C’est à Belfort, pendant le festival des Eurockéennes, un
jour de pluie battante, sous la tente média de l’espace presse que le groupe
stoner strasbourgeois, nous a raconté son histoire, la condition des groupes de
rock français ou l’utilité d’avoir un sheriff sur scène…
D’abord, pourquoi Los Disidentes Del Sucio Motel ?
C’est un peu compliqué comme nom (et assez difficile à orthographier sans se
tromper, ndlr)…
LDDSM : C’est volontaire, ah ah ! C’est le résultat
d’un brainstorming d’après répète. On est tous issus de groupes différents.
Comme souvent dans le milieu rock, tout le monde se connaît un peu et se
mélange avec tout le monde. Pour l’anecdote, je partais en répète et ma mère me
demande si j’allais répéter avec mon groupe punk où avec les dissidents. Elle
considérait que mon nouveau groupe (Los Disidentes del Sucio Motel, donc, ndlr)
était un groupe de dissidents. On était tous dissidents de nos propres groupes
en fait. Le côté « nom en espagnol », c’était une envie, ça ne se
fait pas beaucoup et ça nous rapprochait de l’univers visuel que l’on voulait
mettre en place. De fil en aiguille c’est devenu les dissidents du motel sale.
C’est évocateur et ça nous faisait marrer d’avoir un nom à rallonge… Et qui
laisse personne indifférent, donc c’était une bonne idée.
Justement, l’aspect visuel est très étudié chez vous et la
pochette du disque ressemble à une affiche de film. Comment votre image s’est
elle définie ?
LDDSM : Dès le début, le cinéma était une influence
importante pour nous. Ca a été le dénominateur commun pour l’ensemble du
groupe. On aime tous cet univers à la Quentin Tarantino, Robert Rodriguez… Pour
notre premier album on voulait faire une espèce de fausse B.O et le nom du film
serait le nom du groupe. On a la chance d’être entourés d’amis graphistes et
photographes et qui ont conçus la chose avec nous. Ils ont tout de suite
compris notre délire. C’est tellement facile de monter un groupe de musique
maintenant, il y en a des dizaines qui se montent tous les jours… Nous on vient
d’une région, l’Alsace, qui est hyper foisonnante, avec un nombre incroyable de
groupes de qualité qui jouent. A un moment si tu veux faire autre chose,
percer, il faut arriver à trouver ta différence. Pour nous, c’est le visuel. La
pochette d’album, c’est un truc essentiel qui tend hélas à disparaître. On a
voulu développer un univers autour du groupe, une mythologie. Faire en sorte
que le groupe soit aussi reconnaissable visuellement et pas uniquement que par
la musique. Ca passe aussi par la scène. Le fait d’avoir le sheriff sur scène,
les guns… Le groupe on aussi la vocation de le faire évoluer. Pour le prochain
album, l’orientation sera toujours cinématographique mais dans un autre
univers, plus sombre… Plus proche d’un film d’horreur que du road movie.
Si le film, Los Disidentes Del Sucio Motel, existait
vraiment à quoi ressemblerait-il ?
LDDSM : Ca serait l’histoire de cinq mecs en cavale
poursuivis pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Des gros loosers qui n’ont
pas de bol, qui ne savent que faire de la musique de leurs dix doigts et qui
sont toujours au mauvais endroit au mauvais moment. Ils sont poursuivis par un
sheriff, immigré russe, énervé d’avoir quitté sa mère patrie ! C’est un
peu comme Lucky Luke et les Daltons. Un road movie avec beaucoup d’humour et de
second degré. De jolies filles, de belles voitures et un esprit vintage 70s.
Avec de grosses explosions ! Le groupe marcherait devant les explosions
sans les regarder ! Un peu comme la pochette de Damage Plan. La dernière
apparition de Dimebag Darrell, c’était comme ça devant une explosion, ça nous
irait bien ! Good guys never look at the explosion !
Le groupe fait très américain, vous avez un lien particulier
avec l’Amérique ?
LDDSM : Non, c’est surtout le genre musical qui veut
ça. Le stoner c’est un genre qui est né dans le désert, dans le sud des
Etats-Unis. A la base cela vient des generators parties, c'est-à-dire jouer au
milieu de nulle part grâce à a des groupes électrogènes. Le genre c’est toujours
nourri de ce côté un peu sud-ouest américain. C’est indissociable, ça sent le
sable, le gasoil. C’est un peu sale. C’est très dur de jouer de faire du stoner
sans y penser. En ce qui concerne notre relation aux Etats-Unis, on est un peu
comme les enfants spirituels d’Eddy Mitchell. La musique française des années
50 et 60 a été biberonnée au son de l’Amérique et a essayé d’importer ça en
France. Nous c’est un peu pareil. On n’a pas ce fantasme de rêve américain. La
pop culture française est tellement pauvre que c’est beaucoup plus intéressant
d’aller chercher ce qui se fait aux Etats-Unis. Ca nous parle beaucoup plus.
Après concrètement, dans le futur, aller tourner en Amérique, ça serait
l’idéal. Notre style de musique parle aux Américains. C’est toujours agréable
de se frotter à un public de connaisseurs.
Vous êtes un groupe stoner, pourtant sur l’album il y a
quelques surprises comme « Somewhere else to drive » qui sonne plus
folk/country/roots ou l’intro au piano de « We rock the world »…
LDDSM : C’est la particularité de notre groupe, on
vient tous du rock mais de branches différentes. On a plein d’artistes en
commun. Mais chacun, dans la composition, met un peu de son identité, ce qui à
la fin donne son entité au groupe. Sur le prochain album, qui sortira en fin
d’année, on a essayé de mettre cet aspect en avant tout en gardant notre patte.
On reconnaîtra le son de gratte un peu dégeu, les influences du punk et du
métal dans certains arrangements. Mais on a aussi essayé d’aller chercher un
peu plus loin, il y aura encore du piano, des ambiances plus atmosphériques,
plus planantes. On a travaillé les arrangements vocaux. On ne se pose pas trop
de questions en fait. Le stoner est très riche, il y a beaucoup de sous-genres
dans le genre. Il n’y a pas cinquante accords de guitare qui sonnent stoner.
C’est basé sur le blues et le rock 70s, c’est l’interprétation qui fait la
différence. Chercher l’originalité dans le stoner, ce n’est pas évident mais
c’est notre démarche. Sur le prochain album on a vraiment voulu chiader les
parties vocales. Sur le premier elles étaient faites en trois jours avec trois
chanteurs différents. Le côté brut est sympa, mais c’était dur. Là on a voulu
prendre notre temps pour travailler les arrangements avec le mec du studio. On
a été poussé dans nos derniers retranchements pour composer.
Le disque a été enregistré en dix jours. Vous pensez que
cela s’entend ?
LDDSM : Oui mais il faut être clair, c’était surtout
une contrainte financière. On n’avait pas les moyens de rester plus longtemps
en studio. On a commencé l’enregistrement en se disant, on a dix jours, il faut
que l’album sonne le plus brut et le plus live possible. 95 % de l’album doit
s’entendre sur scène. On a joué comme on joue en live, il y a très peu
d’arrangements. Les guitares et les batteries on été prises en live, en même
temps pour gagner du temps. Il y a une vraie notion d’urgence dans l’album.
Souvent les imperfections font le charme. Tu prends « Heartbreaker »
de Led Zeppelin, le solo du milieu est dégeu. Mais il y a un truc. Tu sens que
Jimmy Page tient absolument à caser son plan. Je crois qu’il a fait des
dizaines de prises et qu’il a gardé la première qui était la plus spontanée. C’est
devenu mythique. L’urgence à son intérêt, surtout dans la musique actuelle où
les productions sont très léchées. Combien de disques mythiques ont été
enregistrés sur 6 ou 12 pistes, des trucs ridicules. La stéréo apportée par les
Beatles c’était déjà une révolution. Aujourd’hui tu télécharges un logiciel sur
ton ordi et avec un bon micro tu peux presque tout faire tout seul. On voulait
quelque chose de brut, c’était l’envie du moment et puis de toute façon
financièrement on ne pouvait pas faire mieux. On voulait une production
radicale, une guitare à gauche, une guitare à droite, la batterie au milieu et
c’est tout. Un peu à la AC/DC. On espère que cela vieillira bien. On a conservé
le côté brut sur le nouveau mais la composition et les arrangements sont
poussés beaucoup plus loin.
Petit souvenir des eurokéennes de Belfort - copyright Salmanski Bartosch |
Vous avez ouvert le festival cette année. Les Eurockéennes,
c’est votre plus gros concert à ce jour ?
LDDSM : Un des plus gros certainement. On a aussi
ouvert pour les Smashing Pumpkins à la foire aux vins à Colmar, c’était un truc
d’environ 7000/8000 personnes. Mais en termes de visibilité et de rayonnement,
les Eurockéennes c’est notre concert le plus important à ce jour.
Comment vous avez été sélectionnés par l’organisation du
festival ?
LDDSM : On est passé par un système de repérage d’un
des partenaires du festival. Il y 800/900 candidatures. Ils en ont gardé 50 qui
sont passé devant un jury composé de membres de la production du festival et du
partenaire en question. Finalement ils ont gardé trois groupes, un par jour, et
on a été les derniers retenus.
Ca fait vraiment parcours du combattant…
LDDSM : Ca a tout le temps été comme ça pour tout. Le
terme de combattant s’applique bien au groupe. Ca fait 7 ans qu’on existe, on
n’a jamais rien lâché, on a fait plus de 250 concerts. On est dans une culture
« do it yourself » mais bien. On n’a jamais rien fait à l’arrache.
Dans le milieu musical underground dans lequel on tourne on a une réputation de
groupe entreprise. Les groupes qui tournent avec nous nous disent
souvent : « Putain les gars, vous êtes organisés, c’est un truc de
fou ». Ca nous paraît naturel, on est assez cartésiens, très organisés. On
a tous des boulots à côté de la musique avec pas mal de responsabilités. On a
cette image de groupe qui se démène dans tous les sens sans oublier son côté
fun et rock n’roll, par ce que c’est important. C’est l’image qu’on donne à
notre public. C’est très rare qu’on refuse une proposition. Sur la dernière
tournée on a fait 14 heures de route pour faire un Prague/Paris. On avait une
super proposition pour jouer à Prague et un autre truc génial à Paris le lendemain.
On a roulé de nuit, ça a été dur mais on l’a fait. On aime ça et on a envie de
se battre pour continuer. On n’a pas non plus le sentiment d’être une exception
non plus. En France, il y a plein de groupes qui se cassent le cul, qui se
démènent comme nous. Il y a quelque mois, on a fait le desert fest à Berlin qui
est un peu la Mecque du stoner. On a joué avec The Grand Astoria, un groupe
russe. Le mec est tout seul, compose tout, change régulièrement son line up
pour partir en tournée environ 6 mois par an. Et tout en « do it
yourself », il se débrouille tout seul, sans tourneur. Il fait 500 bornes
pour gagner 50 euros mais il le fait. Sur l’année, il amortit son budget quand
même mais il en chie, il n’y a pas d’autre mot. C’est la réalité du milieu.
Comment vous avez abordé l’exercice du festival ? C’est
un peu spécial, c’est en plein air, les gens vont et viennent et comme il n’y a
pas de rappels, ça passe vite…
LDDSM : Ca passe très vite ! On a du redéfinir notre set pour rentrer dans le cadre des
trente minutes qui nous avaient été accordées. Et puis on est dans un festival,
tu commences et tu finis à l’heure, sinon tout le monde te déteste. Pour le
côté technique de la chose, on a fait une grosse journée de filage dans une
salle à Colmar pour vraiment tout préparer. On a bossé avec notre ingénieur du
son, on a joué le set quatre/cinq fois dans les conditions du festival. On a
mis au point les placements, il ne fallait pas oublier que la scène est grande.
On s’est filmé pour voir ce que cela donnait, on a vraiment essayé de tout
optimiser. Pour le va et viens des spectateurs on n’était pas très inquiets. On
a ouvert le festival, les portes on ouvert une heure avant notre passage, et on
était les seuls à jouer à ce moment là. En plus on était sur la scène de la
plage (au passage superbe scène, ndlr) qui était dans le prolongement de
l’entrée du festival. On se doutait que les gens aller arriver et qu’il y
aurait du monde. Et puis on est basé à Strasbourg, pas très loin d’ici, on a
une armée de fans qui était motivés pour nous suivre et qui on fait le
déplacement. Après, en tant que musicien c’est aussi à toi de capter
l’attention des gens et de faire le meilleur show possible pour que le public
reste, il faut donner le meilleur. Même si on fait un rock très énergique, qui
joue fort, on a quand même un côté grand public, ne serait-ce que grâce à nos
chants qui ne sont pas braillés. On n’a pas de voix gutturale, qui pourrait
rebuter les oreilles sensibles, ça aide un peu (sourire).
C’est galère d’être un groupe de rock en France ?
LDDSM : A fond, c’est super difficile. On a tous un taf
à côté. Nous on est dans un statut semi professionnel. On n’est plus amateurs,
mais on n’est pas encore professionnels non plus. Le cul entre deux chaises. Et
pour passer pro en France et vivre de notre musique, la dernière marche est
vraiment très très dure. Déjà dans les grands médias, le rock est très mal
représenté. Le métal, le punk. Nous on est encore plus spécialisé… On a morceau
« Persia » dans lequel on essaye de relativiser la situation. Ce
n’est pas confortable d’être un groupe de rock en France mais comparé à
certains pays, on a énormément de chance, d’exercer notre passion dans un pays
démocratique. Dans certains endroits du monde tu peux aller en prison où être
condamné à mort pour avoir fait du rock n’roll. Dans quel monde on vit ?
Ce n’est que de la musique ! Ca se passe aussi sur le terrain, les cachets
pour les groupes de rock sont ridicules. Quand on est sur la route, on est six,
cinq musiciens et le sheriff. On ne peut pas se permettre de prendre du monde
pour vendre les cds, on n’a pas de techniciens avec nous pour le son où les
lumières, personne pour gérer le management. Tous ces gens que tu prends en
plus et qui te facilitent la tâche. Il faut pouvoir les nourrir, les loger, les
faire voyager, les payer… C’est des frais en plus. On ne peut pas se le
permettre. Même toi en tant que musicien, tu ne peux même pas avoir ton cachet
d’intermittent. Je ne sais pas si cela vient du milieu rock, mais on a des amis
qui jouent du jazz et qui se gagnent beaucoup plus que nous. Au début on a
bouffé de la vache enragée, les plans payés en fonction des entrées, à la fin
de la soirée tu ne sais même pas combien tu vas toucher. Maintenant ces plans
là c’est terminé. Trop risqué. Aujourd’hui, on est un groupe rentable dans le
sens où on arrive à financer des albums et du marchandising mais on ne peut pas
en vivre. On n’est pas une exception, 99 % des groupes français sont dans notre
cas. En France on ne sait pas vendre nos groupes de rock. On ne fait pas de
promotion pour les groupes rock par contre tout le reste, la pop et compagnie
prennent tellement de place dans l’horizon musical qu’il ne reste plus
grand-chose pour les groupes comme nous. Les groupes français qui veulent
continuer et grandir sont obligés de s’exporter comme Gojira. Ils vont aux
Etats-Unis où ailleurs où ils sont appréciés et reconnus comme les maîtres du
métal contemporain. Tu prends Shaka Ponk par exemple, on aime où on n’aime pas
ce qu’ils font mais c’est un groupe qui a galéré pendant des années en
Allemagne. Ils ont tourné des années et des années en Allemagne par ce qu’en
France ils n’y arrivaient pas. Et puis bizarrement un jour ça y est, on les
reconnaît finalement dans le pays d’où ils sont originaires. Ils font des
tournées monstrueuses. Aujourd’hui on en est là, on préfère laisser partir nos
artistes à l’étranger s’embourber à faire des dates de merde dans des squatts
et machins plutôt que de les aider directement en France. La situation actuelle
des groupes de rock français, c’est on joue d’abord à l’étranger et après
seulement en France. On ne se plaint pas, nous on fait notre truc, on joue mais
c’est frustrant. Il y a un côté un peu rageant. T’es perpétuellement en train
de ramer contre le courant. Quand on était en Suède, c’était marrant, à la
radio ils passent du rock. En France on n’est même plus habitué à ça. Ici quand
t’entends un morceau d’AC/DC, c’est le bout du monde. Bon tu vas toujours entendre
le même morceau, mais déjà t’es content d’entendre AC/DC. Et pourtant ils
remplissent les stades. Dans notre entourage quand on parle de notre groupe,
les réactions c’est : « mais vous pouvez pas être connus, vous ne
passez pas à la radio ». On n’y prête plus attention…
Un petit mot sur le sheriff pour finir ? Il fait partie
du groupe, j’ai vu qu’il est cité dans les crédits…
LDDSM : Mais tout à fait ! C’est prolongement sur
scène de l’univers qu’on a développé. C’est parti d’une connerie au départ, tu
n’as qu’à monter sur scène et faire le sheriff dont on parle dans la bio. Ca a
super bien marché. Les gens après le concert sont tous venus le voir, il a fait
plein de photos avec les nanas qui étaient dans le public. Et nous on était là,
et wow c’était marrant (rires). Ca nous a fait marrer. Au final on réalise
que pour le public, on est le groupe avec le sheriff. Ca fait parler. C’est une
autre identité du groupe, pour se démarquer.
Propos recueillis à Belfort, le 1er juillet 2012.
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