Abandonnée de tous, tuant le temps en pianotant sur son
téléphone et installée sur « le canapé sur lequel j’ai fait la
sieste » dans les loges de la Maroquinerie, Alex Winston, nous attends
tranquillement. Un an après notre première rencontre, cette dernière apparaît
plus mature, différente, un peu moins fofolle mais toujours aussi gentille. Les
retrouvailles furent chaleureuses…
Depuis notre dernière rencontre tu as maintenant sorti ton
album. Est-ce que cela a changé beaucoup de choses pour toi quand la musique
est devenue ton métier ?
Alex Winston : Cela a été une année assez intéressante
pour moi. J’ai ouvert les yeux. Quand on s’est vu la dernière fois, tout était
très neuf et excitant. C’est toujours aussi excitant de faire de la musique
mais c’était un peu le rush. C’était émouvant de découvrir le monde. Les choses
se sont un peu calmées. La première tournée, on était bourrés tout le temps. On
était jeunes et stupides. J’ai l’impression d’avoir grandi. Et puis j’ai du gérer
toutes sortes de situations. J’ai changé de label. L’album a été enregistré il
y a un an et il a fallu une autre année pour le sortir. Il y a eu beaucoup de
frustrations mais j’ai définitivement grandi pendant cette période. Et puis
j’ai eu la chance de tourner beaucoup en Europe. Je n’ai même pas encore fait
de tournée aux Etats-Unis.
Tu n’as jamais tourné aux Etats-Unis, vraiment ?
Alex : Non, mon dernier concert aux Etats-Unis remonte
à il y a un an (depuis cet entretien Alex à joué à Philadelphie, New York et à
Washington DC). Après ce concert j’ai commencé l’enregistrement du disque à New
York et puis il y a eu les concerts en Angleterre et en Europe. Je suis excitée
de retourner aux Etats-Unis. J’adore ce que je fais, mais j’ai un peu le mal du
pays parfois. Et puis comme tout le monde, j’ai envie de réussir chez moi.
Ton premier album, c’est le début de l’histoire mais en même
temps c’est aussi le résultat d’années de répétitions, de pratique, d’écriture…
Qu’en penses-tu ?
Alex : Pour être complètement honnête, je suis très
fière de ce que j’ai réalisé compte tenu du temps imparti et des circonstances.
Il y a quelques chansons qui étaient déjà sur l’EP « Sister wife ».
Je voulais que l’album soit complètement inédit mais bon ce n’était pas très
réaliste… J’ai vraiment fait de mon mieux. C’était une expérience intéressante
par ce que tout est allé très vite. Tout a été écrit et enregistré en deux
mois. J’ai toujours été plus intéressée par les autres que par moi-même. Mes
chansons ne sont pas tellement introspectives. Dans ma vie personnelle, je suis
plutôt réservée. Je reste dans le fond, j’observe. A l’époque je regardais
beaucoup de documentaires et j’étais vraiment fasciné par la culture « de
niche » en Amérique. J’étais intriguée par tous ces gens qui font les
choses différemment. J’ai essayé de comprendre. Finalement l’album parle de
ça : les problèmes des autres. J’essaye d’en faire des chansons pop.
Justement en parlant de ça, j’écoutais « Benny »
et « Velvet Elvis » et je me demandais si ton album était dédié aux
parias de l’Amérique ?
Alex : Peut-être d’une certaine manière mais
« Benny » et « Velvet Elvis » sont très différentes.
« Benny » parle d’un sujet qui me dégoûte complètement. « Velvet
Elvis » parle de quelque chose de différent, d’intéressant et de magnifique
d’une certaine manière. Benny existe vraiment, c’est un prêcheur qui va de
ville en ville en proclamant qu’il peut guérir n’importe quelle maladie. Et qui
finalement ne guérit personne mais empoche le pognon. Mais ses victimes sont
tellement désespérées et veulent tellement croire en lui. A la fin c’est une
sorte de lavage de cerveau, de la manipulation. C’est pour cela que la chanson
est plutôt simple, je voulais quelque chose d’hypnotique, comme une vague. Tout
cela me brisait le cœur, de voir ces gamins aller implorer Benny alors qu’ils
voulaient simplement marcher et jouer avec leurs copains. Et lui empoche
l’argent… « Velvet Elvis » est plus fun et parle d’un amour
« différent ». Quand on pense à l’Amérique on a souvent envie
d’écrire sur Hollywood, le rêve Américain etc… Cela ne m’intéresse pas trop
finalement, je préfère parler de ce qui se passe dans la coulisse. On n’en
parle pas tant que ça. En Amérique on commence à faire des reality shows sur
les « niches », la polygamie et je trouve cela plutôt intéressant…
Tu regardes « Big Love » (série télé dont la
première saison a été diffusée par Canal+, ndlr) ?
Alex : C’est une de mes séries préférées. On la regarde
en ce moment. Sarah, ma choriste, ne l’a jamais vue alors on reprend tout
depuis le début.
Il y a beaucoup d’aspects différents sur ton album,
l’écriture est classique, la production est moderne. Il y a des influences de
la Motown, des girls groups des sixties, un peu d’électro… Qui est-tu
finalement ?
Alex : Je ne sais pas (rires). C’est très compliqué
d’expliquer. Je suis influencée par beaucoup de choses très différentes. Je
suis comme écartelée. Et je ne pense pas rentrer dans un moule en particulier.
Je ne sais pas si c’est bien ou pas. Et je crois que c’est la raison pour
laquelle les choses vont lentement pour moi. Ca n’a jamais été : « Ah
tiens, elle est comme ça ». C’est très « do it yourself ». Et je
pense que cela va prendre un peu de temps pour le public de comprendre ce que
je fais. Je change beaucoup et je n’ai pas un truc en particulier auquel me
raccrocher. Je ne veux pas de toute façon. Je veux pouvoir faire ce que je veux
en fonction de mon inspiration du moment. En ce moment je suis en train
d’écrire un album western. Je ne sais pas à quel catégorie j’appartiens et je
ne suis pas sure que cela soit une mauvaise chose. On me parle beaucoup de Kate
Bush cependant…
Je t’avais parlé de Kate Bush la dernière fois…
Alex : J’aime faire des choses différentes tout le
temps. Je veux continuer comme ça.
C’est une position difficile à tenir dans l’industrie de la
musique. On aime classer les artistes par genre…
Alex : Je sais et je comprends pourquoi. Mais je pense
que sur l’album on peut faire la différence entre les anciennes et les
nouvelles chansons. Que cela soit bon où pas d’ailleurs. Je ne sais pas.
J’étais « ailleurs » pendant l’écriture.
J’ai écouté ta reprise des Black Keys sur ton soundcloud.
J’ai trouvé ça intéressant…
Alex : C’est venu un peu de nulle part. Parfois j’aime
bien déconner et je fais des reprises. Ce n’est pas intentionnel. Quand j’aime
vraiment une chanson, j’aime bien faire des bêtises et voir ce que je peux
faire pour me l’approprier en quelque sorte. J’adore les Black Keys. Tu sais ce
que j’aime le plus chez eux, à part la musique ? Je crois que c’est des
mecs bien. Des mecs de l’Ohio, les pieds sur terre, qui font de la musique dans
un garage. Il y a quelque chose qui me plaît là dedans.
Moi je respecte leur passion pour la musique. Ils ont tous
les deux des activités de producteur à côté…
Alex : Bien sur. Ils ne semblent pas manipulés, par
personne. C’est cool. Ce n’est pas comme une sensation internet qui explose
d’un coup. Ils ont probablement tourné dans un camion pendant des années, ils
se sont bougés le cul et ont fait des disques sans aucun budget. Et ça se sent.
Je les adore !
Tu viens de Detroit et je sais que tu est très fan de rock
n’roll et en particulier des groupes de ta ville natale. Est-ce que tu aimerais
enregistrer des chansons plus rock ?
Alex : Oui, j’aimerais. Aucune des chansons de l’album
n’est vraiment rock. Quand j’ai écrit « Fire Ant », je voulais aller
dans cette direction. La guitare électrique me manque. Dans la plupart de mes
anciens groupes, c’est ce que je faisais, de la guitare électrique. C’était
plus lourd et plus sombre. Finalement je suis allée dans la direction opposée.
J’ai essayé de garder les paroles sombres. Sur l’EP western il y aura plus de
guitare et des percussions plus lourdes. Le côté rock se verra plus.
Tu as commencé en chantant de l’Opéra…
Alex : Je ne me classerai pas dans cette catégorie. J’étais
à la radio aujourd’hui. J’ai entendu une chanteuse d’opéra incroyable qui
répétait dans la pièce d’à-côté. Elle avait une voix magnifique. Et moi
j’attendais, à la porte, pour enregistrer. Et j’étais là, est-ce que vous
pouvez partir s’il vous plaît ? Je dois y aller et avec cette chanteuse…
Je dois passer après elle… Elle chantait tellement bien. Mais oui j’ai fait de
l’opéra pendant un temps.
Est-tu influencée par l’Opéra et comment ?
Alex : Je l’étais mais tout était tellement régenté.
L’opéra c’est magnifique, mais la façon dont on me l’a enseigné c’était surtout
reproduire ce qui était écrit sur les partitions. Où est ta personnalité
là-dedans ? Tout était tellement strict. Quand j’ai commencé à chanter
dans des groupes, j’ai du désapprendre un peu pour en arriver à comprendre que
finalement ce n’est pas grave de se planter. Cela m’a pris de temps pour
trouver ma voix après ça. Mais je pense que quelque part, inconsciemment,
j’aime bien retomber dans ces vieilles habitudes de l’opéra. Je l’ai fait
pendant si longtemps…
Combien de temps ?
Alex : 10 ans.
Parle moi de ta chanson « Sister wife », j’ai noté
les paroles : « Hey There Sister wife, get the hell out it’s my
night » (Casse-toi sister wife c’est ma nuit)… Est-ce qu’il faut prendre
ça comme une prise de position ?
Alex : Cela parle du partage de quelque chose que l’on
adore avec d’autres, que cela soit une relation, une possession… L’idée que
l’on doit être assez adulte pour partager. Je déteste partager. Et je dois
apprendre comment le faire. Je réfléchissais à la polygamie et je me demandais
mais bordel comment elles font ces femmes ? Comment ça marche ?
Comment on peut avoir un mari et je ne sais pas combien de femmes et être ok
avec ça ? Etre amoureuse de quelqu’un et juste dire : « C’est
bon, tu peux aller coucher avec elle maintenant »… Je me demande comment
c’est possible. Mais bon, je suppose que l’on doit tous composer avec la
jalousie tous les jours.
Tu tournes beaucoup. C’est difficile comme vie d’être sur la
route tout le temps ?
Alex : Ca l’est. Quand je discute avec mes parents ou
mon frère, je n’ai pas l’impression qu’ils comprennent vraiment ce que c’est.
Ils s’imaginent un truc très glamour. Ca ne l’est pas vraiment. J’adore jouer,
j’adore les concerts. Mais c’est un mode de vie différent. On est comme détaché
de la réalité. Je ne fonctionne pas en lundis, mardis etc… Je fonctionne par
dates. Ce n’est pas un truc entre 9h et 17h, cinq jours par semaine. C’est
important comme changement. Mais j’aime vraiment ça.
Est-ce qu’au moins tu as le temps de faire quelques visites
quand tu es en tournée ?
Alex : Ca c’est le truc cool. La dernière fois on a
fait une session acoustique pour la blogothèque, on était au Louvre. Mais bon
pour l’instant je n’ai pas encore eu l’occasion d’avoir une journée off pour
traîner dans Paris. Enfin bon, je prends ce qu’on me donne.
Et en Europe ?
Alex : J’ai eu un peu de temps libre en Allemagne. Mais
j’ai eu la grippe à Berlin. J’ai vomi tout le temps. Un docteur est venu me
faire une piqûre dans les fesses ! J’étais malade en train de vomir, et
personne ne parlait anglais… Horrible. Voilà c’était ma journée off à Berlin…
C’est naze !
Alex : C’était terrible, j’étais toute seule. J’ai du
appeler mon label à 6 heures du matin, vous devez m’appeler un docteur. Un peu
naze en effet, c’est le moins qu’on puisse dire.
Un petit mot sur « Rum Rumspringa » ?
Alex : Ca vient d’une tradition Amish. Quand les gamins
atteignent l’age de 16/17 ans ils partent faire un « Rumspringa ».
Ils partent à la découverte de notre monde et font ce qu’ils veulent vraiment
tout : le sexe, la boisson... Après ils reviennent et ils doivent choisir
entre les deux mondes. Rester fidèle au mode de vie Amish ce qui est un engagement.
Si ils choisissent de partir, ils sont excommuniés sans possibilité de retour.
Et « Fire ant » ?
Alex : C’est une chanson plus personnelle. Les fourmis
rouges (fire ant, ndlr) sont vraiment mauvaises, méchantes. Cela parle d’une
personne assez destructrice dans ma vie. Elle n’arrêtait pas de se mettre en
travers d’une relation. Elle me rampait dessus, me piquait et cela ne
s’arrêtait jamais. Cette chanson lui est dédiée, elle était rousse (red hair,
ndlr) rires…
Propos recueillis le 26 mars 2012.
Album « Alex Winston » disponible.
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