lundi 25 mai 2015

Interview avec Teddie Dahlin

Les Sex Pistols en action à Trondheim en 1977
Le 21 juillet 1977, alors que les Sex Pistols débarquent dans la tranquille petite bourgade Norvégienne de Trondheim, la vie de Teddie Dahlin, jeune ado bilingue chargée d'assurer les traductions pour le groupe, va brusquement basculer. La rencontre avec Sid Vicious et le coup de foudre qui a suivi va profondément boulverser la jeune femme. Trente huit ans après les faits, Teddie a consigné ses souvenirs, avec beaucoup de tendresse, dans un passionnant ouvrage A Vicious LoveStory (chronique ici). L'auteure a accepter de répondre, par email, à quelques questions laissant apparaître une émotion à fleur de peau...

La soirée d'après concert, Trondheim 1977
Est-ce que tu pourrais nous expliquer pourquoi et comment tu as écrit le livre ? Et pourquoi avoir attendu aussi longtemps, presque quarante ans, pour raconter cette histoire ?
Teddie Dahlin : Jamais je n'avais prévu d'écrire un livre. Je pensais que cela n'avait aucun intérêt. Et puis, en 2010, Trygve Mathiesen, un auteur Norvégien, m'a contacté à propos d'un ouvrage sur lequel il travaillait, Sex Pistols Exiled To Norway. C'était comme une sorte de catalogue des gens qui avaient assisté aux concerts du groupe en Norvège. Un truc dans l'esprit « j'y étais ». On lui avait suggéré que j'avais été en contact avec le groupe à l'époque. Au début, je n'étais absolument pas interéssée. Mais bon, le mec était sympa et avait l'air sincère alors j'ai décidé de lui filer un coup de main. Il est sociologue et son livre était le deuxième d'une série consacrée aux événements musicaux d'importance en Norvège. J'étais timide et réticente, je ne voulais pas révéler des détails de ma vie privée alors je suis restée assez évasive. Ce qui intéressait surtout Trygve c'était de savoir où le groupe avait mangé, ce que nous avions fait, de quoi on avait parlé etc... J'ai fini par écrire une bonne partie de son livre. Le livre est finalement sorti le 11 mars 2011 et a connu un succès incroyable. J'ai eu beaucoup de demandes d'interviews, j'ai reçu des appels des Etats-Unis et d'Angleterre et quand je refusais de donner suite, on questionnait ma famille, qui habitait en Angleterre, et Tore Lande (le promoteur du concert des Sex Pistols) qui à l'époque vivait à Malte. C'était dingue ! Même si je refusais de parler, d'autres le faisait à ma place. Il y a eu des articles à propos du livre de Trygve dans la presse Norvégienne, sur les blogs au Royaume-Uni et un peu partout dans le monde. Ca devenait effrayant ! Quelqu'un à dit « Teddie est le livre » en précisant que les détails que j'avais apportés étaient plus intéressants que l'approche anthropologique qui était à l'origine le sujet. Certains détails ont été dévoilés, des spéculations qui sont ensuite devenus des mensonges. Tore Lande, qui est mon ami depuis mes 14 ans, m'a appelé de Malte et m'a dit d'écrire mon propre bouquin pour raconter l'histoire et mettre les choses au point. C'est ce que j'ai fait. 

C'était un livre difficile à écrire d'un point de vue émotionnel ?
Teddie : Absolument. C'est probablement l'une des choses les plus difficiles que j'ai jamais faite. Tout le monde se souvient de son premier amour. Quand cette personne décède c'est tellement difficile à gérer. Sid est décédé 19 mois après notre rencontre. J'avais 18 ans et j'avais caché notre amitié au fond de mon cœur comme un souvenir affectueux. J'ai toujours cru que j'allais le revoir. Il fallait juste que je grandisse un petit peu avant. J'étais abattue après son décès. Je n'arrivais pas à m'en remettre. Au lieu de faire mon deuil, j'ai rangé tout ça dans un coin de ma tête. Je ne voulais pas y penser, je ne voulais plus penser à lui. Après, j'ai tout fait pour éviter tout ce qui pouvait me rappeler tout ce qui s'y rattachait. Les premiers chapitres ont été faciles à écrire. Et puis, quand je suis arrivée vers la fin, toutes les émotions sont revenues d'un coup. J'ai tout pris en pleine tête. Soudainement, il fallait que je fasse mon deuil. 35 années s'étaient écoulées, ce n'est pas pour cela que c'était plus facile.

Tu n'as pas eu peur de révéler trop de détails intimes ?
Teddie : Tu veux parler de sexe ? En écrivant, je n'arrêtais pas de me demander si Sid aurait été d'accord que je raconte tout ça. Savoir qui savait quoi, Sid s'en foutait. Mais ce n'était pas mon cas. Ce n'était pas seulement la vie privée de Sid, c'était la mienne aussi. Alors j'ai décidé de « fermer la porte de la chambre à coucher » de la même façon que je ne ferais jamais l'amour en public. Ca ne regarde personne. Pourtant je suis sûre que le succès du livre aurait été encore plus important et attiré un public plus large si j'avais révélé certains détails. Mais ce n'est pas le sujet.

C'est un livre nostalgique ?
Teddie : Oui, très nostalgique en effet.


La soirée d'après concert, Trondheim 1977
Tu es restée en contact avec les autres membres des Sex Pistols ?
Teddie : Non. Sid m'envoyait des nouvelles par le biais d'amis communs jusqu'à Noël 1977 mais je n'ai revu personne. Malcolm McLaren avait organisé une nouvelle tournée des Sex Pistols en Scandinavie qui était prévue juste après la tournée américaine de janvier 1978. Je devais rejoindre Sid à Stockholm. Il était resté en contact et m'avait gardé dans son cœur et dans sa mémoire. J'étais tellement heureuse. Tout le monde sait ce qui s'est passé pendant cette tournée américaine, le groupe s'est séparé et ils ne sont jamais revenus en Scandinavie. 

Alors qu'on travaillait sur le premier ouvrage, celui de Trygve, je suis rentrée en contact avec un des roadies du groupe, Roadent, qui auparavant était le roadie des Clash, et qui est devenu par la suite une star du cinéma en Allemagne. On ne s'était pas parlé depuis trente ans, c'était génial de se revoir. On est toujours en contact et on se revoit quand je suis à Londres.

Je ne savais pas comment finir A Vicious Love Story. Je pensais terminer avec le van qui partait. Eileen Polk, qui était avec Sid à New York quand il est décédé m'a contacté. C'est une photographe et c'était la petite amie de DeeDee Ramone et d'Arthur « Killer » Kane. Elle m'a raconté beaucoup de trucs dont je n'étais absolument pas au courant. J'ai alors décidé de contacter d'autres personnes qui étaient là bas à l'époque. Ce livre allait être constitué de témoignages directs, de première main, pas de spéculations, ce que d'autres ont fait avant moi. J'ai rencontré Peter Gravelle à Londres. C'est lui qui a fourni à Sid sa dernière dose d'héroïne, celle qui lui a été fatale. Les derniers chapitres du livre sont racontés par des gens qui étaient sur les lieux. Ce sont tous des amis très chers.

L'histoire est incroyablement détaillée. Tu n'as passé que quelques jours avec Sid et pourtant on a vraiment l'impression d'une relation de longue durée...
Teddie : Absolument. Je vais t'expliquer pourquoi l'histoire est si détaillée.

Quand j'ai quitté l'Angleterre pour la Norvège en 1975, j'ai étudié très dur pour perfectionner ma maîtrise de la langue norvégienne. En 1976 je suis retournée passer des vacances en Angleterre et là je n'arrivais plus à parler anglais. Je mélangeais les deux langues. J'ai alors décidé d'écrire un journal intime en anglais pour rester bilingue. Tu peux imaginer comment je me sentais : j'avais 16 ans et j'étais amoureuse d'un mec incroyable. Absolument tout, les sentiments, le moindre détail a été consigné dans ce journal intime.

Sid et moi c'était quelque chose d'instantané. Il y a tout de suite eu une grande confiance entre nous. On a parlé, parlé, parlé. C'était comme si on avait tous les deux le sentiment que notre temps était compté et qu'il fallait plonger la tête la première. Je n'avais jamais rien connu de tel avant. Quand j'y repense, je croyais qu'il allait être plus réservé sur sa vie, mais finalement non. Encore aujourd'hui, Sid peut me faire confiance. J'ai vraiment l'impression d'avoir fait ce qu'il fallait en écrivant ce livre. Quelque chose de bien. Le junkie idiot, ce n'est pas le mec que j'ai connu. Le monde doit connaître l'autre facette du mythe et de la caricature populaire.

Teddie en 1977
Finalement tu regrettes de ne pas être montée dans ce van ?
Teddie : Initialement, oui je l'ai regretté. Bien sur, j'étais amoureuse et je voulais passer plus de temps avec lui. Deux filles du Bromley Contingent étaient là avec moi :Tracey O’Keefe et Debbie Juvenile. Debbie était folle de rage que je n'ai pas quitté la Norvège pour Sid. Elle était livide. Elle était assise avec moi sur les marches de l'hôtel quand j'étais en train d'écrire une lettre pour Sid qu'elle devait emporter avec elle jusqu'à Londres. J'étais inflexible sur le fait que, bien que je ne pouvais pas venir en Suède, j'allais le rejoindre à Londres.

Mais, avec le recul, je pense que j'ai pris la bonne décision. Je pense que Sid aurait fini par me faire souffrir. Sid n'a pris de la drogue qu'une fois en ma présence. J'ai menacé de partir s'il recommençait et il m'a juré qu'il resterait clean. Tout le temps qu'on a passé ensemble, il a tenu parole. Mais je ne sais pas combien de temps j'aurai eu ce pouvoir sur lui. Je sais que dans le fond, la vie qu'il a mené n'était pas celle qu'il aurait voulu. Le diable rodait toujours.

Il y a beaucoup à dire avec le recul. Mais à l'époque il y avait tellement de choses que j'ignorais, que je ne pouvais pas voir. Les années ont passées, on m'a rapporté des choses qui m'ont dévastée. Tu sais, je n'étais pas sûre des sentiments de Sid. C'était la grosse star du punk et j'étais juste une jeune ado. Je sais ce que j'ai vu dans ses yeux quand on était ensemble. Mais quand il est parti, j'ai commencé à me poser beaucoup de questions. J'étais peut-être une fille parmi les mille autres que Sid a rencontré en tournée ? C'est cette perte de confiance et le fait que ma Mère avait confisqué mon passeport qui font que j'ai annulé mes plans pour venir le rejoindre à Londres. Et pourtant j'ai reçu des messages de Sid qui me pressait de venir. J'ai appris en écrivant le livre que Sid avait tenu ses promesses pendant plusieurs mois.

Sid et le groupe sont ensuite partis jouer à Stockholm. Un photographe Suédois qui avait couvert le concert m'a dit que Sid avait été très calme. Après le concert il est parti directement se coucher à l'hôtel. Mr Punk en personne un samedi soir ! J'espère qu'il n'a pas voulu faire la fête parce qu'il était triste pour nous deux. Je ne le saurais jamais...

J'avais demandé à Sid de se tenir éloigné de Nancy (Spungen, la petite amie officielle de Sid Vicious, ndlr). Il me l'avait promis. Il a dit que c'était terminé. En fait leur histoire était un peu sur courant alternatif. Quand on s'est rencontré ils étaient séparés. Il était en colère parce qu'elle était infidèle. Il s'en foutait si elle couchait à droite et à gauche. Cela ne voulait rien dire à l'époque et il avait promis de garder ses distances. J'étais en Norvège et on m'a dit qu'ils ne se voyaient pas. Après Noël et la tournée aux Etats-Unis, ils étaient ensemble. J'ai pensé que cela avait été le cas tout le temps. Récemment, en lisant England's Dreaming vol. 2, le livre de Jon Savage, j'ai appris que Barbara Harwood, la chauffeure à l'automne 77, a dit que Sid lui avait demandé de l'éloigner de Nancy. Nancy s'était pointée à plusieurs concerts et Sid ne voulait plus la voir ni avoir affaire à elle. Barbara a aussi affirmé que Sid l'avait suppliée de l'aider à rester clean. Une nuit il s'est battu et a fini à l'hôpital. Nancy était là. Barbara a écrit qu'elle a regretté ensuite de ne pas avoir écouté Sid et d'avoir laissé Nancy l'accompagner à l'hôpital. Je suppose que c'est comme ça qu'ils se sont rapprochés. C'est difficile d'entendre tout ça des années après. Je suis pleine de remords. Aurais-je pu faire une difference dans sa vie si seulement j'avais écouté mon cœur ?

Est-ce que tu écoutes encore les Sex Pistols aujourd'hui ?
Teddie : Non je ne les écoutais pas à l'époque pas plus que je ne les écoute aujourd'hui. Je n'ai jamais été punk ni fan de qui que ce soit. J'étais là pour faire le boulot de traductrice.

Teddie aujourd'hui
A quoi ressemble ta vie aujourd'hui ?
Teddie : Elle a drastiquement changée depuis 2011 ! J'ai écrit cinq livres, trois romans policier et deux essais. J'ai acheté une maison d'édition au Royaume-uni en 2012, New Haven Publishing Ltd, elle grandit assez rapidement et c'est fabuleux ! J'ai douze auteurs qui ont publiés plusieurs livres chez nous. On a crée une branche pour les écrits en langue étrangère et l'édition française de Vicious Love Story est le premier à sortir. Le livre est également disponible en édition Russe. L'écriture c'est ma passion. Je continue le journalisme musical comme freelance, principalement pour des publications britanniques mais également pour le Punk Globe de Los Angeles. Le journalisme c'est venu après avoir été interviewée aussi souvent. Un magazine m'a demandé de les aider à décrocher une interview avec un célèbre ami à moi. Quand il a donné son accord, la rédaction m'a demandé d'assurer l'interview. C'est comme ça que j'ai commencé. Je passe le plus clair de mon temps en Norvège à Oslo, mais comme ma maison d'édition est en Grande-Bretagne, j'ai fini par passer du temps là-bas aussi. Je suis devenue nomade.
Un grand merci à Teddie Dahlin et à Alexandra Schroll.
Propos recueillis par email le 20 avril 2015.


A Vicious Love Story, souvenirs du vrai Sid Vicious
De Teddie Dahlin (Traduction Alexandra Schroll)
New Haven Publishing LTD UK. First French Editions
318 pages.




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