fois, délaisse le siège du batteur) livre une œuvre de grande ampleur à la fois rêveuse et anxiogène, hypnotique et traversée de brusques envolées lyriques jusqu'à l'emballage final. Une démonstration de virtuosité baroque dont on ressort relativement chamboulés. 

En concert le 26 juin à Paris (Philharmonie)
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lundi 17 juin 2019

Thomas Hellman, Le Théâtre de l’œuvre, 11 juin 2019.


Débutée en 2015, la série « Rêves américains » (deux albums à ce jour) constitue le grand œuvre de l'artiste québecois. Projet à vocation pluri-disciplinaire, la déclinaison scénique de l’œuvre se situe très exactement à mi-chemin du concert et du théâtre. L'ambition en est très élevée, raconter, en une suite de chansons, des compositions personnelles mais aussi des titres traditionnels traduits en français, l'histoire des Etats-Unis d'Amérique de la ruée vers l'or à la crise de 1929. On est parfois assez éloignés du concert classique, Thomas Hellman lâchant parfois sa guitare et son harmonica pour se transformer en acteur, donnant ainsi lieu à d'impressionnantes mutations de sa voix. Son charisme naturel (et celui de ses deux acolytes également) transporte littéralement le spectateur. Sur la petite scène de l'ancien théâtre de l’œuvre, un lieu un peu éloigné de la circulation, le musicien a trouvé l'écrin idéal pour son spectacle, sonorisé et éclairé à la perfection, permettant une grande variété d'ambiances au fur et à mesure que le spectacle avance. Musicalement, le trio œuvre dans un genre hybride entre folk et country, parfaitement restitué par les trois musiciens, se basant sur des instruments acoustiques (contrebasse, batterie, banjo, guitare, piano, harmonica) parfois très inattendus, à l'image des percussions à base de papier journal, déchiré en rythme, tout un art. Parfaitement maîtrisé dans les moindres détail, le spectacle est une réussite. 

http://www.thomashellman.com/
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https://twitter.com/ThomasHellman

lundi 10 juin 2019

Le Choc du futur, un film de Marc Collin



Paris, 1978. Une jeune musicienne semble décidée à créer autrement, fatiguée par le rock, les guitares et même les salles de concerts. Alors même qu'elle flanche lors d'une commande pour la publicité, elle bade une nouvelle boîte à rythme révolutionnaire et invente le son de l'avenir. Non sans se heurter à de nombreuses difficultés liées au patriarcat ambiant et à la nature innovante de sa démarche... 



Issu de la vague french touch des années 1990, membre des groupes Ollano (un seul album, mais quel album magnifique !) et Nouvelle Vague, Marc Collin connaît la musique. Pour son premier film, en forme de faux biopic, Collin n'a pas choisi la facilité en choisissant de recréer à l'écran les années 1970 tout en disposant d'un budget limité. Conséquence, la majorité de l'action est circonscrite à l'appartement, donnant à son métrage un air de huis-clos claustrophobie ne s'aventurant que très peu à l'extérieur. Cette réserve posée, Collin fait preuve d'une grande sensibilité qui fait merveille dans les scènes musicales (avec Corine, notamment), ainsi, la tendre complicité qui unit les deux protagonistes jouées par Alma Jodorowski et Clara Luciani à l'issue d'une répétition réussie est réellement touchante. Dans le même ordre d'idée, il s'échappe une sorte de poésie indescriptible des machines, fils, boutons et autre aiguilles de potentiomètres filmés, avec amour, par Collin. Rien que pour ces passages magnifiques le film vaut d'être vu par les mélomanes (fans d'électro ou non) même si l'intrigue traîne en longueur, au gré de très longues scènes de dialogue, et passe finalement à côté de son sujet. Un sujet ambitieux, les débuts de la musique électronique, et qui aurait nécessité des moyens d'une toute autre ampleur, inaccessibles pour un réalisateur débutant. Espérons toutefois que ce dernier n'en restera pas là, derrière la caméra s'entend, on se fait pas trop de souci en revanche pour son avenir derrière les synthés.

Sortie le 19 juin.




dimanche 9 juin 2019

Samana : « Ascension »



A l'instar de la longue (du moins selon nos critères actuels) plage de silence qui ouvre l'album, ce nouveau disque du duo s'impose à l'auditeur, à force de longueur. Une œuvre qui demande du temps. Ce temps qui semble au cœur des préoccupations du groupe, à force de l'étirer au gré de compositions alanguies et du chant féminin éthéré. Inspiré par une nature que l'on suppose verdoyante et que l'on imagine comme étant le cadre quotidien du groupe Samana prend l'auditeur par la main (ou les oreilles plutôt) le long des sentiers d'une americana sombre, à la fois rêveuse et dark. Ainsi le disque scelle la rencontre entre le picking country/folk, la guitare slide délicate, les arpèges et autres artefacts folk et des nappes électroniques comme échappées d'un rêve dream pop. Une invitation à briser la glace en quelque sorte, histoire de mieux discerner ce qui se cache en dessous. Calme et relaxant, le groupe n'a pas son pareil pour créer des climats propices à la rêverie entre apnée et apesanteur.

https://www.facebook.com/samanamusic/
https://samana.bandcamp.com/album/ascension

vendredi 7 juin 2019

Altin Gün : « Gece »



Si l'expression « mélange des cultures » à un sens, alors Altin Gün l'incarne à la perfection. Car, tout, dans ce groupe, appelle à la rencontre. Celles des hommes tout d'abord, des musiciens hollandais, pour la plupart issus du groupe de Jacco Gardner (dont le bassiste Jasper Verhulst, l'instigateur du groupe), et celle de Merve Daşdemir, une chanteuse turque, et de son compatriote chanteur Erdinç Ecevit. Ce deuxième effort du groupe est un chaudron bouillonnant où se croisent folklore traditionnel et rock psyché complètement barré, rehaussé de synthés vintage ouvrant la porte vers l'électro d'avant-garde du début des années 1980. Le tout est proprement hallucinant ! L'album est une collection de hits en puissance, tour à tour dansant, tendre ou euphorisant, incarné par un chant (féminin ou masculin) ensorcelant et un groove dévastateur, le pied au plancher, la guitare en vrille et les percussions qui démangent ! Sans jamais se départir non plus d'une certaine élégance, classe et groovy. On en ressort groggy mais surtout heureux. A peine un an après un premier album, « On », au fort goût en bouche, Altin Gün plane toujours au-dessus de la mêlée, dans sa bulle dans laquelle il fait bon se lover. 
En concert le 12/09 à La Cigale
https://fr-fr.facebook.com/altingunband/

jeudi 6 juin 2019

Johnny Montreuil : « Narvalos Forever »



D'abord, on tombe en arrêt sur la pochette, atypique, mais néanmoins superbe. Et puis le nom, Johnny Montreuil, nous interpelle. Vint ensuite le moment d'insérer le disque dans le lecteur. Et là c'est la claque attendue qui nous frappe les oreilles ! A l'instar du Renaud de la grande époque, Johnny Montreuil fait claquer la langue avec une gouaille inimitable, et redonne de la couleur, du peps, du swing (la contrebasse !) à cette banlieue souvent décrite comme grise et triste par ceux qui ne la connaisse pas. Remarquable de diversité l'album englobe toutes sortes de styles chers à nos coeurs : du rock'n'roll, du blues, du jazz manouche, un soupçon de country ; un agglomérat de genres que Johnny s'approprie avec sa culture de la banlieue, son parlé titi plus vrai que nature (« C'est des morts »!), et un usage de la langue française qui donne une remarquable cohérence à l'ensemble. « Narvalos Forever », c'est l'Amérique au bord du périphérique, un voyage en musique(s). « Narvalos Forever » c'est les routes poussiéreuses sous un soleil de plomb que l'on s'imagine alors que le métro s'approche de son terminus. Magnifique. 

https://johnnymontreuil.com/
https://fr-fr.facebook.com/johnnymontreuil/

mercredi 5 juin 2019

Crusty Combo : "Jazz'n'roll"



Une fois n'est pas coutume, commençons par une question ? Quelle est la qualité principale que doit posséder un disque pour nous faire craquer ? L'auteur de ces lignes serait tenté de répondre par la capacité à développer un imaginaire, à emporter l'auditeur au point de transformer l'écoute en voyage immobile. Voici, résumée en quelques lignes, les pensées qui nous viennent à l'écoute de nos candidats du jour, le quatuor Crusty Combo. Ce dernier œuvre dans un genre assez particulier le jazz'n'roll. Oui, le jazz'n'roll, pas un vulgaire machin jazz-rock vaguement progressif. Non, car, finalement, le rock, le Crusty Combo n'en a cure, ce qui les intéresse réellement, c'est la partie roll de la formule. La pulsation, cette sorte d'énergie primale qui anime le groupe et pimente sévèrement le ternaire typiquement jazz. La virtuosité et les jams au long cours d'un genre (« Tickles and Tingles ») rencontre l'attaque brute de l'autre (« This cactus shouldn't be here », « Testicle Dance ») : l'amalgame fonctionne à la perfection. Ainsi, l'album fonctionne en miroir : la guitare saturée est juste à point (ce qui est suffisamment rare dans le jazz pour être souligné) alors que le violon (d'inspiration manouche en l'espèce) est un instrument peu usité dans le rock fut-il n'roll. Le tout forme un ensemble cohérent sur lequel plane, ce qui ne gâche rien, un ombre vintage. On en reviens alors à cette idée de voyage immobile qui ouvrait cette chronique, les images, en noir et blanc souvent, affluent à l'écoute du disque. Notre seule réserve concerne finalement les limites vocales, cruelles sur la reprise de Bob Dylan « Don't think twice it's alright », fort heureusement la grande majorité du disque est instrumental.

https://fr-fr.facebook.com/crustycombo/


mardi 4 juin 2019

Gliz : « Cydalima »



A l'instar des filtres de différentes couleurs accompagnant le disque, et permettant de dévoiler une foule de détails de sa magnifique pochette, ce premier album de Gliz se déguste et dévoile ses saveurs, l'une après l'autre, au fil des écoutes répétées. Et pourtant la chose démarre de manière classique : « The Cave » propose un son saturé et une batterie pleine de swing ; pas mal, on a l'impression d'être en terrain connu, sauf que cela n'est pas le cas. Il faut dire que le power trio n'a rien de classique. Point de guitare ici, mais un banjo parfois branché sur des pédales d'effet et un tuba (comme chez Delgres ou presque) en lieu et place de la basse. Ainsi équipé, le trio se glisse dans un interstice peu convenu au croisement des musiques roots (blues, country, soul, rock garage) et de la pop au lyrisme de la voix et de son chant expressif. Les yeux braqués sur les rétros (l'ombre de la décennie 60 plane sur l'album) mais résolu à aller de l'avant, Gliz réinvente le rock classique en utilisant des instruments qui ne le sont pas. Une belle route s'ouvre devant nous alors que l'album défile. Le point de départ est situé à Ivrey (64 habitants) dans le Jura. 
Sortie le 14 juin.
En concert à Paris (Bateau El Alamein) le 7 juin