C’est un ALB (Clément de son vrai prénom) complètement
surbooké et en instance de départ pour une tournée en Chine qui a débarqué, son
petit carton de pâtes sous le bras, pendant la pause déjeuner. Entre deux
bouchées, Clément a trouvé le temps de répondre à quelques questions et
d’évoquer la bouillonnante scène de Reims dont il est originaire…
Comment as-tu commencé la musique ?
Alb : J’ai commencé la musique assez tard dans ma
chambre d’internat. A 17/18 ans, j’ai récupéré une guitare de ma Tata. Une
guitare d’Eglise. Une vieille guitare acoustique qu’elle utilisait quand elle
était jeune pour accompagner à l’Eglise.
Une guitare d’Eglise ?
Alb : Oui une vieille guitare qui avait plus habituée à
jouer les « Jesus reviens » que du Nirvana. Mais je l’ai détournée
assez vite (sourire). J’ai appris à faire de la musique tout seul dans ma
chambre d’internat. La première fois que j’étais interne, j’avais beaucoup de
temps tout seul. J’ai commencé à ne faire que ça. A jouer par-dessus ce qui passait
à la radio. A l’époque NRJ c’était plus Weezer et Nirvana. C’était une autre
époque… Jouer de la guitare par-dessus les Black Eyed Peas, c’est un peu plus
compliqué (sourire)…
Ton nom, Alb, vient d’où ?
Alb : C’est un
peu compliqué. C’est parti d’une erreur. J’ai sorti un premier maxi en
2002/2003 sur le label indépendant d’un ami. Je n’avais pas vraiment de projet
bien défini, juste quelques chansons. La veille de sortir le disque, je me suis
fait une nuit brainstorming à chercher des mots dans le dictionnaire. Je
voulais que le nom commence par un A en ayant qu’une seule syllabe. J’ai
répertorié tous les mots. Et parmi ma
liste il y avait Aube, je me suis dit c’est super pour moi qui passe mes nuits
à bosser dans mon studio. Je vois souvent l’aube quand je vais me coucher,
c’est poétique, c’est joli… Et puis deux jours après je me suis dit que c’était
complètement con, l’aube de quoi ? C’est devenu l’aube du prêtre (alba en
latin, ndlr). Puis c’est resté.
Pourquoi A ?
Alb : Une forme de mystique, que le nom commence par la
première lettre de l’alphabet. Une syllabe c’était dans un souci de simplicité,
que ce soit facile à retenir.
L’aube du prêtre, la guitare d’Eglise, il y a une forme de
continuité…
Alb : Oui il y a aussi « I beg for a
summer », je prie pour un été (rires)… Il y a quelque chose d’assez
ecclésiastique dans tout ça. Je vais peut-être finir par jouer en aube sur
scène (rires)… Mais Justice m’a piqué le logo (rires) !
Quand j’ai écouté l’ep (chronique ici), j’ai été surpris par sa richesse.
Toujours dans une veine pop, mais j’ai eu grosso modo, l’impression d’un disque
qui allait des années 60 aux années 80. Quelles sont tes influences ?
Alb : En termes de références, c’est à peu près ça. J’ai
deux marottes, les sonorités électroniques du début des années 80 et tout ce
qui est guitare, sixties, batteries un peu pop etc... Quand je parle des années
80 ce n’est pas la new wave ou Depeche Mode, mais plutôt les sonorités un peu
chaudes, synthétiques, que l’on retrouve dans la pop ou les génériques de dessins
animés. C’est un mélange entre ces deux directions. Parfois la balance va plus
d’un côté que de l’autre mais c’est toujours un mélange des deux. Sur l’album
il y aura des titres beaucoup plus électroniques et plus sombres et quelques
chansons qui resteront très pop sixties.
Il y a aussi des petits bruitages comme sur « Golden
chains » qui font penser à des musiques de jeux vidéo…
Alb : C’est complètement ça. Ca vient de la nintendo.
En fait, je collectionne les consoles de jeux vidéo. C’est un autre délire dans
la continuité des dessins animés des années 80, le côté madeleine de Proust de
l’enfance. Toutes les sonorités électroniques que j’utilise ne viennent pas de
la new wave, c’est plus quelque chose de l’ordre de mon vécu personnel. C’est
plus les sonorités qui me rappellent mon enfance qu’un truc cool des années 80
catchy pop. Mon premier album était classé dans l’électro, on me dit souvent
que je fais de la musique électronique mais moi je n’ai pas du tout cette
impression là. Je fais des chansons que ce soit avec des synthés ou avec ma
guitare, quoi qu’il se passe, pour moi ça reste des chansons. Dans les années
80, on ne se posait pas trop ce genre de questions. Il y a eu cette grosse
vague de synthés qui est arrivée et on ne se disait pas que c’était de
l’électro, ça restait de la pop, l’électro ça n’existait pas... Les sonorités
de console que j’utilise, c’est dans cet état d’esprit.
Et comment tu fais ?
Alb : Je modifie les consoles, j’ai des cartouches un
peu spéciales, que j’ai commandé à un chinois, qui me permettent de les piloter
en midi et de faire ressortir les sons sur un clavier. J’ai bricolé de nouvelles
sorties audio pour les planter directement à l’intérieur sur les circuits. En
fait je me sers de la nintendo comme d’un synthétiseur. Et je fais pareil avec
mon commodore 64 ou ma vieille dictée magique (rires)… Je bricole pas mal
aussi. Ca s’appelle du « circuit bending », de modifier les vieux
jeux.
Ca fait un peu geek…
Alb : Un petit peu. Mais j’assume complètement !
Et musicalement, tu n’as pas eu peur que ça fasse un peu cheap, cheesy ou kitsch ?
Alb : Non, honnêtement je ne me pose pas trop la
question. Ca fait partie de moi. Certains vont trouver ça touchant et ça va
leur rappeler des souvenirs, d’autres vont trouver ça cheap et cheesy… Ca fait
partie de mon univers, j’avais envie de le mettre. C’est conscient en tout cas.
Je ne vais pas m’empêcher, comme c’est le cas dans un de mes nouveaux morceaux,
de mettre à la fin un petit solo de flûte d’écolier à la fin par ce que moi ça
me fait quelque chose. Même si on va me dire, toi avec tes flûtes… Bah non, moi
j’ai envie !
Quand les Beatles enregistraient dans les années 60, ils ne
se posaient pas plus de questions que ça non plus…
Alb : Ouais, c’est ça. Mais il n’y avait pas la
nintendo !
Comment c’est passé la rencontre avec The Shoes ?
Alb : Ca c’est passé tout simplement. Je dois manger
avec Guillaume environ trois fois par semaine dans notre boui boui local (à
Reims, ndlr). On se connaît depuis des années, il habite à 100 mètres de chez
moi, on fait de la musique régulièrement ensemble, on se croise dans des
projets divers et variés… Ce n’est pas comme si on m’avait appelé pour me
proposer de faire un featuring. Je bossais avec eux en studio sur quelque chose
de radicalement différent et on a déliré et ça a donné un morceau, comme ça
arrive régulièrement entre nous. Comme je peux faire des morceaux avec Pierre
(Yuksek), avec qui je partage mon studio… Ce n’est pas une rencontre marketing
du tout. C’est un morceau fait avec les copains. On fait vraiment partie de la
même bande de potes. Tout ça se décide autour d’un barbecue…
La production de l’EP est très soignée sans être aseptisée.
Est-ce que tu es maniaque en studio ?
Alb : Je suis maniaque tout court en règle générale et je
pense que cela transparaît dans ma musique. Je suis assez ordonné et carré. Ca
se sent dans mes arrangements qui sont très précis. Mais c’est quelque chose
que j’essaye de combattre, c’est aussi un inconvénient parfois d’avoir tendance
à trop chercher la perfection. On se perd en route, on perd la fraîcheur de la
première maquette. C’est un juste équilibre à trouver. Là sur l’EP il y a des
morceaux qui ont deux ou trois ans et que j’ai réenregistré plusieurs fois
depuis sans jamais être satisfait. Et finalement les versions qui me plaisent
le plus, en termes d’émotions et de sensations, sont celles qui se rapprochent
le plus des premières maquettes. C’est presque une quête pour retrouver la
fraîcheur du premier jet mais bien arrangé. En général, le premier jet, les
paroles ne sont pas finies, la guitare n’est pas jouée correctement etc… Donc
il y a cette fraîcheur que l’on veut retrouver mais le son doit être terminé,
arrangé, bon je suis assez maniaque. L’idéal c’est un son léché mais frais
comme au premier jour.
Tu as ton propre studio pour procéder de la sorte ?
Alb : Oui mais c’est à double tranchant. L’avantage
c’est que je ne suis jamais dans l’urgence, enfin si par ce que je suis dans
plein de projets différents et j’ai un emploi du temps de taré. Mais pour mon
projet personnel j’ai toujours le temps. Je suis chez moi, si je veux passer
deux jours à peaufiner une idée, ce n’est pas un problème. Il n’y a pas un mec
derrière pour me dire : « Coco, c’est 500 euros la journée, il va
falloir que tu te dépêche un peu ». L’inconvénient, c’est que tu peux
facilement te perdre dans les méandres du studio et y passer des jours et des
nuits et ne finir qu’un seul morceau en un mois. Enfin j’exagère, cela n’a
jamais pris de telles proportions.
Et tu n’aurais pas envie d’aller en studio pour retrouver un
peu ce sentiment d’urgence ?
Alb : Si, si bien sûr mais cela demande un budget. Je
suis plutôt parti dans l’autoproduction du début à la fin. Au début c’était
très minimal. Et puis les années passant… Je collectionne les synthétiseurs
depuis 10 ans, mon pote Pierre (Yuksek) fait la même chose. On partage le même
studio et le matériel, maintenant on a un outil professionnel : 70 m2, une
trentaine de synthés, des cabines, des micros, des tables de mixage… On est un
vrai studio d’enregistrement et de production. C’est un régal pour ça.
Tu collectionnes les instruments vintage donc ?
Alb : Oui, beaucoup. C’est un peu notre passion en
commun avec Pierre (Yuksek). Il y a une espèce de compétition entre nous à qui
aura LE synthé ou LA boîte à rythmes, le truc cool, que l’autre n’a pas… Ca
fait sept ans que l’on travaille ensemble et qu’on fait ça. On n’a quasiment
rien en double, sauf quelques synthés. On sépare le matériel pour la scène et
celui qu’on laisse au studio. C’est plutôt pas mal.
Comment tu trouves les instruments ?
Alb : Le son et l’état d’esprit d’Alb, sont un peu
tournés vers le passé. Surtout en ce qui concerne les émotions. En fait tout ça
c’est défini autour des brocantes. J’ai commencé à faire les brocantes vers
2000. Je suis tombé dedans. J’ai commencé à fouiller à récupérer des trucs,
j’ai trouvé ça génial. C’est comme ça que j’ai récupéré ma première nintendo,
maintenant j’en ai 150. Et pas loin de 4000 cartouches de jeux aussi. Une belle
collection. Les orgues Bontempi, les synthés, mon son s’est construit comme ça,
au fur et à mesure. J’ai fait aussi beaucoup d’Ebay aussi. A un moment donné,
ce que tu cherches, tu ne le trouves plus en brocante. J’ai aussi revendu
beaucoup de choses, des consoles, ce qui ensuite me permettait d’acheter des
instruments de musique. Mon studio je l’ai beaucoup constitué comme ça à une
époque. Ca et les amis et les connexions chez les musiciens qui revendent des
machines. Je pense que l’on a rien au studio qui dépasse 1984. Et notre plus
vieux matériel date des années 50. En fait, je déteste tout ce qui est
numérique. Tout ce qui se fait maintenant, je ne peux pas, j’ai un blocage.
C’est physique. Pourtant y’a des trucs qui marchent super bien et dont je me
sers parfois quand je dois aller vite. Mais moi j’ai besoin de ce contact avec
des vieux boutons. T’appuis et ça fait un son bizarre. Et puis après ça fait un
morceau. J’aime bien me laisser emporter comme ça. Alors qu’avoir une souris au
bout du doigt, ce n’est pas très funky…
Parles nous un peu de « Show me your love », titre
que j’ai trouvé assez étonnant. Ca commence un peu comme un vieux Beatles des
années 60 et puis après sur le refrain, il y a ces fameux bruitages de jeu
vidéo… A la fin j’en suis arrivé à la conclusion qu’il y avait presque 30 ans
de pop music concentrée en une seule chanson…
Alb : Ouais c’est un peu ça. En général j’ai un thème
et des paroles, de vraies paroles. Et l’instrumentation vient accompagner le
tout. « Show me your love » il y a vraiment trois parties distinctes.
Le contraste et les changements d’ambiance entre les parties viennent de
l’instrumentation. C’est un peu un morceau « yin et yang », le côté
gentillet des couplets et une personnalité une peu noire qui ressort sur les
refrains et la voix de la moralité entre les deux qui fait la transition. Il y
a deux univers différents qui se rencontrent. C’est docteur Jekyll et Mr Hyde.
Pour finir est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur la
scène musicale de Reims ?
Alb : Ca va être long. Il se passe pas mal de choses.
Depuis quelques années on est dans une bonne dynamique avec un bon groupe de
personnes, d’amis. C’est pour ça que j’ai un peu bloqué tout à l’heure quand on
a parlé des Shoes, comme si je les avais rencontré hier. Même si vu de
l’extérieur ça donne un peu cette impression là. On est une bande de potes, on
a une manière assez saine de travailler les uns avec les autres. Ce qui est
bien dans notre scène à Reims c’est qu’on est tous dans un registre différent.
Alors qu’à Paris, par exemple, on se regroupe par scène, par type de musique.
Pierre (Yuksek) est dans l’électro pure et dure, Shoes, c’est un autre
registre, une espèce de pop tropicale, les Bewitched hands, qui sont dans la
folk song hippie mais qui sont très ouverts, Brodinski fait le dj dancefloor et
puis moi qui suis dans une pop à synthés… On ne se marche pas dessus en fait.
C’est super sain, ça permet de travailler vraiment ensemble et de s’apporter
des choses les uns avec les autres. On est une bonne bande bien unie. La ville
est plus petite aussi, on se regroupe plus facilement par musiciens et non par
genre. Et puis il y a énormément d’autres groupes à Reims, qui arrivent tout
doucement et qui naissent de ce qu’on a apporté ces dernières années. Les John
Grape qui jouent avec moi sur scène, c’est vraiment bien. Un trio pop lyrique
avec un chant typé Buckley qui monte assez haut. La boucle continue… On arrive
à faire 15 projets différents avec 10 personnes, c’est assez fou…
Propos recueillis le 7 juin 2011.
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