mardi 24 février 2015

Interview avec The Dukes.




Ca marche fort pour les Dukes, quatuor devenu duo, le groupe est au taquet dans la foulée de son excellent deuxième album « Smoke against the beat »...

On avait parlé la dernière fois de l'enregistrement de l'album « Victory » en Suède dans des conditions apocalyptiques. Comment ça s'est passé ce coup-ci à Los Angeles ?
Shanka (voix/guitares) : C'est un faisceau d'événements. On a fait le premier par moins trente sous la neige, on va faire le deuxième sous le soleil par plus trente (rires) ! Forcément quand tu fais le casting des lieux, Los Angeles vient naturellement à l'esprit. Après c'est tout simplement des rencontres...
Greg (batterie) : J'ai rencontré Jamie Candiloro, le gars avec qui on a travaillé là-bas environ un an avant. Tu sais, moi je me partage entre les Etats-Unis et la France, il y avait le côté pragmatique. Et puis c'est fun de faire un disque de rock aux Etats-Unis. Ca s'est imposé naturellement...
Shanka : A Toulon, par exemple, c'est beaucoup plus compliqué (rires) !

Et au niveau du son, ça vous a aidé à viser plus gros ?
Shanka : L'intention n'était pas d'avoir un plus gros son mais quelque chose avec plus d'air et plus seventies. On était plus dans la finesse, presque classic rock, dans l'idée d'avoir un album qui vieillisse bien. Pas académique, mais plus classique même si dans la forme on a réussi a trouver des originalités. Et puis ça découle aussi du choix du studio et de travailler avec Jamie.

Il y a eu beaucoup de temps, presque deux ans, entre l'enregistrement et la sortie...
Greg : Tout à fait ! Je vais reprendre ma métaphore habituelle avec le fait d'être père. Faire un enfant ça va vite et c'est agréable. Après l'élever jusqu'à son bac, c'est une autre histoire.

Shanka : Le titre de l'album résume bien le truc. Smoking against the beat, c'est une phrase de Bogart qui signifie aller à contre courant. Ce qu'on fait là, c'est extrême. On y arrive mais c'est beaucoup de travail et ça prends du temps tout simplement. Et puis la musique c'est un milieu où les choses ne se font pas du jour au lendemain. Il faut du temps pour convaincre les gens, trouver les bons partenaires. On a monté tout le show live. Et j'ai pris en charge tout le côté artistique, illustration de l'album, ça m'a pris du temps pour apprendre et trouver la voie. Pour le coup, j'étais totalement vierge de ce côté là. Je me suis laissé le temps.

Il y a un gros changement de line up avant vous étiez quatre maintenant vous êtes un duo. Qu'est-ce que ça a changé, à part le fait qu'il y a moins de matos à porter ?
Shanka : C'est la crise (rires) ! Ecoute il y a plutôt plus de matos en fait ! C'est notre concept, on est deux mais on doit sonner comme douze (rires) ! (Il devient sérieux) Ca change les énergies sur scène...

Et la dynamique entre vous deux ?
Shanka : Quand tu analyses le phénomène, on tombe presque dans la physique quantique. La manière dont l'énergie rebondit sur scène entre les membres d'une formation musicale. C'est vraiment particulier à chaque projet. Il y a des énergies qui se détruisent entre elle. Ça arrive, moi j'ai joué dans un projet comme ça où les énergies étaient très destructrices. Là, on n'est que deux, c'est presque comme un match de tennis, ton partenaire te renvoie la balle en permanence. Quand on plus nombreux tu renvoies la balle à l'un qui la renvoie à son tour à l'autre. Ça peut paraître un peu ésotérique, ce genre de comparaison. On est dans des musiques qui ne sont pas uniquement cérébrales, c'est pas du shoegaze, on est ensemble, on se regarde, on se pousse les uns les autres. En binôme c'est assez intéressant tu te retournes toujours vers le même gars qui te renvoie toujours la balle. Pour le coup c'est vraiment positif, on se connaît depuis longtemps, on le savait déjà. C'était déjà comme ça quand on jouait ensemble dans No one is innocent.

Greg : Les choses se sont passées comme ça. On pensait déjà à un set up en duo pour pouvoir jouer aux Etats-Unis, bien avant l'enregistrement. Quoiqu'il arrive Shanka et moi on toujours été les piliers de ce projet, ceux qui le faisait avancer. A partir du moment où certains ne pouvaient pas mettre le même degré d'implication que nous dans le groupe, ça n'est pas un problème, mais il nous fallait une version où nous on pouvait continuer d'avancer. Et ensuite la vie fait que...
Shanka : Ça c'est fait naturellement.

Greg : J'avais peut-être un petit fantasme caché au fond de mon cerveau, parce que j'en avais toujours rêvé. J'en reviens à l'idée du ping-pong. Trouver un musicien avec qui on peut échanger comme ça tout le temps. A un degré cérébral, technique ou amical. Quand tu sens une complicité, une loyauté. Avec Shanka c'est très pratique, c'est en toute confiance.
Shanka : Il n'y a pas de retenue.
Greg : Ca fait tellement longtemps qu'on se connaît...
Shanka : C'est naturel.
Greg : On n'est presque pas peur d'être à poil l'un devant l'autre (rires).
Shanka : Et doucement là (rires) !
Greg (gêné) : Oui enfin on s'entends (rires) !

A l'écoute du disque j'ai l'impression que vous avez élargi l'horizon musical, il y a plus de blues (« Gold digger »), plus de pop (« Alive »), plus de punk (« Grey people »). Je sais que les influences on toujours été là, mais dans « Victory » ça ne s'entendait pas forcément...

Shanka : Tout à fait. « Victory », notre premier disque, c'est fait un peu bizarrement dans le sens où c'était une compilation de plein de choses. Après le premier album et les deux premières tournées, on s'est posé plusieurs questions : Quel est notre projet ? Quelle est sa couleur, son caractère ? Qu'est-ce qui marche bien ? Quand tu crées un groupe, c'est comme une espèce de personne morale à part entière. Tu ne peux pas faire n'importe quoi avec n'importe quel groupe. Il y a tellement de paramètres. Moi-même en tant que frontman je me suis posé plusieurs questions : Dans quel domaine je suis le plus à l'aise ? Où ai-je envie d'aller ? Il y a d'abord eu un parti pris volontaire qui s'est dégagé naturellement. Ce disque là j'ai voulu l'ancrer dans une vérité rock n'roll des années 70. D'où les références au Gun Club, aux Stooges. Pour trouver un noyau irréductible d'énergie rock qui ne ment pas, qui n'a pas peur d'aller dans l'efficacité et la simplicité. Et d'autre part il y a mon côté blues/country que j'ai dans les veines depuis que j'ai commencé la musique.

Greg : Attention c'est des sujets... On est fans !
Shanka : J'ai construit autour de ça. C'est une recherche presque au stade philosophique. Quand tu commences à analyser les musiques folkloriques populaires, tu touches à quelque chose de terrien, ancré dans l'imaginaire populaire, qui parle à tout le monde. Cette recherche d'absolu. Pouvoir toucher n'importe qui, de n'importe quelle culture parce que tu utilises cette racine commune. Je trouve ça fascinant. Et puis il y a le côté punk, dans l'esprit et la manière de faire. Dans l'attitude et dans la musique. C'est un truc qui nous parle depuis toujours. Le côté pop vient d'une démarche qui est foncièrement tournée vers le public. Evidemment on cherche aussi à se faire plaisir. Si tu ne prends pas de plaisir, tu ne peux pas en donner. La science de la chanson. Nous on est la génération X, on a grandi avec le power pop, avec Nirvana. Ces gens nous ont influencé à mort. Et leur idée c'était de faire des chansons avec une exigence d'honnêteté artistique absolue dans le texte et dans la musique. Et en même temps avec une forme très punk, gros son, production épique. On ne fait pas de la musique de chambre.

Greg : Tourner avec les Subways c'était aussi très instructif, très intéressant. Ça nous a donné une idée sur le punk, la chanson, les formats courts. On est loin d'avoir fait du pompage mais quand tu tournes pendant quatre semaines avec un groupe comme eux, ça donne à réfléchir.
Shanka : Il y a des leçons à tirer...

Et le visuel a été beaucoup travaillé, plus que sur le premier disque. Le personnage de Smoky...
Shanka : Tout le visuel c'est moi. Mais si tu veux c'est une boîte de Pandore. Je ne pensais pas que cela irait aussi loin. Je suis un grand fan de Daniel Johnston. J'ai vu ses œuvres en vrai pour la première fois il y a deux ans, au Lieu Unique à Nantes. J'ai eu une petite révélation. C'est vraiment chouette de pouvoir s'exprimer comme ça. Je n'ai pas fait d'école d'art ni rien du tout, mais il n'y a pas de complexe à avoir. Il y a toujours ce côté un peu corporatiste à la française, si ça n'est pas ton métier, n'y va pas. Mais je n'avais pas envie de laisser ça aux professionnels. D'avoir vu l'expo, ça m'a donné l'envie. Je vais y aller, je vais oser. Je vais exprimer ce que j'ai à dire. Ça ne sera peut-être pas bien mais ça sera sincère. De fil en aiguille, j'ai commencé à griffonner de plein de manières différentes : crayons, plume et encre, marqueur. Et pour le coup au marqueur, j'ai commencé à faire le dessin animé de « Grey People » où est né, un peu de nulle part, le personnage de Smoky. On a trouvé ça super fort. C'est là où j'ai demandé à Paul (Toupet, l'artiste, nda) de nous faire des masques pour la scène avec son interprétation du personnage. De la même manière, il y a une quinzaine de dessinateurs de BD qui font également leur interprétation personnelle du personnage. C'est super chouette de voir la vision d'artiste d'un personnage que tu as créé. On a vraiment fait un beau digipack avec un beau livret, on s'est fait chier avec le format... Chaque texte est illustré de manière indépendante, pour exprimer plus tout en laissant la porte ouverte a l'interprétation de chacun. Le but n'est pas de donner toutes les clefs mais de pousser plus loin l'expression artistique autour de la chanson.

Tout ce travail va se ressentir au niveau du live ?
Shanka : Tout à fait. On va essayer de faire vivre notre set up avec de la vidéo sans tomber dans la présentation powerpoint. Tu mets des écrans, tu projettes dessus, je trouve ça un peu figé. Ça ne fait pas vraiment rêver. Toute la création vidéo pour le live, un dessin animé que j'ai fait aux marqueurs, on le projette sur le matériel. Tout les instruments sont peints en blanc, on a mis de la toile par endroits. Et on en joue. La grosse caisse est ronde, j'ai fait un œil qui s'ouvre dedans par exemple. Des choses comme ça. C'est très ludique, très marrant à faire. Et puis c'est pratique.

Greg : On est un petit groupe, on ne peut pas prendre quatre heures pour faire nos balances et accrocher les supports etc... Tu débarques dans un festival ou tu fais une première partie, tu ne peux pas te permettre de dire je veux ça et ça. On voulait quelque chose d'ergonomique et de très simple à installer avec un rendu original. Les écrans géants c'est un peu décevant, triste quelque part.

Ca donne un côté calculé, à ce moment là il se passe ça etc...
Shanka : Ça n'est pas très surprenant et ça n'apporte pas grand chose à l'univers. En plus souvent c'est une création d'une personne extérieure au groupe et ça ne vient pas des créateurs au départ. Là, je l'ai fait moi-même. Techniquement ça n'est peut-être pas parfait. Mais chaque vidéo qui est lancée est en phase avec la musique. Ça ne peut pas être plus personnel. En plus j'ai mes limites en tant que dessinateur, donc on va à l'essentiel.

Greg : Cela donne de jolies métaphores. Des textes imagés. C'est une déclinaison, un fil rouge qui est parti de « Grey People ». Tout se tient. C'est les mêmes éléments.

« Grey People », c'est le titre qui a tout déclenché dans ce projet ?
Shanka : Pas vraiment. Dans l'absolu il est presque secondaire. Dans mon idée, ça n'était pas le bijou de l'album. Après il s'avère que j'ai fait le clip là dessus. C'est venu comme ça.

Il y a aussi un changement de dimension au niveau du label. Vous êtes maintenant signés chez Caroline, une major...
Greg : J'ai un contrat d'artiste avec Universal, sur un autre label, ça nous a ouvert des portes. On s'est retrouvé là par hasard. Se retrouver sur Caroline, pour nous c'était surréaliste. On aurait jamais signé ailleurs. Caroline sait travailler un disque comme le notre. C'est une simple question de culture. Au départ Caroline a été créé par Richard Branson pour les groupes qui ont du potentiel sans être nécessairement mainstream. Quand tu vois les opportunités qui sont offertes aux artistes français... C'est ça la clé de tout. Le label vient d'ouvrir une antenne en France, ça fait un réseau qui permet aux artistes français de remonter à l'international.

Shanka : Sur le premier on avait travaillé avec plein de boites différentes. C'est très compliqué de gérer plusieurs interlocuteurs qui ne se parlent pas entre eux. On a un canal, un interlocuteur. Ne serait-ce que pour aller chercher tes royalties, c'est plus simple et plus sécurisé pour nous.

Greg : On avait plusieurs propositions. Certaines avaient des réseaux de distributions en major. Mais quand tu vois le roster de Caroline : Blondie, Korn, 50cent, St Vincent etc... Juste pour citer quatre noms. Etre le premier groupe français signé sur ce label, ça peut valoir le coup quand même !

Shanka : C'est un super outil de travail. Et comme on s'occupe de tout, on ne va pas cracher dessus. On est malgré tout très indépendants. On choisit avec qui on travaille. Ça nous laisse de la marge de manœuvre. De toute façon on est allé trop loin dans l'indépendance. C'est devenu pratiquement impossible de nous imposer quoi que ce soit.

Greg : On sait avec qui on veut bosser et avec qui on n'a pas envie de travailler. Et cela ne pose jamais de problème. C'est ce qui fait la force de ce label. C'est au choix. La liberté ça n'a pas de prix. Je m'en rends compte dans la vie de tous les jours. Si on se plante ça sera de notre faute. On élimine plein de parasites quand tu sais comment tu veux travailler ton projet et quelle vision tu as pour le groupe. Et quand les gens en face sont prêts à te donner les moyens pour travailler comme tu l'entends.

Shanka : Si on regarde les choses d'un point de vue strictement industriel, les seuls disques qui vont rester en bacs, c'est ceux des majors.

Greg : C'est les seuls qui vont survivre. C'est la crise du disque. La FNAC ne centralise plus. Quand tu es en indé ça devient plus en plus compliqué pour placer tes disques. Maintenant les labels indés doivent négocier magasin par magasin la présence du disque de certains artistes dans les bacs. T'imagines le boulot ? C'est devenu un enfer. Et un dernier détail amusant, Caroline c'est une entité à part chez Universal, les bureaux sont dans un quartier différent. Caroline c'est l'indé de la major et nous on est l'indé chez Caroline. On s'y retrouve finalement.

Et pour les tournées ?
Shanka : On a trouvé une équipe en or pour s'en occuper : POP, pour oublier productions. Pour nous c'est super, jusqu'ici on avait fait que deux concerts en France.

Greg : C'est eux qui avaient pris Shaka Ponk quand ils jouaient pour 17 personnes. Ils savent faire du développement. Les programmateurs répondent positivement au disque c'est génial. Mais je pense qu'ils sont rassurés de savoir que le groupe est signé sur un label qui tient la route et qu'il y a un minimum de travail qui va être fait. Ça aide d'être signé sur un « beau » label. Ça crédibilise auprès des promoteurs locaux. De toute façon, si le disque ne plaisait pas, on aurait aucune date. Après toute la mécanique se met en route, ça entraîne les radios et ainsi de suite... Le label a une belle visibilité.

Shanka : Etre signé sur le même label que Korn, Blondie et 50 cents, c'est rassurant. Au moins le label va passer l'année ! (rires)
Greg : Et en plus tu te dis « WOW » ! (rires)

Shanka, sur « Don't die a copy » tu chantes « to find yourself you've got to loose yourself » cela m'a questionné...
Shanka : Pour arriver à se trouver et à se réaliser en tant qu'être humain il savoir se perdre un peu d'une certaine manière. Faire des expériences qui sortent des rails. Faire des sorties de route pour trouver la sienne. Loose, avec deux « o », c'est parce qu'il faut se détendre. Il faut arriver à prendre du recul. Arrêter de tout prendre comme si ta vie en dépendait. Le recul dans la vie c'est un des meilleurs médicaments anti dépresseur qui soit.

Greg : C'est vrai mais c'est dur.
Shanka : Ca rejoint l'humour. Je suis persuadé qu'il y a de l'humour dans la musique. C'est un trait de génie. Pourquoi Nirvana est si génial ? Parce qu'il y a une grande ironie de la part de Kurt Cobain dans la manière dont il présente son groupe. Je trouve que ça projette le groupe dans le génie. Quand il fait des émissions de télé en faisant semblant de jouer. C'est un des premiers mecs qui a osé le faire, qui a eu le courage. Ce qu'on fait ce n'est que de la musique, on ne fait pas de la recherche fondamentale, créer des vaccins ou creuser des puits en Afrique. Ça reste de l'entertainement, quelque chose d'assez léger finalement. Même si potentiellement les émotions provoquées par l'écoute peuvent être intenses. C'est important de dédramatiser la chose.

Shanka tu as déménagé à Bruxelles il n'y a pas si longtemps...
Shanka : Ça s'inscrit dans ma démarche d'aller voir le monde. Les voyages forment la jeunesse. Moi j'étais déjà un peu inséré dans le milieu belge grâce à quelques amis et collaborateurs. Je joue avec des Belges, je découvre l'arrière pays. C'est intéressant, les Belges ont une manière d'être à mi-chemin des pays voisins. Ils peuvent être très durs dans le business comme les Anglais et accueillant comme des Allemands ou des gens du Nord, généreux. Ils ont de l'humour aussi, c'est vraiment un pays au croisement de plein de cultures. Il y a énormément de bons groupes et de bons musiciens. Et puis Bruxelles est magnifique. Je viens de Nancy, j'adore l'art nouveau, et pour ça Bruxelles c'est génial. Tu sors dans la rue et tu as douze façades art nouveau d'affilée.

Propos recueillis le 13 mai 2014.
En concert le 19 mars à la Gaîté Lyrique


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