Toute timide et cachée derrière son piano, l’avant bras
couvert d’un gros tatouage, Anna Aaron nous a accordé une interview. Originaire
de Bâle, la jeune Suissesse a frappé un grand coup avec son album « Dog inSpirit », sorti en début d'année, accouchant d’une œuvre à la fois
accessible et difficile d’accès. D’un abord un peu timide et réservé Anna Aaron
a bien voulu répondre à quelques questions en français, langue qu’elle parle
relativement bien mais ne maîtrise pas complètement. De fait, ses réponses sont
parfois lapidaires et émaillés de longs silences, qui lui sont nécessaires pour
trouver les mots justes. Rencontre.
Tu sors ton premier album, dans quel état d’esprit
es-tu ?
Anna Aaron : Le disque est déjà sorti l’été dernier en
Suisse. Cette sortie en France, c’est un peu comme un nouveau début. Personne
ne me connaît ici. On part d’une feuille blanche. C’est un recommencement, pas
comme une première sortie, j’ai déjà vécu tout ça en Suisse.
J’ai été surpris par l’album. Il est à la fois mélodique
(Sea monsters) et il y a aussi un côté plus sombre, plus expérimental (Elijah’s
chant). Comment décrirais-tu ton univers artistique ?
A.A. : Je pense que les morceaux qui sont les plus
importants pour moi sont ceux comme « Elijah’s Chant » ou « Fire
over the forbidden mountain », avec une rythmique assez forte. Les
chansons mélodiques font aussi partie de moi, mais c’est une autre facette.
J’aime bien écrire de jolies mélodies, mais j’ai toujours l’impression après
coup de ne rien dire. Au final c’est juste une jolie mélodie sans plus.
Et donc en fait tu cherches à en dire plus dans les morceaux
plus sombres ?
A.A. : Ouais avec les rythmiques fortes et les sons un
peu bizarres, j’ai l’impression de pouvoir aller plus loin.
Et vers quoi ?
A.A. (rires) : Créer plus d’atmosphère, créer un espace
où on peut regarder à l’intérieur et trouver de nouveaux (elle cherche ses
mots) trucs ! C’est plus dans la confrontation que l’on trouve.
Dans ta biographie tu dis « c’est une forme de violence
psychologique que je chante ». Est-ce que tu peux nous en dire un peu
plus…
A.A. (rires) : Ce n’est pas vraiment la vérité, c’est
une expression que j’ai utilisé une fois. Et bon ils aiment la répéter. J’ai
parlé un peu de la conception de Dieu, et ce qui m’intéresse c’est de savoir
comment un être aussi puissant et grand peut faire peur. Souvent dans notre
culture on a rapport amical avec la religion. Comme si Dieu était un ami, le
père. Moi je me suis posé la question, et si Dieu était un monstre, comment ça
se passerait ? Quelque chose de très puissant qui fait peur. Et qui n’est
pas toujours proche, qui peut être loin et caché. Le mystère… Ca me manque des
fois dans les églises, personnellement.
A l’opposé il y a ton morceau « Where are you David »,
qui sonne très Californie 60s, Crosby Stills and Nash…
A.A. : La chanson est très très simple avec peu de
changements d’accords. Un peu dans cette tradition. En même temps les cœurs,
les harmonies vocales sont assez élaborées. Le producteur du disque est aussi
très fan de Crosby Stills and Nash ça vient peut-être de la production du
morceau.
C’est un peu à l’opposé de ce qui t’intéresse le plus
finalement ?
A.A. : Oui. Je ne sais pas si « Where are you
David » est un morceau très profond (rires).
Erik Truffaz est invité sur l’album…
A.A. : Le producteur est le bassiste du quartet d’Erik.
C’est lui qui l’a appelé : « Quand est-ce que tu viens jouer sur le
disque ? ». C’était facile en fait.
C’est un peu étonnant de l’écouter dans un contexte plus
pop…
A.A. : Ca c’est bien passé avec lui. En même temps Erik
n’est pas limité au jazz. Et son approche du jazz est déjà assez particulière.
Même si ma musique n’est absolument pas jazz, lui il comprend très bien ce que
je fais et il s’intègre très bien dedans.
Et ça a été facile de mélanger les deux univers ?
A.A. : Ouais, moi je trouve ça naturel.
Et il y aurait d’autres musiciens que tu voudrais
inviter ?
A.A. : Pour l’instant je ne sais pas…
Comment composes-tu, quelles sont tes sources
d’inspirations ?
A.A : Pour moi c’est très important de sentir le
morceau. Je le sens dans l’endroit où je suis comme s’il s’agissait d’un corps.
C’est physique. Un morceau je dois le sentir avec tout mon corps, les oreilles,
les yeux… Mais ce n’est pas toujours comme ça. Des fois c’est dur de suivre le
morceau…
Pourquoi avoir choisi de chanter en anglais ?
A.A. : Pour moi la question ne s’est jamais posée. J’ai
appris l’anglais à 5 ans. Ca toujours été ma « langue poétique ».
Quand j’écris pour moi, c’est toujours en anglais.
Tu aimerais essayer dans d’autres langues ? L’allemand
par exemple, c’est ta langue natale…
A.A : Non je n’ai jamais essayé. C’est peut être la
peur de sortir de ma zone de confort.
Comment as-tu commencé la musique ?
A.A. : A 12 ans par des cours de piano. J’ai commencé à
écrire chez moi, un peu. Il n’y a pas vraiment de début. C’est un processus qui
se développe pendant des années.
Et l’idée d’en faire ton métier…
A.A : Je pense que la musique est arrivée chez moi et
c’était évidemment que je devais en faire. Je n’ai pas vraiment choisi, ce
n’était pas exprès. C’est plus une réalisation. C’est ma vie.
Il y a d’autres formes d’art qui tu aimerais essayer ?
A.A. : J’ai envie ouais mais je sais que je ne suis pas
forcément douée…
Et comment ça se passe sur scène ?
A.A : On est quatre : un batteur, un bassiste qui
fait aussi un peu de guitare et Emilie Zoé qui fait les chœurs et la guitare.
Il y a du sampler aussi de temps en temps…
Tu aimerais faire du piano solo ?
A.A : Des fois je le fais. Il y a des intermèdes solos.
Mais je préfère le groupe. C’est bien qu’il y ait quelques morceaux solos dans
le set mais ce n’est pas le premier truc que j’aimerai faire.
Ce qui te plait dans le groupe c’est la dynamique, le fait
d’être à plusieurs ?
A.A : Oui. J’adore ça. Avec le groupe ça se passe
vraiment très bien. On s’entend très bien aussi personnellement. La rencontre
avec le batteur et le bassiste, Emilie Zoé est arrivée un peu après, m’a
marquée. Vraiment. Je n’avais jamais eu une telle expérience avant. Jouer avec
d’autres personnes et que cela marche aussi bien. J’étais euphorique. J’ai ri
et j’ai pleuré pendant deux semaines. C’était vraiment de la folie. Quand ça se
passe comme ça, tu sais que cela va marcher. Ca semble naturel. Ca te donnes de
l’énergie. C’est facile de jouer ensemble, on ne doit pas se forcer, ça ne
ressemble pas à du travail. Ca vient naturellement. C’est de l’énergie qui se
développe dans le groupe. Et quand Emilie Zoé nous a rejoint, on ne s’est même
pas posé la question si cela allait marcher où non. C’était évident depuis le
premier jour. On a vraiment de la chance. C’est rare, il faut apprécier.
Tu as étudié la philosophie et la littérature…
A.A : Oui mais j’ai pas fini mes études. J’ai fait
quelques semestres. Je pense que je n’aurais pas autant pris la mythologie
comme base d’écriture si je n’avais pas étudié la philosophie. Mais en même
temps, je ne pense pas que la philosophie ne m’inspire pas tant que ça. C’est
plutôt ton mode de pensée qui change. C’est très difficile à expliquer. C’est
la structure de ta pensée qui change. Pas vraiment les thèmes concrets. La
littérature, ça c’est autre chose. La lecture élargit ton horizon. C’est très
utile pour l’écriture.
Propos recueillis le 24 novembre 2011.
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