(c) Benoit Boute |
Quelle riche idée
d'associer Malted Milk, le haut du panier de la soul en France, et
Toni Green, une figure de la scène de Memphis ! L'album en
résultant a été un petit coup de cœur de l'année de ce blog.
Assis en face de nous, dans une cave parisienne, le duo Arnaud Fradin
(guitare/voix) et Toni Green (Chant) est particulièrement excité, voire au taquet, à
l'idée de retracer avec nous cette aventure. Rencontre...
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M. Sebastian Danchin a
joué un rôle important dans la réalisation de ce projet. Comment
décririez-vous sa participation ?
Arnaud Fradin
(guitare/voix) : On discutait avec notre tour manager,
Jean-Hervé de la possibilité de faire quelque chose de différent
avec le groupe. Notament de travailler avec quelqu'un de l'extérieur.
Une chanteuse. C'était une idée comme ça. Jean-Hervé a appelé
Sebastian. Ils se connaissent bien depuis longtemps. Sebastian
connaît bien la scène de Memphis. Ca fait longtemps qu'il voulait
faire quelque chose avec Toni. Il l'a rencontré il y a 15 ans après
l'avoir vue sur scène. Sebastian aime bien notre groupe il lui a
fait parvenir un cd.
Toni Green (chant) :
Bon en fait il m'a donné quelques cds, quatre ou cinq, avant de
quitter Memphis. Quand je les ai écouté, j'ai été fascinée par
autant de talent. Ca faisait tellement longtemps que je n'avais pas
entendu ce son... Tu sais, à Memphis, une grande partie de notre
musique est morte avec les musiciens... Isaac Hayes, Willie Mitchell,
tous décédés... Et ça c'était des gens qui savaient vraiment
faire de la musique. Tous ces hits pour Stax ou Hi Records... En me
donnant les cds Sebastian m'a aussi donné l'opportunité d'écouter
quelque chose que je voulais réécouter depuis longtemps... Ce
savoir faire s'était perdu. Tout le monde bidouillait des synthés...
AF : L'art de
l'enregistrement s'est perdu vers la fin des années 1980.
TG : Tout le monde
était mort...
Toni, c'est quelque
part fascinant que ce savoir faire revienne par l'entremise d'un
groupe français...
AF (rires).
TG : Mais c'est
exactement ce que j'étais en train de dire ! Quand j'ai écouté
le cd... Je ne sais même plus lequel c'était, ma copine me l'a
volé ! (rires).
Elle a bon goût !
TG : Ah oui. Elle
a dit, ce mec est BAD ! Ce qui signifie qu'il est très bon.
C'était comme WOW, BOUM dans ta figure ! Si quelqu'un savait
réellement jouer cette musique... Mais attention, j'ai voyagé et
j'ai rencontré des gens talentueux partout dans le monde. Mais c'est
vraiment une question de savoir faire. Sebastian savait quelque part
que Malted Milk et Toni Green, le résultat pouvait être fascinant.
C'était ça le but.
Arnaud quelle a été
ta première réaction quand tu as entendu Toni chanter ?
AF : Ah ah !!!
La première fois c'était un album des années 1990. Je n'ai pas
trop aimé la production, on sentait qu'ils avaient un budget limité.
Je me suis concentré sur la voix et les chansons et les deux étaient
parfaits.
Malted Milk est passé
d'un style très blues à une musique plus soul. Travailler avec une
chanteuse comme Toni, c'était un pas de plus dans cette direction ?
AF : Oui, bien
sur. J'ai travaillé avec plusieurs autres chanteurs auparavant. Le
premier à me faire entrer dans la soul a été Carl W. Davis. Avant
cela je jouais surtout du blues. On s'est rencontré à Nantes, il
était venu pour un festival. Il était de Jacksonville, une ville
jumelée avec Nantes. C'était en 2001. On a fait un cd ensemble en
2006. C'était beaucoup plus soul. On avait écrit les chansons
ensemble. C'était la première fois que je portais plus d'attention
sur le chant plutôt que sur la musique. J'ai découvert une autre
façon de chanter. Après, j'ai découvert la scène de Memphis :
Al Green, O.V Wright, le label Hi Recordings, c'était WOW !
Pour moi, c'est un dérivé du blues. Tu prends Syl Johnson, lui
aussi viens du blues et pourtant il a fait beaucoup de soul à
Memphis ou chez Muscle Shoals. Il y a une connection entre le blues
et la soul. A mon avis, il y a plus d'émotions dans la soul par
rapport au blues. Les chansons, les paroles, tout cela est très
proche du gospel. C'est puissant comme musique.
Arnaud tu chantes
également. Y avait-il une difficulté à se retrouver un peu retrait
ce coup ci ?
AF : Ah oui
(rires) ! Non pas du tout. Je suis un peu plus en retrait.
D'habitude, j'assure le chant lead sur tous les titres. Là, je fais
le lien entre Toni et le reste du groupe. C'est mon rôle. Je chante
quelques chansons avec Toni sur scène mais c'est elle qui a le rôle
principal. C'est normal. On a fait un cd ensemble sous l'intitulé
Milk and Green. C'est un partenariat à 50/50. C'est pour cela qu'il
était important d'avoir une chanson à moi sur le disque et de
chanter en duo avec Toni en live. On a vraiment fait un cd ensemble
ça n'est pas Malted Milk featuring Toni Green. L'énergie que
j'emploie habituellement à chanter, cette fois je l'ai mise dans la
guitare. Pendant les concerts lorsque je chante et que je joue de la
guitare, je communique avec Toni. Quand tu es chanteur, tu es en
première ligne, façe à la foule. Pour moi, c'est vraiment cool de
pouvoir me concentrer sur le groupe. Pouvoir parler aux autres
musiciens, ça me change ! J'aime bien. Et puis j'apprends
beaucoup, juste en écoutant Toni chanter. C'est très différent de
ce que je fais d'ordinaire mais j'aime bien.
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Toni, est-ce que la
chanson « I'd really like to know » est personnelle à
tes yeux ?
TG : En fait, au
début, j'avais très peur de ce titre. Elle veut dire tellement.
J'avais peur parce que je ne savais pas comment la chanson allait
être accueillie. Mais j'étais aussi très fière parce qu'elle
signée Tommy Tate, un ami très cher. Un des meilleurs chanteurs de
tous les temps aussi. Approcher ce titre, c'était terriblement
excitant ! J'étais très fière d'assurer son héritage.
J'étais aussi assez timide. Jusqu'ici l'accueil a été incroyable.
Malted Milk a totalement recrée ce qui avait été laissé en plan
par Tommy. Il aurait été vraiment très fier (Toujours vivant,
Tommy Tate vit actuellement dans un institut spécialisé, ndlr). Ils
l'ont portée à un autre niveau.
AF : Tommy Tate
avait laissé un morceau à l'état de démo. Les paroles viennent
d'un autre temps. Il est impossible de croire qu'elles ont été
écrites hier.
TG : C'était une
période de lutte. Il y avait une lutte chez Stax, chez Hi Records, à
Memphis dans tous les Etats-Unis. Une lutte à propos de la race, de
l'identité. Savoir qui on est. Il fallait se battre, au boulot, dans
la vie de tous les jours. Qui suis-je ? Comment utiliser le
pouvoir qui m'a été donné ?
Qu'en est-il de cette
lutte de nos jours ?
TG : Rien n'a
changé pour les Afro-Américains de nos jours. Cette chanson ne
parle pas seulement du passé mais aussi du futur. D'un point de vue
musical je pense que pour la première fois depuis 40 ou 50 ans, les
gens ont repris conscience. La musique a retrouvée ses racines. On
en a terminé avec les idioties. Retour à la base ! C'est ce
qui se passe en ce moment, ce vers quoi on évolue. Moi, en tant que
femme, j'aime le côté dur du Rhythm n' Blues. Je ne suis pas une
fille ordinaire. J'entends différentes choses parce que j'ai grandi
avec le jazz et le gospel. Tommy avait cette fièvre, il me
connaissait ! J'étais un peu timide à l'idée de me mettre en
avant !
Quelques mots à propos
de « That Wiggle » qui était également sur l'album live
de Malted Milk ?
AF : Syl Johnson
est vraiment l'un de mes préférés, lui a vraiment croisé blues,
funk et soul music. On jouait cette chanson en live, on en a fait une
version studio. Chaque disque, il faut qu'il y ait une reprise de Syl
Johnson, c'est comme ça ! Il y a un peu d'Albert King dans les
parties de guitare. J'aime bien, c'est vraiment le cœur du son de la
Stax. On a vraiment beaucoup d'influences, même en termes de
production. Stax et Hi Records c'est vraiment deux choses
différentes. On aime les deux. La reverb vient de Stax. Mais on
aime aussi les choses plus sèches, plus dûres. Prends « The
weather is still fine » par exemple. Au début je pensais qu'il
ne fallait pas de reverb sur la voix. Après on en a rajouté pour
que la voix porte plus. Pas tant que ça d'ailleurs. Sur chaque
chanson il faut trouver le bon mix. Les ingrédients viennent d'un
peu partout.
Toni, quel est ton avis
sur le public européen ?
TG : C'est très
excitant, très émouvant. Le public nous apprécie ! Il connaît
mieux la musique maintenant, d'un point de vue historique. Il
l'embrasse encore plus fort. Les gens sont tellement encourageants !
Le concert du week end dernier, ils étaient vraiment là !
C'était WOW ! C'est très excitant pour moi !
C'est différent du
public à la maison ?
TG : Très
différent. A la maison, c'était très bien pour apprendre à se
comporter sur scène, c'était très bien pour moi. Il faut apprendre
et pour ça on a besoin du public. Pour construire. Et à la maison,
c'était ma préparation pour l'étranger et l'Europe.
La moitié de l'album
est composée de chansons originales, comment avez-vous composé
ensemble ?
AF : Il y a eu
différentes étapes. J'ai écrit quelques chansons tout seul, en
gardant à l'esprit que ces titres allaient être chantés par Toni.
On a fait quelques démos avec une amie chanteuse, pour montrer à
Toni ce que j'avais à l'esprit en termes de mélodies. C'était très
ouvert de toute manière. On aurait aussi bien tout changer. Et dans
les faits, le chansons ont effectivement changées petit à petit. Et
après on a tout écouté avec Sebastian (Danchin, le producteur du
disque, ndlr) pour faire des choix de production. En janvier on a
fait notre première répétition, on a utilisé toutes nos
compositions, histoire de voir ce que cela donnait. Ca a duré cinq
jours, c'était très spontané. Et à la fin on a fait un concert.
Il y avait deux types de chansons celles que j'ai écrites avec un
apport de Sebastian et de Toni pour les paroles puisqu'il fallait
vraiment sonner Afro-Américain. Et puis il y a les reprises. « Party
Girl » a été écrite il y a longtemps. Elle était là,
quelque part et je l'ai retrouvée. Toni a trouvé les paroles
spontanément. C'était la même chose pour « Just call me ».
TG : Ils l'ont
« réorganisée ». Imagine ta Grand Mère en train de
faire un gateau. Elle met tout dans sa recette. C'est ce que l'on a
fait avec les anciennes et les nouvelles compositions. Et à la fin
quand on a fini c'était comme WOW, un son tout neuf ! La
fraicheur de l'ensemble, c'était très très bon. On a mélangé mon
écriture avec celle du groupe et à la fin ça fait un bon gateau.
Toni tu as retravaillé
les paroles ?
TG : Il fallait
que cela sonne plus réel. Le cadre, les connotations des chansons,
il fallait plus de réalité. Elles étaient tout là-haut dans le
ciel, je les ai ramenées sur terre. Que tout le monde puisse
comprendre.
Cet album, c'est le
début d'un projet parallèle ou un coup unique ?
TG : Ca, ça
dépend de vous les gars (rires) !
AF : On en sait
rien pour l'instant. Ca dépend de beaucoup de choses, de la durée
de la tournée... On va voir comment ça se passe. En France, on peut
tourner pendant un an et demi. Après il y a des propositions venant
d'autres pays comme L'Angleterre. Ca peut durer plus longtemps. Mais
le fait d'avoir Toni avec nous, projette le groupe dans une nouvelle
dimension. Concernant le prochain album, je ne sais pas encore si ça
sera Malted Milk ou Milk and Green. Quoi qu'il en soit, j'espère que
cette collaboration va beaucoup nous servir.
Travailler avec une
chanteuse comme Toni, c'est une pression supplémentaire pour le
groupe ?
AF : Pas vraiment.
En tout cas ce n'est pas Toni qui nous met la pression. Mais c'est
clair qu'il y a beaucoup d'attentes autour du projet. En particulier
venant des gens qui travaillent avec nous, notre tour manager etc...
Il y a des gens qui ont misé de l'argent sur nous... Jusqu'à
présent, tout le monde aime le cd. Pour nous c'est parfait, cool et
excitant ! On a quand même le sentiment qu'il va falloir passer
à la vitesse supérieure. Mais bon c'est cool, c'est sympa.
C'est un bon
challenge ?
TG : C'est
vraiment ça, un challenge. Au début on ne se connaissait pas, il a
fallu trouver nos marques. On ne savait vraiment pas du tout ce que
cela allait donner. On s'est regardé mutuellement et on s'est dit :
« Ok on va voir ce que cela donne ». Et soudainement il y
a eu comme une réaction chimique. Sur scène et en studio c'était
WOW ! Une émotion que l'on avait pas ressenti depuis longtemps.
Sur scène, c'était encore plus magique parce que ça a marché. Si
il manquait quelque chose, on le rajoutait en haut ou en bas
(rires) ! C'est ce qui manque aujourd'hui dans ce business, tout
est devenu tellement mécanique. Je suis très excitée par tout ce
qui est arrivé jusqu'à présent. J'ai envie de frapper quelqu'un
(rires) ! Non je rigole, ils sont super ces mecs ! Ils se
comportent bien.Tout le monde croit
dans le projet. On a le sentiment que l'on peut accomplir de grandes
choses.
AF : Tous les gens
qui travaillent avec nous on la même passion que nous pour cette
musique. Sebastian a été là, comme un ange. Il nous a donné le
temps, nous a laissé faire les choses comme on le voulait. Il y
croyait. On savait ce qu'on faisait, on savait comment jouer.
Sebastian en était conscient.
Propos recueillis le 5
novembre 2014
En concert le
14/02/2015 (Festival Sons d'hiver – MAC Créteil).
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