L’image est forte et émouvante, limite choquante. En cette
fin d’après-midi, un vendredi d’hiver, Edwyn Collins, l’auteur du tube « A
girl like you » en 1994, sort péniblement d’un café situé sur le boulevard
Saint-Michel. Victime d’un AVC en 2005, l’homme est depuis hémiplégique, cet
épisode dramatique fera bientôt l’objet d’un documentaire. Son bras droit reste
désespérément bloqué, il peine à se mouvoir, marche à l’aide d’une canne et a
parfois du mal à s’exprimer. Ce qui ne l’empêche pourtant pas d’être
extrêmement volubile. Prévue pour durer une demi-heure, l’interview s’est
finalement étalée sur une durée double. Sa dévouée manageuse, Grace, veille sur
lui avec soin. On s’en doute et l'ex-leader d'Orange Juice l’admet bien volontiers, l’épisode entier
à changé sa perspective sur sa vie : « Je suis beaucoup plus relax.
Je profite de l’existence. Tranquille. Le fils d’un vieil ami à moi, dans
mon petit village d’Ecosse, a essayé de se suicider. La dépression tu
comprends, c’est sérieux. Je suis allé le voir, je lui ai dis : mais
pourquoi t’as fait ça ? Ne recommence plus jamais, la vie est précieuse !
Il m’a dit : oui Edwyn ». Collins affiche un sourire satisfait.
« La vie se joue au hasard » reprend-t-il. « Regarde Grant
MacLennan (ancien membre des Go-Betweens, décédé d’une crise cardiaque en 2006)
il est mort comme ça du jour au lendemain. Après l‘attaque je me suis senti
renaître. Je suis heureux, j’adore ma vie. C’est juste génial d’être
ici ».
Edwyn Collins n’a pas pour autant tiré un trait sur sa vie
professionnelle. Un nouvel album « Understated » sort ce mois-ci,
« mon deuxième depuis l’accident. Déjà. C’est incroyable ». Et
s’apprête même à reprendre la route. Le chanteur est également producteur (deux
albums avec Little Barrie notamment) et possède même son propre label :
AED qui signifie Analogic Enhanced Digital, « une blague que personne ne
comprend », se marre-t-il. « On a sorti cinq disques sur ce nouveau
label. Tu vois à 19 ans j’avais déjà mon propre label Postcard records. Voilà
la boucle est bouclée ». Si Edwyn ne peut plus, hélas, jouer de la
guitare, il chante toujours. Mieux que jamais même. Son timbre de crooner fait
des merveilles sur ce nouveau disque. « Oh oui, j’ai toujours été un
crooner. J’adore Iggy Pop. Sinatra a eu une influence énorme sur moi ».
Enregistré avec l’aide de quelques amis, Paul Cook, l’ex-Sex Pistols à la
batterie et Barrie Cadogan, « un guitariste extraordinaire », ce
nouvel album est excellent.
Rien de tout cela n’aurait été possible sans le succès
phénoménal et mondial rencontré par « A girl like you », son tube de
1994. « La chanson est plus célèbre que moi » rigole-t-il, ce qui
semble être confirmé par les faits ; depuis une heure les touristes vont
et viennent dans le petit hall d’hôtel sans que personne ne semble lui porter
la moindre attention. « Je ne regrette absolument rien de ce titre. Cette
chanson m’a fait vivre depuis des années. Le succès est arrivé assez très tardivement,
j’avais déjà trente cinq ans à l’époque et plus de 15 ans de carrière, je n’ai
pas pété les plombs. J’étais déjà très cynique, sarcastique concernant le
business à cette époque. Avant j’étais signé chez Polydor. Le chef de projet
avec qui je travaillais, c’était n’importe quoi. Un jour il me disait de faire
de la soul music. Le lendemain, je devais devenir gothique et plagier les Cure.
J’ai vite compris que si je voulais continuer, il fallait que je construise mon
propre studio et que je contrôle tout du début à la fin. C’est ce que j’ai
fait. Le premier album que j’ai enregistré en étant propriétaire du studio
c’était « Gorgeous George » (et la fameuse chanson « A girl like
you ») qui a été un succès phénoménal on a eu de la chance. Ce succès a
été un cadeau, cela m’a permis de rester libre, d’expérimenter. Depuis je suis
un peu en marge du business musical. Et franchement ce n’est pas une mauvaise
place. Je regarde les autres s’agiter et moi je fais mon truc dans mon coin. Et
même si aujourd’hui je passe pour un « one hit wonder », le type qui
n’a réussi qu’une seule chanson dans sa vie, c’est plus que la majorité des
gens ne peuvent espérer ».
Propos recueillis le 1er mars 2013.
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