(c) Guillaume Le Baude |
C’est juste avant la sortie de son deuxième effort
« More Better » que nous avons rencontré Boogers. Affalé sur un
canapé, ce dernier prend le temps d’évoquer ses inspirations et sa conception
de la musique. Une rencontre très sympathique…
Comment as-tu commencé la musique ?
Boogers : Mon premier rapport à la musique c’est les
disques. J’ai un oncle qui avait fait son service militaire en Allemagne de
1971 à 1973 qui était fana de musique. Il est rentré avec 300 vinyles ! Il
est mort assez jeune en 1978 et comme c’était mon parrain j’ai récupéré tout le
stock de disques. Il y avait tout le Krautrock. C’est des disques que j’ai eus
à 8, 9 ans. Ils étaient dans ma salle de jeux. J’avais une platine vinyle alors
j’écoutais mais sans savoir ce que j’écoutais. Les pochettes étaient hyper
belles, ça me fascinait… Tout en jouant aux big jim et aux légos. Après en
commençant à lire Best et Rock n’Folk, je voyais les disques de mon oncle qui
étaient chroniqués comme des œuvres hyper importantes : Can, Neu,
Kraftwerk… Là j’ai commencé à comprendre. Après t’as toujours un pote à 10, 12
ans qui fait de la guitare. Il y avait une pièce hyper grande chez mes parents
qui servaient de salle de répétition pour les potes. Ils laissaient leurs
instruments de musique. Moi je me suis pris de passion pour la batterie. Je
jouais sur des cagettes en fer. A l’époque j’étais obnubilé par Téléphone. Mes
parents en ont eu marre de me voir défoncer toutes les poubelles et les
cagettes du quartier ! Le deal c’était si t’as 12 au prochain trimestre on
t’achète une batterie. J’ai eu 10 mais j’ai eu une batterie quand même. J’ai
fait de la batterie à mort en écoutant les disques. Mes profs c’étaient les
disques. Deux, trois guitares et un quatre pistes qui traînent ensuite. C’est
parti comme ça. C’est vraiment de la découverte par moi-même, on ne m’a jamais
forcé. Mes deux grands pères étaient accordéonistes mais c’est tout… On m’a
obligé à faire de solfège petit mais j’ai arrêté très vite même si j’étais
premier de la classe. Ca ne me plaisait pas.
Tu fais beaucoup de choses tout seul, un peu bricolo. Tu as
ton propre home studio ?
B. : Pas vraiment, c’est un petit studio à Tours. En
fait c’est un ancien studio que j’ai récupéré avec un copain. Il n’y a plus
rien dedans. C’est vraiment du bric à broc. On est une dizaine de groupes
là-dedans et on essaye de faire croire que c’est un vrai studio. C’est que à
nous, on n’enregistre pas d’autres gens. C’est à la Jamaïcaine, un endroit où
on met tout le matos en commun. On fait pas mal de trucs ensemble, on s’aide
vachement. On s’apprend mutuellement des choses, personne n’a de réelle
formation. Sinon j’ai mon petit portable avec ma carte son, mon micro, je peux
me balader partout, faire de la musique où je veux, quand je veux…
Et est-ce que tu es du genre à aller chiner dans les
brocantes pour trouver des instruments ?
B. : A fond ! Je le fais un peu moins maintenant,
j’ai moins de sous. Ca allait mieux avant… J’achète surtout des lots de vinyles
dans les brocantes. Mais tous mes synthés je les ai chopés dans ces endroits
là. Le vintage, le vintage ça a son prix maintenant (soupir)… Moi c’est du
« vintage 90 »... J’ai tous les Yamaha je pense… Au studio on a genre
80 synthés, il n’y en a pas un qui vaut le coup ! Ce n’est que des petites
bouzes… Des trucs pour enfants. On n’a pas les vrais claviers vintage, les
rhodes, même si c’est mon fantasme. C’est hors de prix et c’est trop fragile.
On a tout dans l’ordinateur, en simulation. A quelques détails près sur le même
son.
Tu as sorti tes deux premiers albums très vite, en l’espace
d’un an, ce qui ne se fait plus trop maintenant. Qu’est-ce qui s’est passé, tu
as connu une période de créativité exceptionnelle ?
B. : Non, non… T’es pas le premier à me dire ça… Mon
entourage me le dit aussi… Bon j’ai trouvé un label (at(h)ome, ndlr) et mon but
dans la vie c’est de faire des disques. Des morceaux j’en ai tout le temps.
J’avais de quoi faire un nouvel album alors on y a va direct et puis c’est
tout. C’est le label qui me l’a proposé moi j’ai répondu évidemment, je suis là
pour ça ! C’est vrai qu’on est allé plus vite. Celui d’avant, j’ai mis
quatre ans à le faire…
C’est marrant ça…
B. : Oui mais ce disque là (le premier, ndlr), il
existe parce que j’ai voulu le faire. Je n’avais pas de tourneur, pas de label,
rien. L’enregistrement était terminé, le label a acheté le produit fini….
Le premier disque c’était plus pour « lancer la
machine »…
B. : Oui. Pour le nouveau j’avais encore plein de
morceaux qui traînaient. Il en reste peu finalement dans le deuxième…
Est-ce que tu penses que la sortie et la promo pour le
deuxième album a un peu empiétée sur la tournée de l’album d’avant ?
B. : Mon tourneur me l’a dit. Moi je ne pense pas.
Comment dire, moi la seule chose qui me fait vivre c’est l’intermittence. Pour
être intermittent du spectacle, il faut faire des concerts. Pour faire des
concerts, il faut sortir des disques. Voilà. C’est un rouage. Je ne suis plus
ado, maintenant j’ai une famille et tout ça… Voilà… Tant que je peux, je
continue… Je n’ai pas peur de l’asphyxie… Je ne suis pas très reconnu et j’en
suis conscient. Il faut que j’insiste. J’en ai surtout envie. Avec At(h)ome ça
se fait dans des super conditions, j’ai enregistré dans un pur studio à 20
mètres d’ici avec Bruno Desjardins qui est un gars génial. Il avait fait le
mixage sur l’album d’avant. Là on a tout fait ensemble sur un mois (souffle).
Hyper cool. Moi ma vie c’est d’aller dans un studio où il y a du matos de fou,
un gars hyper-compétent. Je suis trop content.
J’ai l’impression que ton deuxième album, More Better est
plus abouti que le premier… Le premier était funky celui-là est plus pop à mon
avis…
B. : Complètement ! J’avais choisi le studio après
l’avoir visité, il y avait plein de vieux synthés vintage. Mais des mortels !
Des trucs qui font des bruits de l’espace et tout ! Le jour où je suis
arrivé au studio, tout ces synthés-là étaient partis ! Le propriétaire les
avait embarqués. J’étais là, ah merde (rires) ! Et en fait il restait un
piano. Donc j’ai travaillé dessus. Il y a beaucoup de choses qui viennent de
l’ordinateur aussi. Des samples, des trucs que j’ai bricolé sur lesquels j’ai
rajouté des guitares. Pour « More Better » c’est vraiment compos à la
guitare sèche à la maison, devant la télé. Et après tu l’habilles avec de la
batterie et tout. C’est plus une démarche songwriting, le résultat est plus
pop. Ca a été vachement facile à faire en fait. Les difficultés du premier
album se sont effacées. J’ai réussi à éviter tout ce qui me bloquait avant.
« More Better » c’est aussi tout ce que j’écoute depuis que j’ai
15/16 ans, la pop américaine. Je me suis lâché, j’y suis allé à fond dans cette
direction. Je vais pouvoir passer à autre chose maintenant…
Pour les gens qui ne l’ont jamais écouté, comment
décrirais-tu ton deuxième disque ?
B. : Pop. Mais je ne suis pas super fan de pop
anglaise. Tout ce que les Inrockuptibles ont pu adorer dans les années fin 80
début 90 c’est tout ce que je déteste. Je préfère les américains Pavement, ou
la power pop genre Weezer. Mais pas de violons, pas Pulp ! J’adore chanter
les mélodies, j’adore les trucs entêtants ! J’adore écouter les potes qui
bossent en studio. J’aime bien organiser un morceau, jeter certaines idées,
remettre un gimmick deux fois… Tu crées ton morceau en une journée et puis te
reviens dessus deux semaines plus tard, ça j’adore !
Justement j’ai trouvé ton album assez riche en hooks…
B. : Ca vient tout seul en fait. Je gratouille, je
m’enregistre. Je fais beaucoup de contrôle C / contrôle V. J’enregistre quatre secondes
que je recopie ensuite. Ensuite je commence à chantouiller dessus. Là je viens
de me rendre compte que c’est un concours de Oh oh oh, pa pa pa et la la la
(rires) ! Il y a trois ou quatre morceaux à la suite, je me suis dit, ça
fait peut-être un peu trop là… J’adore ce côté refrain imparable, à la NOFX. Le
côté fédérateur et tendre. Je me suis trouvé un côté tendre. Un truc à la
Rancid où tu lèves ta bière avec les copains et on chante tous ensemble, c’est
classe !
Tu essayes d’instaurer ça en concert ?
B. : Ca ne chante pas trop en concert à part un ou deux
morceaux. Je n’ai pas encore la notoriété qui fait que le public chante comme
des fous mais je me lâche pas mal pendant les concerts. J’ai plus souvent des
regards interrogateurs mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il
fait ? Depuis quatre ans que je fais des concerts sérieusement, je suis
encore dans une phase de découverte du public. Ce n’est pas encore digéré, on
est encore au stade de la surprise.
Justement puisqu’on parle de la scène que préfères-tu entre
les shows en solo et ceux en groupe ?
B. : Le groupe c’est récent. C’est mes potes. Ils sont
un peu plus jeunes que moi, ils ont appris à jouer sur des plateaux avec des
retours et tout ça. Moi j’ai appris à jouer en groupe. Je n’avais jamais joué
en groupe de ma vie en tant que chanteur/guitariste, je ne l’avais jamais fait.
C’est une découverte pour moi. J’ai fait souvent fait le batteur par contre.
J’ai eu un prix de l’adami, on a pu avoir des grosses dates et tout le monde a
été payé en cachets. J’ai été trop fier que mes potes aient pu avoir des
cachets et devenir intermittents. Je suis content de faire vivre mes copains,
enfin pas beaucoup. C’est mon côté politique. On en est encore au début du
truc, on n’a encore jamais créée de morceaux ensemble, on a surtout refait
beaucoup de chansons du premier disque. Honnêtement le one man show pour moi
c’est quand même vachement plus simple, ne serait-ce qu’en organisation. Je
n’ai pas besoin de répéter quand je suis en solo, les morceaux c’est moi qui
les faits. Alors qu’en groupe c’est beaucoup de temps de répète, de mise au
point, de réglages… Et puis il y a l’humain aussi. Tout seul en concert, je me
lâche vachement. J’arrête les morceaux en plein milieu, je raconte des
conneries, je repars… Je cours, je m’en vais, je reviens, je jette des trucs…
Avec les gars je n’arrive pas à me le permettre encore. Et puis ils envoient un
volume… Ca aussi c’est un truc qui m’a vachement surpris. En solo, je joue
comme un groupe de hip-hop. Avec mon lecteur laser. J’enlève juste la gratte et
le chant pour rejouer par-dessus. Ca reste un volume assez normal. Mais là,
basse, batterie, guitare, claviers… Ca fait boum ! Répéter avec des boules
Quiès, je ne savais pas ce que c’était ! Par contre c’est vrai que ce n’est
plus du tout la même énergie. Aux Vieilles Charrues, c’était monstrueux !
On a envoyé ! Costaud ! Et puis on n’avait pas l’air ridicules et ça
j’en suis super content. C’est logique pour moi de jouer en groupe puisque ma
musique, c’est de la musique de groupe : guitares, basse, batterie. Mais
économiquement c’est une catastrophe. C’est horrible le prix que ça coûte
d’être cinq. Faut louer un camion, faut un régisseur de plus, t’es huit sur la
route… Ca pompe énormément d’argent. Je n’ai pas la notoriété pour me permettre
de ne faire que des concerts avec groupe. Juste pour payer notre salaire ça
fait déjà des coûts qui moi me gênent un peu… J’ai vécu l’autre côté du truc en
organisant des concerts. Tu vois des groupes qui t’aime bien mais qui ne sont pas
trop connus ? Quand tu réalises que les faire venir ça te coûte un bras,
et bien tu ne le fais pas. Ces histoires économiques, ça me mine vraiment.
C’est chiant. Ca t’empêche de faire des trucs. Tant que tu n’as pas fait un
gros single de toute façon tu n’as pas trop de pouvoir sur ces trucs là… On a
eu l’occasion de faire des grosses dates grâce au prix de l’adami mais bon
maintenant l’adami n’est plus là et continuer à faire des concerts en groupe
c’est compliqué…
Tu penses quand même continuer à faire des concerts avec ton
groupe ?
B. : Ouais, c’est la volonté de tout le monde. On
s’éclate bien on est une bonne bande de potes. Mais surtout ce qui important
pour moi c’est d’alterner les deux. A l’avenir j’aimerais faire des concerts
mi-solo, mi-groupe. Ca serait vraiment l’idéal. J’ai besoin de montrer que tout
seul j’assure aussi. Je suis allé au Québec et on m’a payé un billet d’avion,
en gros par ce que j’ai fait des morceaux moi-même. Et ça j’en suis hyper fier.
Je n’ai pas fait d’école, j’y suis arrivé par moi-même, ma seule volonté. J’en
suis vraiment très content.
Tu fais partie de cette génération qui a choisi de chanter
en anglais. Quel est ton rapport à la langue ?
B. : Je suis ce français type qui a été fasciné par
l’Amérique dans les années 80. Les chanteurs qu’on avait en France s’appelaient
Johnny Hallyday et Eddy Mitchell et eux-mêmes étaient fascinés par les
Etats-Unis. Après avec le grunge et la power-pop, déjà que j’étais d’accord
avec l’Amérique, d’un coup je l’étais deux fois plus ! Après, en vieillissant,
tu te rends compte que finalement ce n’est pas tant le paradis que ça… En ce
qui me concerne, ma musique est une interprétation de tout ce que j’ai écouté
avant. Weezer j’ai découvert les paroles il y a un an seulement alors que je les
écoute depuis 15 ans ! J’ai toujours énormément chanté en yaourt chez moi.
Après je remplace mes intonations par des mots en anglais qui sonnent à peu
près de la même façon. Au début cela ne voulait rien dire… Je n’arrive pas à
chanter en français. J’ai fait des essais, j’ai tout effacé. J’adore la variété
française, mais au neuvième degré. Si j’écrivais mes textes en anglais, ça
serait de l’ordre du non-sens ou de l’humour. Je serais incapable de raconter
en français, ce que je raconte en anglais. A contrario, je suis objectivement
fan de Jean-Louis Aubert, j’adore ! Quand j’ai fait le festival au Québec,
j’ai eu des chroniques après où on me reprochait de chanter en anglais avec un
accent déplorable alors que le Québec défends la langue française… Ca m’a
vachement blessé. En France, tu peux raconter ce que tu veux en anglais
personne ne dirait rien. Personne n’écoute les paroles en France, c’est une
catastrophe. J’ai joué à Londres il n’y a pas longtemps, c’est la première fois
que je voyais dans le regard des gens qu’ils comprenaient ce que je chante, ça
m’a fait super drôle. Les histoires d’anglais ça me poursuit depuis que j’ai
commencé. Mon éditeur, tout le monde me demande de faire quelques textes en
français… On a même voulu me faire prendre des cours de prononciation, j’ai
refusé. Un irakien qui chante en anglais aura un petit accent irakien, moi j’ai
un accent français, il va falloir s’y faire…
Propos recueillis le 28 septembre 2011.
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