



Le charmant petit film Juno ressemble aux films indépendants qui ont fait les beaux jours des salles obscures dans les années 90. Des films qui ont permis de découvrir des réalisateurs comme Quentin Tarantino, Vincent Gallo, Larry Clark, Spike Jonze ou Kevin Smith. Et la bande son de Juno est à l’avenant. Un disque plutôt acoustique qui fleure bon l’automne et les feuilles mortes. Avec au programme des classiques indémodables : The Kinks « A well respected man », Buddy Holly « Dearest », « I’m stinking with you » du Velvet Underground ou bien encore Mott The Hoople « All the young dudes ». On y trouve encore quelques raretés, la reprise de « Superstar » des Carpenters par Sonic Youth, et certains groupes côtés dans le milieu indé comme Belle & Sebastian et Cat Power. Mais la grande gagnante aux points de cette excellente BO est Kimya Dawson qu’elle soit en solo, en duo avec Antsy Pants ou accompagné de son groupe The Moldy Peaches (avec Adam Green), le timbre enfantin de Kimya est présent sur sept titres. Au final, une jolie petite compilation, mignonne comme tout, enregistrée à l’économie, et c’est ce qui fait tout son charme.Bref passons et revenons au sujet principal de ce blog, la musique. Et elle fut de grande qualité hier soir. Commençons par Tony Joe White, vétéran de la scène blues de Louisiane, largement occulté sur sa terre natale, et auteur de « Polk Salad Annie ». Ce dernier a donné, on l’a vu précédemment, une prestation courte mais néanmoins intense. Assis tout du long, l’harmonica autour du cou et sa vieille Stratocaster dans les mains, Tony Joe a entamé son set en solo avant d’être rejoint par un excellent batteur, puissant, fin et technique. Un duo guitare/batterie, cet homme-là serait-il le père spirituel des Black Keys et autres White Stripes ? Je ne peux pas terminer la première partie de ce compte-rendu sans évoquer la voix de gorge profonde et grave de Tony Joe. Le temps n’a pas de prise dessus…

Vint ensuite Alvin Lee. Ancien leader de Ten Years After, créateur du riff inusable de « Love like a man », Alvin, survivant des 60s, est l’une des plus fine gâchette guitaristique en provenance d’Angleterre. Un vrai guitar-hero, mais qui à l’inverse de ses contemporains Eric Clapton, Jimmy Page et Jeff Beck n’a jamais vraiment eu le crédit qu’il méritait. En formation trio et avec sa fidèle Gibson demi-caisse rouge, Alvin a livré une prestation à mi-chemin entre John Mayall et Brian Setzer. C'est-à-dire en puisant aux sources du blues et du rock n’roll 50s. Je remarque qu’il n’utilise aucune pédale d’effet ou de distorsion, uniquement son ampli et l’overdrive. C’est du pur son, pas d’artifices. Impression renforcée par le bassiste qui quitte parfois son instrument pour utiliser une contrebasse encore plus « roots ». Alvin, je l’apprécie quand il est direct et qu’il balance ses riffs avec une précision imparable, moins quand il se perd dans des solos interminables (la remarque vaut également pour le batteur). Alvin nous a refait le coup de la nostalgie (avouons-le, c’est aussi pour cela qu’on se déplace) et nous lance un : « retournons à Woodstock » et d’enchaîner sur « I’m coming home ». La version de cette chanson (et son solo) jouée lors du festival de Woodstock en 1969 (et immortalisée sur film) l’a fait entrer dans l’histoire. L’audience en grande partie composée de vieux hippies tout droits sortis de « That 70s show » et autres « Dharma & Greg » est aux anges. J’ai pour ma part apprécié de vivre un petit bout de cette histoire par procuration.


Originaire de Boston, véritable terreau du rock indépendant US (et ville d’où sont issus les Pixies), le trio Morphine à de suite fait forte impression. En France, ils seront la grande révélation des transmusicales de Rennes en 1993. C’est que le trio est atypique, batterie (alternativement jouée par Jerome Deupree et Billy Conway), saxophone (Dana Colley) et une basse pour le moins originale, composée de deux cordes uniquement et joué à l’aide d’un bottelneck. Les deux premiers albums, « Good » et « Cure for pain » sortiront coup sur coup en 1993. Même si ils entretenaient des liens étroits avec le jazz (le sax, le swing de la batterie) et le blues (le bottelneck) c’est bel et bien à un authentique groupe de rock n’roll que l’on affaire. Morphine, ou l’art de développer un son (aujourd’hui encore) frais et novateur tout en restant d’une certaine manière fidèle à la tradition binaire. Un authentique grand groupe. Le plus excitant et original des années 90. Morphine développait un charme vénéneux, dans un univers de clubs obscurs et enfumés à la Tom Waits. Un cadre de film noir pluvieux, traversé par de nombreuses femmes fatales. En déshabillant sa musique au maximum, Morphine dégageait quelque chose d’essentiel. Le personnage central du trio c’était Mark Sandman, homme aux talents multiples : auteur, compositeur, interprète, multi-instrumentiste (bassiste, beaucoup, guitariste, un peu, pianiste et spécialiste des instruments bizarres type tritar, chamberlin…) et luthier. Et oui, sa basse bizarroïde à deux cordes, Mark l’avait fabriqué lui-même. Le groupe a continué sur sa lancée publiant en 1995 l’excellent album « yes » puis en 1997, « like swimming », ou hélas, la lassitude commençait à poindre. Puis ce fut le drame. Le 3 juillet 1999, à Rome, quelques jours avant une date prévue au New Morning, Mark Sandman s’effondre, tel un Molière rock, sur scène en plein concert. Les sources divergent quant à la nature du décès, aussi soudain que tragique, de Mark Sandman, certaines évoquent une crise cardiaque fulgurante, d’autre une rupture d’anévrisme. Il avait 47 ans. Quoiqu’il en soit le rock n’roll a perdu bien plus qu’un chanteur, le 3 juillet 1999, Mark c’était un iconoclaste de grande classe. Sur scène, l’unique fois où j’ai eu la chance de les voir en live, à l’Elysée-Montmartre le 2 avril 1994, Mark était passé maître dans l’art d’emballer le public en moins de deux. Du charisme, de l’humour, un sens de l’autodérision ravageur… En 2000, le groupe publie l’album posthume « The Night », que Morphine était en train de présenter au public lors de cette funeste tournée européenne. Suivront un live « Bootleg Detroit » enregistré par un fan dans le public et un best of, incluant quatre inédits, sorti en 2003. Pour être tout à fait complet, la discographie de Morphine est complétée par une compilation de faces B sortie en 1997 et d’un coffret (deux cds et un DVD) consacré aux enregistrements solo et inédits de Mark Sandman. 
La FNAC Montparnasse serait-elle devenue une annexe du blues Chicagoan ? Quoi qu’il en soit, un mois après les Shake Your Hips ! (voir mon message du 18 février) on a eu de nouveau droit, vendredi en fin d’après-midi, à un nouvel excellent showcase d’un autre très bon groupe français, Blues Power Band. Ce qui prouve bien la vigueur actuelle de la scène blues hexagonale, bien loin de se résumer au seul « cœur d’un homme », dont, avouons-le, on se bat, euh, comment dire, eh bien un autre organe que le cœur !
Bref, trêve de plaisanteries, par ce que sur scène, mes enfants, ça bouge sec. Blues Power Band, dit comme ça, ça à l’air tout con, mais c’est bigrement bien trouvé. Car « puissance » est bien le premier qualificatif qui vient à l’esprit pour décrire la musique de ce groupe. Laquelle est un subtil mélange entre gros son et groove. C’est à la fois lourd et funky, un peu comme si Led Zeppelin avait avalé les Meters. Ce concert respire la convivialité. Les BPB prennent beaucoup de plaisir sur scène et nous en donne autant en retour. On se fait des petites mimiques entre potes, on rigole, on saute en cadence. Musicalement, on affaire à des sacrés artilleurs. Une rythmique solide, Nicolas Paullin à la basse et Olivier Picard à la batterie, un chanteur, Hervé Joachim à peine moins impressionnant que Freddy Miller des Shake your hips, et surtout deux fines lames aux guitares Pascal Guégan et Régis (tiens, tiens le même prénom que l’auteur de ces lignes) Lavisse qui alternent les solos. Et surtout une belle générosité avec le public puisque les BPB tiendront la scène plus d’une heure. Vers la fin les deux guitaristes et le bassiste prendront le public d’assaut et finiront dans le public debout sur les tables. Une véritable course poursuite au milieu du public médusé. Une attaque en règle. C’est frais, euphorisant. Parfait pour débuter le week-end. Ou en toute autre circonstance…


