jeudi 18 décembre 2014

Interview avec Malted Milk et Toni Green


(c) Benoit Boute

Quelle riche idée d'associer Malted Milk, le haut du panier de la soul en France, et Toni Green, une figure de la scène de Memphis ! L'album en résultant a été un petit coup de cœur de l'année de ce blog. Assis en face de nous, dans une cave parisienne, le duo Arnaud Fradin (guitare/voix) et Toni Green (Chant) est particulièrement excité, voire au taquet, à l'idée de retracer avec nous cette aventure. Rencontre...

(c) Benoît Boute

M. Sebastian Danchin a joué un rôle important dans la réalisation de ce projet. Comment décririez-vous sa participation ?
Arnaud Fradin (guitare/voix) : On discutait avec notre tour manager, Jean-Hervé de la possibilité de faire quelque chose de différent avec le groupe. Notament de travailler avec quelqu'un de l'extérieur. Une chanteuse. C'était une idée comme ça. Jean-Hervé a appelé Sebastian. Ils se connaissent bien depuis longtemps. Sebastian connaît bien la scène de Memphis. Ca fait longtemps qu'il voulait faire quelque chose avec Toni. Il l'a rencontré il y a 15 ans après l'avoir vue sur scène. Sebastian aime bien notre groupe il lui a fait parvenir un cd.

Toni Green (chant) : Bon en fait il m'a donné quelques cds, quatre ou cinq, avant de quitter Memphis. Quand je les ai écouté, j'ai été fascinée par autant de talent. Ca faisait tellement longtemps que je n'avais pas entendu ce son... Tu sais, à Memphis, une grande partie de notre musique est morte avec les musiciens... Isaac Hayes, Willie Mitchell, tous décédés... Et ça c'était des gens qui savaient vraiment faire de la musique. Tous ces hits pour Stax ou Hi Records... En me donnant les cds Sebastian m'a aussi donné l'opportunité d'écouter quelque chose que je voulais réécouter depuis longtemps... Ce savoir faire s'était perdu. Tout le monde bidouillait des synthés...

AF : L'art de l'enregistrement s'est perdu vers la fin des années 1980.
TG : Tout le monde était mort...

Toni, c'est quelque part fascinant que ce savoir faire revienne par l'entremise d'un groupe français...
AF (rires).
TG : Mais c'est exactement ce que j'étais en train de dire ! Quand j'ai écouté le cd... Je ne sais même plus lequel c'était, ma copine me l'a volé ! (rires).

Elle a bon goût !
TG : Ah oui. Elle a dit, ce mec est BAD ! Ce qui signifie qu'il est très bon. C'était comme WOW, BOUM dans ta figure ! Si quelqu'un savait réellement jouer cette musique... Mais attention, j'ai voyagé et j'ai rencontré des gens talentueux partout dans le monde. Mais c'est vraiment une question de savoir faire. Sebastian savait quelque part que Malted Milk et Toni Green, le résultat pouvait être fascinant. C'était ça le but.

Arnaud quelle a été ta première réaction quand tu as entendu Toni chanter ?
AF : Ah ah !!! La première fois c'était un album des années 1990. Je n'ai pas trop aimé la production, on sentait qu'ils avaient un budget limité. Je me suis concentré sur la voix et les chansons et les deux étaient parfaits.

Malted Milk est passé d'un style très blues à une musique plus soul. Travailler avec une chanteuse comme Toni, c'était un pas de plus dans cette direction ?
AF : Oui, bien sur. J'ai travaillé avec plusieurs autres chanteurs auparavant. Le premier à me faire entrer dans la soul a été Carl W. Davis. Avant cela je jouais surtout du blues. On s'est rencontré à Nantes, il était venu pour un festival. Il était de Jacksonville, une ville jumelée avec Nantes. C'était en 2001. On a fait un cd ensemble en 2006. C'était beaucoup plus soul. On avait écrit les chansons ensemble. C'était la première fois que je portais plus d'attention sur le chant plutôt que sur la musique. J'ai découvert une autre façon de chanter. Après, j'ai découvert la scène de Memphis : Al Green, O.V Wright, le label Hi Recordings, c'était WOW ! Pour moi, c'est un dérivé du blues. Tu prends Syl Johnson, lui aussi viens du blues et pourtant il a fait beaucoup de soul à Memphis ou chez Muscle Shoals. Il y a une connection entre le blues et la soul. A mon avis, il y a plus d'émotions dans la soul par rapport au blues. Les chansons, les paroles, tout cela est très proche du gospel. C'est puissant comme musique.

Arnaud tu chantes également. Y avait-il une difficulté à se retrouver un peu retrait ce coup ci ?
AF : Ah oui (rires) ! Non pas du tout. Je suis un peu plus en retrait. D'habitude, j'assure le chant lead sur tous les titres. Là, je fais le lien entre Toni et le reste du groupe. C'est mon rôle. Je chante quelques chansons avec Toni sur scène mais c'est elle qui a le rôle principal. C'est normal. On a fait un cd ensemble sous l'intitulé Milk and Green. C'est un partenariat à 50/50. C'est pour cela qu'il était important d'avoir une chanson à moi sur le disque et de chanter en duo avec Toni en live. On a vraiment fait un cd ensemble ça n'est pas Malted Milk featuring Toni Green. L'énergie que j'emploie habituellement à chanter, cette fois je l'ai mise dans la guitare. Pendant les concerts lorsque je chante et que je joue de la guitare, je communique avec Toni. Quand tu es chanteur, tu es en première ligne, façe à la foule. Pour moi, c'est vraiment cool de pouvoir me concentrer sur le groupe. Pouvoir parler aux autres musiciens, ça me change ! J'aime bien. Et puis j'apprends beaucoup, juste en écoutant Toni chanter. C'est très différent de ce que je fais d'ordinaire mais j'aime bien.

(c) Benoît Boute

Toni, est-ce que la chanson « I'd really like to know » est personnelle à tes yeux ?
TG : En fait, au début, j'avais très peur de ce titre. Elle veut dire tellement. J'avais peur parce que je ne savais pas comment la chanson allait être accueillie. Mais j'étais aussi très fière parce qu'elle signée Tommy Tate, un ami très cher. Un des meilleurs chanteurs de tous les temps aussi. Approcher ce titre, c'était terriblement excitant ! J'étais très fière d'assurer son héritage. J'étais aussi assez timide. Jusqu'ici l'accueil a été incroyable. Malted Milk a totalement recrée ce qui avait été laissé en plan par Tommy. Il aurait été vraiment très fier (Toujours vivant, Tommy Tate vit actuellement dans un institut spécialisé, ndlr). Ils l'ont portée à un autre niveau.

AF : Tommy Tate avait laissé un morceau à l'état de démo. Les paroles viennent d'un autre temps. Il est impossible de croire qu'elles ont été écrites hier.

TG : C'était une période de lutte. Il y avait une lutte chez Stax, chez Hi Records, à Memphis dans tous les Etats-Unis. Une lutte à propos de la race, de l'identité. Savoir qui on est. Il fallait se battre, au boulot, dans la vie de tous les jours. Qui suis-je ? Comment utiliser le pouvoir qui m'a été donné ?

Qu'en est-il de cette lutte de nos jours ?
TG : Rien n'a changé pour les Afro-Américains de nos jours. Cette chanson ne parle pas seulement du passé mais aussi du futur. D'un point de vue musical je pense que pour la première fois depuis 40 ou 50 ans, les gens ont repris conscience. La musique a retrouvée ses racines. On en a terminé avec les idioties. Retour à la base ! C'est ce qui se passe en ce moment, ce vers quoi on évolue. Moi, en tant que femme, j'aime le côté dur du Rhythm n' Blues. Je ne suis pas une fille ordinaire. J'entends différentes choses parce que j'ai grandi avec le jazz et le gospel. Tommy avait cette fièvre, il me connaissait ! J'étais un peu timide à l'idée de me mettre en avant !

Quelques mots à propos de « That Wiggle » qui était également sur l'album live de Malted Milk ?
AF : Syl Johnson est vraiment l'un de mes préférés, lui a vraiment croisé blues, funk et soul music. On jouait cette chanson en live, on en a fait une version studio. Chaque disque, il faut qu'il y ait une reprise de Syl Johnson, c'est comme ça ! Il y a un peu d'Albert King dans les parties de guitare. J'aime bien, c'est vraiment le cœur du son de la Stax. On a vraiment beaucoup d'influences, même en termes de production. Stax et Hi Records c'est vraiment deux choses différentes. On aime les deux. La reverb vient de Stax. Mais on aime aussi les choses plus sèches, plus dûres. Prends « The weather is still fine » par exemple. Au début je pensais qu'il ne fallait pas de reverb sur la voix. Après on en a rajouté pour que la voix porte plus. Pas tant que ça d'ailleurs. Sur chaque chanson il faut trouver le bon mix. Les ingrédients viennent d'un peu partout.

Toni, quel est ton avis sur le public européen ?
TG : C'est très excitant, très émouvant. Le public nous apprécie ! Il connaît mieux la musique maintenant, d'un point de vue historique. Il l'embrasse encore plus fort. Les gens sont tellement encourageants ! Le concert du week end dernier, ils étaient vraiment là ! C'était WOW ! C'est très excitant pour moi !

C'est différent du public à la maison ?
TG : Très différent. A la maison, c'était très bien pour apprendre à se comporter sur scène, c'était très bien pour moi. Il faut apprendre et pour ça on a besoin du public. Pour construire. Et à la maison, c'était ma préparation pour l'étranger et l'Europe.

La moitié de l'album est composée de chansons originales, comment avez-vous composé ensemble ?
AF : Il y a eu différentes étapes. J'ai écrit quelques chansons tout seul, en gardant à l'esprit que ces titres allaient être chantés par Toni. On a fait quelques démos avec une amie chanteuse, pour montrer à Toni ce que j'avais à l'esprit en termes de mélodies. C'était très ouvert de toute manière. On aurait aussi bien tout changer. Et dans les faits, le chansons ont effectivement changées petit à petit. Et après on a tout écouté avec Sebastian (Danchin, le producteur du disque, ndlr) pour faire des choix de production. En janvier on a fait notre première répétition, on a utilisé toutes nos compositions, histoire de voir ce que cela donnait. Ca a duré cinq jours, c'était très spontané. Et à la fin on a fait un concert. Il y avait deux types de chansons celles que j'ai écrites avec un apport de Sebastian et de Toni pour les paroles puisqu'il fallait vraiment sonner Afro-Américain. Et puis il y a les reprises. « Party Girl » a été écrite il y a longtemps. Elle était là, quelque part et je l'ai retrouvée. Toni a trouvé les paroles spontanément. C'était la même chose pour « Just call me ».

TG : Ils l'ont « réorganisée ». Imagine ta Grand Mère en train de faire un gateau. Elle met tout dans sa recette. C'est ce que l'on a fait avec les anciennes et les nouvelles compositions. Et à la fin quand on a fini c'était comme WOW, un son tout neuf ! La fraicheur de l'ensemble, c'était très très bon. On a mélangé mon écriture avec celle du groupe et à la fin ça fait un bon gateau.

Toni tu as retravaillé les paroles ?
TG : Il fallait que cela sonne plus réel. Le cadre, les connotations des chansons, il fallait plus de réalité. Elles étaient tout là-haut dans le ciel, je les ai ramenées sur terre. Que tout le monde puisse comprendre.

Cet album, c'est le début d'un projet parallèle ou un coup unique ?
TG : Ca, ça dépend de vous les gars (rires) !
AF : On en sait rien pour l'instant. Ca dépend de beaucoup de choses, de la durée de la tournée... On va voir comment ça se passe. En France, on peut tourner pendant un an et demi. Après il y a des propositions venant d'autres pays comme L'Angleterre. Ca peut durer plus longtemps. Mais le fait d'avoir Toni avec nous, projette le groupe dans une nouvelle dimension. Concernant le prochain album, je ne sais pas encore si ça sera Malted Milk ou Milk and Green. Quoi qu'il en soit, j'espère que cette collaboration va beaucoup nous servir.

Travailler avec une chanteuse comme Toni, c'est une pression supplémentaire pour le groupe ?
AF : Pas vraiment. En tout cas ce n'est pas Toni qui nous met la pression. Mais c'est clair qu'il y a beaucoup d'attentes autour du projet. En particulier venant des gens qui travaillent avec nous, notre tour manager etc... Il y a des gens qui ont misé de l'argent sur nous... Jusqu'à présent, tout le monde aime le cd. Pour nous c'est parfait, cool et excitant ! On a quand même le sentiment qu'il va falloir passer à la vitesse supérieure. Mais bon c'est cool, c'est sympa.

C'est un bon challenge ?
TG : C'est vraiment ça, un challenge. Au début on ne se connaissait pas, il a fallu trouver nos marques. On ne savait vraiment pas du tout ce que cela allait donner. On s'est regardé mutuellement et on s'est dit : « Ok on va voir ce que cela donne ». Et soudainement il y a eu comme une réaction chimique. Sur scène et en studio c'était WOW ! Une émotion que l'on avait pas ressenti depuis longtemps. Sur scène, c'était encore plus magique parce que ça a marché. Si il manquait quelque chose, on le rajoutait en haut ou en bas (rires) ! C'est ce qui manque aujourd'hui dans ce business, tout est devenu tellement mécanique. Je suis très excitée par tout ce qui est arrivé jusqu'à présent. J'ai envie de frapper quelqu'un (rires) ! Non je rigole, ils sont super ces mecs ! Ils se comportent bien.Tout le monde croit dans le projet. On a le sentiment que l'on peut accomplir de grandes choses.

AF : Tous les gens qui travaillent avec nous on la même passion que nous pour cette musique. Sebastian a été là, comme un ange. Il nous a donné le temps, nous a laissé faire les choses comme on le voulait. Il y croyait. On savait ce qu'on faisait, on savait comment jouer. Sebastian en était conscient.

Propos recueillis le 5 novembre 2014
En concert le 14/02/2015 (Festival Sons d'hiver – MAC Créteil). 

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