Une fin d'après-midi
d'été, quelques heures avant de monter sur scène, on retrouve
Eugene McGuinness tranquillement installé dans sa loge. Quelques
jours après la sortie de « Chroma », son quatrième
album, l'occasion est belle pour discuter de l'écriture, de
l'Irlande et de sa notion du succès. Volubile, affable et jovial, la
discussion sera émaillée de nombreux rires. Interrogé sur ses
nouvelles chansons, Eugene laisse apparaître quelques influences
surprenantes de la soul music de Bill Withers au rock heavy de
Motörhead. Rencontre...
Ce nouvel album
représente un nouvelle étape pour toi. Quelle était l'idée de
départ ?
Eugene McGuinness :
J'ai enregistré avec Dan Carey. Un producteur avec qui j'avais
travaillé un peu par le passé mais avec lequel je n'avais encore
jamais fait un album entier. Il adore mes disques mais il avait sa
propre vision de ce qu'il ferait avec ma musique. Il voulait limiter
les effets de production afin de mieux exposer le songwriting. On
n'avait pas l'intention de faire un disque psychédélique ou quoi
que ce soit, on voulait faire un album direct, sur tous les plans,
même en ce qui concerne les paroles. C'était très difficile pour
moi, j'aime bien m'étendre, essayer des trucs bizarres. Mais bon
j'étais d'accord avec lui et j'aimais bien l'idée. En même temps,
on voulait faire un disque coloré, mais en utilisant les couleurs
avec beaucoup de soin. On a fait l'album en deux semaines, ça n'a
pas été très long.
L'album est très
classique, on pourrait même dire que l'écriture rappelle le Brill
Building sur une chanson comme « I drink your milkshake ».
En même temps il y a un côté plus dur sur « Black Stang »
ou « Heart of Chrome »...
Eugene : Il y a
beaucoup de musiques que je ne comprends pas. J'ai parfois
l'impression que certains essayent « d'étirer » le
songwriting. J'aime bien écrire des choses différentes et tout
mélanger ensuite. Ca reflète bien ma personnalité. J'ai ce côté
un peu imprévisible. Je peux ressentir des sentiments très
différents très rapidement. Je devrais certainement en parler à un
médecin (sourire).
Mais non (rires) !
Eugene : Sur tous
les albums que j'ai fait jusqu'ici j'ai essayé de mettre cette
diversité. Ca se ressent dans ma façon d'écrire. On a limité la
production et l'instrumentation pour mieux refleter ma personnalité.
Et j'écris des chansons très différentes. Le côté plus dur vient
du fait que j'aime bien des groupes comme les Queens of the stone
edge ou Motörhead.
Ah bon, vraiment ?
Eugene : Si, si.
En ce qui concerne « I drink your milkshake », je voulais
faire une chanson à la Bill Withers mais le résultat final est
complètement différent. A chaque fois que j'essaye de faire quelque
chose de précis, ça ne se passe jamais comme prévu. J'aime
l'imprévisibilité, la surprise.
Je pense que « I
drink your milkshake » sonne comme les tout premiers Beatles...
Eugene : Oui il y
a un peu de ça. J'adore « Use me », la chanson de Bill
Withers sur l'album « Still Bill » (1972). Il n'y a pas
grand chose, juste un riff très puissant. C'est incroyable, c'est de
l'art.
En parlant du côté
plus dur de l'album, cela m'a rappelé ton disque avec The Lizards...
Eugene : Oui, tu
as raison il y a une similarité. En fait j'aime bien à l'occasion
rappeler aux gens que je peux me débrouiller avec simplement une
guitare. A chaque fois que je fais un album, les gens pensent :
« Ah, ok, maintenant c'est ce que tu vas faire les dix
prochaines années ». Cet album c'est une chose. Ca n'est pas
un plan de carrière. Ca serait chiant sinon. Cet album c'est
maintenant. Le prochain sera, une fois de plus, complètement
différent.
Tu ne vas pas devenir
une pop star quand même !
Eugene : Non, je
déteste les pop stars (rires). J'espère bien que non.
Donc « Chroma »
c'est ton disque de songwriter ?
Eugene : Oui je
suppose.
Les chansons sont très
courtes, l'album dure quelque chose comme trente minutes...
Eugene : Oui, cinq
minutes c'est vraiment épique pour moi (rires) !
Un petit mot sur le
titre « Chroma » ?
Eugene : Déjà il
y a la chanson « Heart of Chrome » que j'aime beaucoup.
Ensuite, au studio près de la console, il y avait un énorme logo
« Chroma ». J'avais ce mot sous les yeux pendant deux
semaines (rires). Ensuite « Chroma » signifie la clarté
et la pureté de la couleur et je pensais que c'était quelque chose
de très important en ce qui concerne ce disque.
« Fairlight »,
dans sa version album, est probablement la chanson la plus étrange
de ton répertoire...
Eugene : Ouais,
elle est dingue ! A l'origine elle ne devait même pas être sur
le disque. Elle a été enregistrée avant. Mais on l'a ressorti et
on s'est un peu amusés avec. La version single est très cool aussi.
Je la voulais absolument sur l'album, cela donne une idée de ce que
sera le prochain disque. « Fairlight » pointe dans une
direction. Et je pense que je vais aller par là. Je l'ai fait
écouter à quelques personnes, tout le monde se demandait ce que
j'étais en train de faire. On s'en fout ! Elle est dingue mais
je l'adore.
T'étais en plein
trip ?
Eugene : En plein
trip ouais (rires) !
Ton frère Dominic à
son propre groupe maintenant, The Bohicas, il y a un truc à la Oasis
entre vous ? (rires)
Eugene (rires) :
On vaut mieux que ça ! En fait non pas du tout, on s'entends
très bien. J'adore son groupe, ils sont fantastiques ! J'adore
ces mecs, j'ai grandi avec eux. J'ai un bon pressentiment à propos
des Bohicas, je pense que ça va très bien marcher. J'adore ça.
Tu vas t'impliquer dans
le groupe, dans l'écriture par exemple ?
Eugene : Avec
Dominic, on va certainement faire de la musique ensemble, dans le
futur. Pour l'instant Dominic fait son truc avec son groupe. Mais
plus tard on fera un truc ensemble 50/50. Ca va être génial,
Superman et Batman réunis (rires) !
Un petit mot sur
l'Irlande, tu te sens proche du pays ?
Eugene : Oui,
absolument ! Toute ma famille est Irlandaise, il n'y a que moi
et mon frère qui sommes nés à Londres. On va très souvent en
Irlande, encore maintenant. On a beaucoup d'amis là-bas et notre
famille. En grandissant à Londres, on m'a souvent fait sentir que
j'étais Irlandais. J'ai cet accent irlandais qui me vient de mes
parents. Je me sens Irlandais à Londres et Londonien en Irlande.
Aujourd'hui je suis en France et je me sens un peu Irlandais. C'est
un mélange, très difficile à décrire. Si l'Irlande était
qualifiée pour la coupe du monde de foot, ça n'est pas arrivé
depuis longtemps, je serais à fond pour l'Irlande. Mais je supporte
aussi l'Angleterre, j'ai plusieurs options (sourire)...
Et d'un point de vue
musical ?
Eugene : « Astral
weeks » (Van Morrisson, 1968, nda) est un super album
Irlandais.
Moondance est très bon
aussi...
Eugene : Oui. Moi
j'aime « Veedon Fleece » (Van Morrisson, 1974, nda). Il a
aussi fait un disque avec The Chieftains, « Irish heartbeat »
que j'aime beaucoup aussi. A part ça il n'y a pas beaucoup de
musique irlandaise que j'aime bien. Ca pourrait être beaucoup mieux.
Il y a quelques chansons de U2, « Stuck in a moment you can't
get out of » (2000, nda). Tout le monde se moque de U2, mais il
y a quelques chansons qui sont vraiment bonnes.
Tu écris facilement
ces jours-ci ?
Eugene : Oui, je
n'ai pas à me forcer. Dans le passé, parfois je forçais les
chansons, et souvent le résultat était misérable. J'en ai écrites
quelques unes cette semaine et j'en suis très content. J'ai commencé
à écrire à 15 ans, ça me semble tellement naturel maintenant. Mon
succès est très limité et je ne suis pas très célèbre, donc je
n'ai aucune pression. Si je deviens très connu et si « Chroma »
se retrouve en tête des charts, je serais incapable d'écrire une
chanson décente. C'est pourquoi tant de groupes deviennent si
mauvais avec le succès. Les chansons deviennent décevantes. Ils
sont niqués mentalement à cause de la pression entre autres. Je
suis invisible donc j'ai autant de plaisir à écrire, comme quand
j'avais quinze ans. C'est très important pour moi. Je suis tout le
temps en train d'écrire. Et le résultat est toujours très
différent, c'est pour ça que j'adore ça. Souvent c'est la musique
qui vient en premier. Quelquefois c'est les paroles. J'écris
beaucoup, je laisse ça de côté, après j'ai des idées musicales.
Et ensuite je me dis « Tiens ces paroles seraient parfaites
pour ça ». Beaucoup de chansons sur « Chroma »
sont nées très naturellement, immédiatement. Je me suis assis, une
guitare, un papier, un crayon. C'est assez magique.
Tu disais un peu plus
tôt que c'était important pour toi de montrer que tu pouvais te
débrouiller seul avec une guitare...
Eugene : Moi je
n'ai rien à prouver au monde mais j'apprécie les commentaires
positifs. Je suis ambitieux mais ce n'est pas non plus une vendetta
pour prouver que je suis bon. Et puis tu sais, le monde, en général
à plutôt mauvais goût. Je m'en fout un peu. Enfin pas tant que ça
quand même. Mes fans ici en France sont géniaux, c'est ce qui me
permet de continuer. Je n'ai pas beaucoup de fans mais je les adore.
Ils sont brillants. Je ne veux pas paraître cheesy mais c'est
vraiment très important pour moi, ça me permet de continuer à
vivre mon rêve. T'enregistres un album, tu fais ton concert, les
gens sont contents. C'est génial. Je ne rêve pas de remplir les
stades, je ne veux pas faire de duo avec Beyonce, je n'ai pas envie
d'être habillé comme un idiot. Je veux juste être moi-même. Et
jusqu'ici j'y arrive et ça j'apprécie beaucoup. C'est vraiment
cool, je veux continuer comme ça. Ma musique changera en
veillissant. C'est comme ça que je veux faire les choses.
Propos recueillis le
08/07/2014.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire