Avec sa
programmation tournant autour du blues, du rock garage, de la soul et
du folk/country, le festival Les Nuits de L'alligator fait notre
bonheur depuis douze ans puisqu'on est sûr, d'une part de trouver
des groupes que l'on aime et, d'autre part de faire de belles
découvertes. Avec une programmation de haut vol, cette nouvelle
édition n'a pas échappée à la règle, le tout dans le cadre
intime et intrinsèquement rock n'roll de la maroquinerie. Retour sur
les trois premières soirées parisiennes du cru 2017...
Jeudi 9 février :
C'est aux Espagnols de Guadalupe Plata qu'il revient l'insigne
honneur d'ouvrir les débats de cette nouvelle édition. Le trio,
assez atypique, compte en son sein un musicien préposé à
d'étranges instruments dépassant rarement les deux cordes en sus
des classiques batterie et guitare. La musique est majoritairement
instrumentale, twangue en diable et chasse sur les terres punk et
blues, rappelant le Gun Club et autres RL Burnside. Déjà assez côté
dans son pays natal, le groupe devrait conquérir l'autre versant des
Pyrénées. Enfin, dans un monde parfait. Il y a quelques mois de
cela, on s'était extasié sur le nouvel album des Sore Losers et
leur prestation du soir ne fait que renforcer l'excellente impression
laissée par l'album. Le set débute sur une note à la fois lourde
et lancinante rappelant Black Sabbath puis vire vers un son rock
n'roll garage brutal et sauvage bien aidé dans sa tâche par un
chanteur charismatique et un guitariste maniant l'art du solo sans en
faire des tonnes. Excellent de bout en bout, le groupe apporte une
touche de métal qui jusqu'à présent faisait défaut au festival.
Non, Boss Hog n'est pas le nouveau groupe de l'hyperactif Jon Spencer
(Blues Explosion, Heavy Thrash). C'est même un projet très ancien,
formé avec son épouse Cristina Martinez, dont les premiers pas
discographiques remontent à 1990 et dont on avait perdu la trace à
la fin du siècle dernier. Un retour remarqué, après 17 ans
d'absence, c'est dire si l'événement est d'importance. La
Maroquinerie est pleine comme un œuf, pas évident de trouver le
spot idéal pour voir la scène (à vrai dire on n'y sera jamais
totalement arrivé) mais on est littéralement emporté par la
tornade rock n'roll ourdie par Spencer & Co. Contrairement à ses
autres formations, cette dernière est plus fournie, claviers (pour
une légère touche électronique assez rare chez Spencer), batterie
et deux guitares. Les voix étant dans leur majorité assurées par
Cristina Martinez qui harangue la foule dans une attitude
foncièrement rock n'roll. Le son est énorme, le public assommé.
Grand moment.
Vendredi 10
février : La soirée débute avec une jolie découverte,
l'atypique trio King Biscuit, originaire de Normandie. Derrière sa
jolie guitare vintage demi-caisse, Sylvain Choinier dispense un blues
envoûtant de sa voix de gorge. L'ensemble est très rythmique, la
formation est complétée par un batteur et un percussionniste, la
transe n'est jamais bien loin. Une étrange petite guitare carrée
(une mini Bo Diddley) et quelques discrètes notes de claviers
gardent la routine à distance, faisant pencher la balance vers plus
de modernité. Belle découverte. Lorsqu'il arrive sur scène Theo
Lawrence et ses Hearts emmène avec lui son univers sous la forme de
divers artefacts. Des plantes vertes et autres lampes chinoises font
ainsi leur apparition transformant la maroquinerie en salon douillet.
Situé au crossroads entre soul, blues et rock n'roll, l'univers
musical de Theo transpire le raffinement et l'élégance, bien servi
par sa voix de crooner et des musiciens de haute volée. Superbe
exercice. On termine enfin avec Luke Winslow King, chanteur et
guitariste venu de la Nouvelle-Orléans qui se produit pour la
première fois dans nos contrées. Sorte de Jeff Buckley du blues,
Winslow King enlumine son songwriting pop d'influences venues du
blues, du jazz et du folk. Son groupe est remarquable, le batteur
swing avec efficacité sur des patterns venus du jazz et la paire de
guitaristes (dont Winslow King lui-même) maîtrise le bottelneck à
la perfection. Hélas, la durée (trop longue) des compositions tends
à en réduire l'impact. Une belle découverte quoi qu'il en soit.
Dimanche 12
février : Le plateau regroupant des artistes masculins est
superbe. On commence par un chanteur dont l'album nous avait
particulièrement impressionné en début d'année William Z.
Villain. La complexité rythmique du disque laissait augurer une
transposition scénique compliquée. Et ce fut le cas. Seul avec sa
guitare et tout un attirail de percussions diverses, William passe de
longues minutes, entre chaque morceau, pour mettre au point le
pattern nécessaire à la chanson. La performance d'ensemble perd
ainsi un peu de son impact. Fort heureusement, la personnalité
fraîche, chaleureuse et enthousiaste de William aide à patienter.
Visiblement heureux d'être sur scène, William emballe le public en
moins de deux grâce à ses blagues et son français, approximatif
mais charmant. Lorsque tous les éléments sont en place, la musique
est une véritable beauté hypnotique, à l'image du magnifique « Her
Song » de clôture ou du tube « Anybody gonna move »
dont les méandres rythmiques rappellent l'Afrique. Un jeune artiste
à suivre. Avec leurs chemises à carreaux et leurs stetson sur la
tête, Karl Blau et son groupe œuvrent dans un registre différent,
celui de la country raffinée et romantique. La pedal steel amène un
indéniable supplément d'authenticité et la voix déborde d'âme.
L'ensemble évoque comme une version tendre et assagie de Steve
Earle. Magnifique. Lorsque Bror Gunnar Jansson, tiré à quatre
épingles, arrive sur scène, le silence se fait dans la salle. Le
public, comme impressionné par la stature de l'artiste, est dans
l'attente d'un grand moment. De fait, un concert de Bror Gunnar
Jansson est toujours un moment fort en émotions tant
l'investissement du musicien est total. Ce sont ainsi mille tourments
qui s'échappent de sa guitare et de sa voix. Ses accords déchirent
l'air ambiant et le chanteur, les yeux exorbités, semble
littéralement possédé. Limite flippant tant son esthétique est
sombre. En formation one man band, assurant à lui seul l'ensemble
des orchestrations, Gunnar impressionne et excelle, comme d'habitude.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire