A défaut de pouvoir
aller voir son idole Janis Joplin en concert, Lucie Baratte s'est
lancée sur les traces de la chanteuse. Une sorte de voyage
initiatique dont elle a tiré « Looking for Janis » un
livre passionnant sur lequel elle revient ici longuement, entre
éclats de rire et émotion. A noter enfin, Lucie sera présente au
Supersonic pour dédicacer son ouvrage le soir de notre concert du 9
juin prochain (l'événement Facebook est ici, le crowdfunding pour la soirée là).
Qu'est-ce que tu as
ressenti quand tu as découvert Janis pour la première fois ?
Lucie Baratte :
C'est spécial, c'est un bouleversement, ça m'a pris comme une
énorme vague. J'étais petite, j'avais 14 ans. J'avais déjà eu des
expériences avec la musique, d'avoir été emportée par une
mélodie. Mais là… Ce n'était pas tant la mélodie, c'était
surtout sa façon de chanter qui m'a bouleversée au niveau
émotionnel mais aussi rationnel. La chanson avec laquelle j'ai
découvert Janis, c'est « Coo Coo » de Big Brother &
The Holding Co (1966, ndlr) qui n'est pas une chanson culte. Et puis
c'était les débuts, elle cherchait encore sa voix et puis c'était
le premier album du groupe, elle ne chantait pas sur tous les titres.
C'est un disque enregistré un peu à la va vite et ils ont eu
beaucoup de mal à le produire, il y a un côté un peu imparfait. Et
c'est ça qui m'a frappé. A l'époque, elle s'écartait du micro
pour chanter, pour pouvoir crier plus fort. Tu entends qu'elle
s'éloigne, j'ai trouvé ça dingue ! Ce truc qui partait dans
tous les sens comme si elle ne pouvait pas retenir son énergie, ça
déborde trop, elle ne pouvait pas gérer. Ça fait comme un tsunami.
J'ai été obsédée par cette chanson, il fallait que je l'écoute
en boucle, seule, dans le noir (rires)…
Que représente pour
toi cette musique…
Lucie : C'est
difficile comme question (elle réfléchit, silence). Il y a
plusieurs choses, mon adolescence, la période entre mes 14 et 18
ans, déjà. C'était l'époque où je l'écoutais à fond, j'étais
obsédée par elle, c'était mon modèle absolu. Sa musique a
accompagné ma vie quotidienne. Quand je réécoute sa musique, je
repense à la Lucie que j'ai été (silence). Après sa musique
représente quelque chose ultra intime, de magique et de sacré. Même
si plein de gens écoutent Janis Joplin, j'aurai toujours le
sentiment que moi je partage un truc particulier avec elle. Je n'ai
pas ça avec d'autres artistes. J'aime beaucoup Tori Amos aussi par
exemple. Mais la musique de Janis m'offre une sorte d'intimité avec
elle. J'ai le sentiment de la connaître personnellement, dans une
sorte de dimension spirituelle, et de vivre un truc unique avec elle.
Pour moi elle symbolise aussi une libération, la libération des
femmes. Je viens d'un milieu très traditionnel, je suis la seule
fille dans une famille de garçons… C'est comme le déclencheur sur
une vie très linéaire (elle claque des doigts). Et là tu vois la
vie autrement. Et ça c'est la musique, le chant de Janis. Tout
devient possible. Son côté extrême, c'est le plus beau cadeau
qu'elle est fait à l'humanité. Quand tu la replace dans son époque,
c'est fou ce qu'elle a pu accomplir. Encore aujourd'hui ça n'est pas
hyper simple. Les femmes dans le rock ça n'était pas si courant que
ça… Et là Janis a poussé très loin la libération en prenant
parfois des artifices plutôt masculins.
Comment est née
l'idée de ce voyage ?
Lucie : C'est
très personnel. C'est lié à la manière dont je me suis
construite. Je me suis inspirée de Janis Joplin.
Cela peut-être
dangereux (rires)…
Lucie : Cela
peut-être très dangereux (rires). Mais les drogues dures et les
expériences trash n'étaient pas ce qui m'intéressait. Il y avait
quelque chose en elle, ce côté étrangement très vivant, alors
qu'elle est décédée très jeune (27 ans, ndlr). Pour moi cette
relation avec Janis était intime. Après, pendant longtemps, je
n'arrivais plus à écouter ses disques. Sa musique me rendait triste
sans que je comprenne vraiment pourquoi. J'ai continué à chercher
des albums pirates, à lire les bouquins mais il y avait un vrai
problème perso. Je me suis mariée jeune et je m'étais oubliée. A
27 ans je me suis demandée : « Mais c'est quoi ma vie en
fait ? ». J'avais des envies, je voulais être artiste,
aller à des concerts. Mon problème de couple a fait remonter le
fait que je m'étais mise de côté. Quand j'ai eu 28 ans je me suis
réveillée. D'un coup j'étais plus âgée que Janis. A 17 ans, je
rêvais que pour mes 18 ans je verrai la maison natale de Janis à
Port Arthur (Texas, ndlr). Ca serait tellement génial. Mais d'autres
soucis à gérer ont fait que je n'y suis pas allée. Dix ans plus
tard, à 28 ans, je me suis dis : « Mais c'est quoi
ce truc ? ». Si je ne le fais jamais, à quoi ça sert ?
C'est là que l'idée du voyage a commencée à germer dans mon
esprit. Et j'ai recommencé à réécouter Janis Joplin en boucle et
plus je me sentais à nouveau moi-même. Je me reconnectai avec
moi-même, je réintégrai une partie de ma personnalité que j'avais
mise de côté. Une partie oubliée de mon âme. Je me suis promise,
le jour de mes 30 ans, je serais avec Janis. Je vais faire ce voyage
avec Janis Joplin, c'est trop important pour moi.
Comment as-tu décidé
du parcours, il y avait des endroits mythiques aussi sur la côte Est
des Etats-Unis, Woodstock, l'hôtel Chelsea à New York ?
Lucie : J'ai
choisi en fonction de la corrélation avec mon intention
personnelle : me reconnecter avec Janis, retrouver qui j'étais,
aller vers ma vérité. Et ça je voulais le faire avec Janis.
Refaire son parcours quand elle avait quitté le Texas où elle se
sentait opprimée, déphasée pour San Francisco. La route avait un
sens. J'ai terminé là où elle est décédée à Los Angeles. J'ai
suivi une logique : sa vie en accéléré. Les choses les plus
importantes, les plus marquantes. J'ai fait aussi le parallèle avec
ma propre existence, je viens d'un milieu provincial, traditionnel,
c'est très bien, mais ça m'a aidée à trouver un lien avec Janis.
Je me suis retrouvée dans son parcours, sa route vers la libération.
Et quel a été
l'endroit le plus émouvant ?
Lucie : Il y en
a eu beaucoup. Je pense que le plus fort c'est sa maison d'enfance à
Port Arthur (Texas, ndlr). Il y a eu peu de transition entre l'avion,
l'hôtel et la maison de Janis. En 48 heures, j'étais passée de
Lille à Port Arthur. Le rétrécissement de l'espace était hyper
fort, d'un coup ça semblait facile. Il suffisait de prendre un
avion. J'en avais discuté avec un copain fan de Queen. Lui il a une
théorie, être fan c'est réduire les espaces, temporels, physiques.
Avec Janis, je ne peux plus réduire l'espace temps, je ne serai
jamais dans le même temps qu'elle, c'est impossible. Je ne peux que
réduire l'espace physique. Et là tout d'un coup, j'étais le plus
proche physiquement de ce qu'elle avait pu vivre. Et ce très
rapidement. Il y avait un truc fort. C'était la maison de son
enfance, là où elle avait commencée et là où moi j'ai commencé
mon voyage. Après il y avait aussi la plage Stinson Beach, qui était
aussi très fort, j'étais dans le trip où je me baignais avec les
cendres de Janis (sourire). J'étais déjà allée à l'Olympia où
elle avait chanté mais ça n'avait rien à voir.
Et la rencontre la
plus marquante ?
Lucie : C'est
difficile comme question (elle réfléchit). C'est vachement dur.
Rencontrer Janis Joplin, mais c'était plus une rencontre
spirituelle. Il y a eu beaucoup de gens et chacun apporte à
l'histoire de manière différente (silence). Je vais quand même
dire Sam Andrew (le guitariste de Big Brother). Cela a été un
moment très très fort.
Surtout maintenant
qu'il nous a quittés…
Lucie : Oui,
c'est clair. Et puis c'était génial, après on est resté en
contact sur Facebook, il était tellement sympa (émue). Mais là
c'était vraiment un moment de « fan attitude ». Un peu
pétrifiée, je ne savais plus quoi dire. Il était tellement
bienveillant (émue). Il parlait le français, il avait fait ses
études à La Sorbonne, il était trilingue… Incroyable. Une très
très chouette rencontre.
Il y a un chapitre
que j'ai beaucoup aimé dans le livre, c'est cette fameuse lettre à
Janis où tu lui dis « je t'aime mais j'ai envie de te dire
merde » !
Lucie (rires) :
Ah oui cette fameuse lettre. Tu n'es pas le seul à m'en parler, ç'a
perturbé pas mal de monde !
J'ai trouvé ça
très bien, parce que cela instaure une certaine distance, on n'est
pas dans l'adoration aveugle du fan et en même temps, en lisant le
livre on a l'impression que tu l'as vraiment connue en personne.
Lucie : Dans
mon cœur, je me sens intime avec elle. Au fil du temps, c'est comme
une amie. Imagine ton meilleur ami au lycée. On grandit
différemment. Tu peux voir ce que tu partages, à quel point tu peux
t'aimer mutuellement mais aussi les différences ou en vouloir à
l'autre…
Tu évolues
différemment aussi de tes amis d'adolescence et après un moment tu
n'es plus en phase…
Lucie :
Exactement. Et c'était ce moment là avec Janis. Moi je ne suis pas
en phase avec tout ce que tu as fait. Je ne peux pas dire, c'est ok,
c'est génial, tu t'es éclatée jusqu'à la fin. Non (grave). Dans
un sens c'est quand même con. Quelque part j'aimerai qu'elle soit
toujours en vie et complètement has-been. Est-ce qu'elle serait
autant à la mode ? Je me poserais toujours la question. Quand
je me suis vraiment connectée avec Janis Joplin, quand j'étais sur
la route en émotions et en pensée avec elle, ça m'a rendue
vachement triste. Je lui en voulais d'être morte, comme un épisode
de deuil. Elle me manque tout le temps, comme quelqu'un de ma
famille, que j'aime profondément et qui ne sera jamais là.
Est-ce que tu penses
qu'écrire ce livre, la dessiner, car il y a beaucoup de croquis dans
l'ouvrage, c'est un moyen d'insuffler un peu de vie nouvelle dans son
œuvre ?
Lucie :
Complètement ! C'est même la démarche profonde du livre. Les
dessins, les textes écrits à la main sont autant de captations de
choses dites ou vécues par Janis pour essayer de la capter vivante.
Je ne voulais pas que cela devienne un monument en marbre morbide. Je
suis un peu mal à l'aise avec les biographies, les documentaires. Et
si moi je mourrais et si quelqu'un parlait de moi, peut-être qu'il
se gourerait complètement… Je me demande ce que Janis pensait et
vivait vraiment. C'est pour ça que le livre est construit sur des
flashs, où on capte une phrase, une image, un son. Je voulais la
rendre vivante de manière sensible. Ce livre c'est Janis qui me
parle et qui parle au lecteur.
Tu as commencé par
un blog. Comment ce blog est-il devenu un livre ?
Lucie : De part
mon métier, je suis dans une démarche artistique. C'est le sens que
je donne à ma vie, j'ai besoin de créer. Quand je suis partie, je
me suis dit que ça serait chouette d'en faire quelque chose sans
savoir quoi exactement. Je suis juste partie avec mon appareil photo.
Et j'avais vraiment besoin d'écrire. J'ai donc commencé un blog
mais avant tout pour moi, mes copains et ma famille. Pour raconter,
comprendre. J'en fait plein de photos. Quand je suis rentrée,
quelques mois plus tard, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose qui
fonctionnait bien quand on regarde les photos et les textes. Et les
photos racontent quelque chose que l'on ne retrouve pas dans les
textes. Assembler les deux permet de raconter l'histoire d'une
nouvelle manière. Le texte et l'image se mélangent pour faire vivre
une expérience au lecteur et ça, ça m'intéresse.
Le livre est très
illustré…
Lucie : C'est
un roman photographique et graphique en même temps. Chaque élément
est là pour une raison. Il y a différents niveaux de lecture, par
l'image, les citations apportent une nuance ou éclairent le sujet…
Tu as tout fait
toute seule, chemin de fer, mise en page, textes et photos. C'est
titanesque comme charge de travail…
Lucie : C'est
énorme (rires) ! J'ai retravaillé les textes du blogs tout en
gardant le côté spontané « flashs sur la route ».
Quand j'ai mis le texte bout à bout ça faisait déjà 150 pages A4,
je me suis dit « Wouah, on va attendre un peu pour la
traduction » (rires) ! Cela m'a pris cinq ans pour en
venir à bout... Les trois derniers mois j'ai travaillé comme une
forçat ! C'était super enrichissant. Il y avait des choses que
je connaissais du fait de mon métier de graphiste comme la mise en
page. J'ai travaillé pour des éditeurs, je connaissais le chemin de
fer, tout le process du livre mais il y avait plein de choses
auxquelles je n'avais pas pensé. Je voulais un livre « enrichi ».
Il fallait réfléchir au positionnement des traductions, il y avait
de l'argot des années 1960, pas évident à traduire. J'ai aussi
abandonné pas mal de photos qui ne fonctionnaient pas dans ce côté
livre. Je ne voulais pas que cela devienne trop illustratif. Et puis
à la fin tout le questionnement autour de la fabrication :
quand, comment, combien ??? C'était génial en même temps. Ce
livre c'est un témoignage à la croisée de plein de choses :
un journal intime, un livre rock, un carnet de voyage.. Je l'ai fait
à fond sans compromis. C'est aussi une grosse prise de risque pour
moi. Mais c'était dans la même démarche que Janis, si j'y vais,
j'y vais vraiment. Si je l'ai fait c'est parce que je pense que cela
pouvait apporter quelque chose à quelqu'un d'autre.
Qu'as-tu ressenti
quand tout était fini et que tu as tenu le livre dans les mains pour
la première fois ?
Lucie : Je
crois qu'à ce moment là mon cerveau fonctionnait à peine (rires) !
Ca faisait tellement longtemps que je travaillais dessus, il fallait
que je réalise ! Le côté pro a pris le dessus, j'ai vérifié
la reliure, le nombre de pages, les détails techniques. Et puis ç'a
été (elle chuchote tout doucement) : « Ah oui, il est
bien, il est doux. Les photos rendent bien » (rires)… C'est
quelque chose que j'ai imaginé, créé, ç'a été long. Et
maintenant il existe, d'autres gens le découvre, le lisent et
l'apprécie et il vit sa vie. C'est con hein ? (rires). Mais
j'étais très contente du résultat, l'impression, la reliure. Les
photos rendent bien et c'était la grosse difficulté. Je voulais que
le bouquin soit maniable, chaleureux, qu'il ait une forme populaire,
à l'inverse d'un livre photo classique un peu glacé et froid.
Tu es revenue
différente de ce voyage ?
Lucie : Je le
pense, oui. Cela ne peut pas être neutre. Cela m'a donné beaucoup
de force de voir ce qu'il y avait au bout de mon rêve, de ce désir.
Le dernier chapitre à été très dur à accoucher. Pendant un long
moment, j'avais du mal à revenir du voyage à reprendre une vie
classique. J'avais encore envie d'être là-dedans. J'avais du mal à
me séparer de Janis. C'était ça le retour à la réalité. Janis,
elle est décédé et ça c'est fait… Et ta vie elle continue et
qu'est-ce que tu en fait maintenant ? Qu'est-ce que cela
t'apporte dans ta vie de tous les jours ? Par sa création
artistique Janis a changé ma vie ou du moins ma vision du monde. Et
ça pour moi c'est le truc le plus important. Elle l'a fait pour
plein de gens. C'est magique et puissant de voir comme l'art peut
créer des connexions et faire grandir. C'est son esprit libre et
rock n'roll qui sera toujours avec moi. Partir toute seule, conduire
ç'a ma donné beaucoup de confiance en moi. Surtout pour la
conduite, toute ma famille avait peur! J'avais des recommandations,
si tu es perdue dans le désert, tu bois l'eau du radiateur (rires) !
Gros stress (rires) ! J'ai plutôt réussi à m'en sortir,
c'était cool !
J'étais avec mon
frère le jour où on a appris la mort d'Amy Winehouse et il a tout
de suite fait le rapprochement : « 27 ans, comme Janis
Joplin » ! Je n'avais même pas fait le rapprochement…
Lucie : Je l'ai
appris le jour même de mon arrivée aux Etats-Unis ! C'était
fou ! Je venais d’atterrir à Houston, j'étais claquée, je
vais directement dormir. Le lendemain, je vais à la salle du petit
dej' et je vois l'info. Un truc de fou. Et ouais (soupir un peu
triste)… Je me demande toujours si l'histoire se répète ou si
cela tient du fantasme de notre société, des héros rock n'roll,
sacrifiés. Il y a plein de jeunes rockeurs qui sont morts entre 23
et 35 ans. On a fait cette fixette sur le « club des 27 ».
Ca créé des mythes. Je me méfie du mythe. La notion archétypale
m'interpelle mais je me demande toujours ce qu'on en fait de cette
« histoire de héros ». C'était des êtres humains. Tout
de suite après avoir appris le décès d'Amy Winehouse, j'ai pensé
que c'était parti pour les documentaires et tout. Est-ce bien
nécessaire ? Même si il faut lui rendre hommage. Mourir à 27
ans c'est tragique.
Moi, quand j'ai eu
27 ans, j'ai pensé à tout ceux qui sont décédés à cet âge là
et je me suis rendu compte que tout ces disques, que l'on considère
comme des chefs-d’œuvre, ils les ont enregistrés très jeunes. La
maturité artistique est assez dingue…
Lucie (elle
approuve) : Oui c'est dingue. C'est incroyable. Amy Winehouse
cette voix, quel talent. On est un peu tous fascinés par cette
tranche de 27 ans, le basculement ado/adultes. C'est comme si tous
ces personnages n'avaient pas pu passer à l'âge adulte, à l'âge
dit « de raison ».
Oui, et qui restent
éternellement dans une sorte de jeunesse…
Lucie : Oui, la
jeunesse éternelle. Et notre société est fascinée par la
jeunesse, c'est quelque chose qu'on valorise beaucoup.
Et tu as eu un
sentiment particulier le jour de tes 27 ans ?
Lucie (interdite) :
J'ai pleuré. Pourtant ma vie elle n'était pas si mal que ça. Mais
je n'était pas à l'endroit où je me sentais à ma place. Le temps
passe trop vite. C'est pour ça que dans le livre, je parle beaucoup
de la chanson « Kozmic blues » où Janis parle, à 25
ans, du temps qui passe, des amis qui s'en vont, les gens meurent…
Je l'ai ressenti aussi. Janis c'était mon modèle, je me suis
demandé : « Mais qu'est-ce que j'ai fait moi de 20 à 27
ans ? ». J'ai fait des études, j'ai travaillé, rencontré
des gens. Rien d'extraordinaire en fait. Cela a été une grosse
remise en question.
Est-ce que c'est
compliqué de vivre une vie de fan quand l'idole est décédée ?
Lucie : Oui
c'est compliqué et je dirais même que c'est compliqué de vivre une
vie de fan tout court. Je m'en rends compte de plus en plus quand je
discute avec ceux qui viennent me voir en dédicace. Plusieurs
personnes m'ont avoué être fan de quelqu'un. On a un peu cette
image ridicule du fan, l'adoration aveugle, les cris, l’hystérie,
les groupies. Etre fan, c'est déjà un peu difficile à assumer à
la base. J'ai un peu de mal avec les autres fans de Janis. J'ai
l'impression d'être intime avec elle et d'être la seule à pouvoir
la connaître comme ça. J'ai pas l'impression qu'on parle de la même
personne. C'est assez triste en fait. Tu pourras jamais la voir en
concert, avoir une dédicace, lui poser une question. Avoir une
interaction comme avec un autre être humain. Je remets en question
le « côté mythe ». On te sert des documentaires, tu as
juste des légendes pour la connaître. C'est compliqué, cela peut
être un peu frustrant. Ma réponse avec le livre, c'est que la
solution et les réponses aux questions sur Janis se trouvent à
l'intérieur de moi. Ce bouquin c'est ma Janis, celle que moi je me
suis imaginée. Tu vois Tori Amos est toujours en vie, je touche du
bois. Tori Amos, j'ai eu la chance de la rencontrer, de lui parler.
Je lui ai offert des petits livres que j'avais fait en micro édition.
Et c'était super. J'ai eu la chance de lui dire merci, ce que j'ai
toujours voulu dire à Janis. Juste se connecter sur ce « merci »
en vrai c'était magique (sourire, des étoiles dans les yeux). Je
trouve ça très important d'honorer ce sentiment de gratitude qu'on
peut avoir envers les autres. Artistes, famille, amis, parfois même
un client. Pour moi, c'est une valeur importante.
Rêvons cinq
minutes. Si je te dis, ce soir on va voir Janis en concert. Comment
tu imagines la chose ?
Lucie : Oh la
la… Je ne sais pas, ça serait tellement fort. C'est là que je me
rends compte que dans le livre j'ai quand même répondu à pas mal
de mes questions. Ado, j'étais vraiment fascinée par l'idée de la
voir. Et j'avais très peur qu'elle me trouve conne. J'aurai de
l'appréhension je pense (elle réfléchit). Je pense que j'aurai
envie de pleurer, d'excitation, de joie. Cela m'a mis dans tout mes
états quand j'ai découvert que ma prof d'anglais l'avait connue
personnellement. J'ai trouvé ça complètement fou. Je ne sais pas
dans quel état je serai… Peut-être que Janis donne des concerts
au paradis ? Si on va au paradis, c'est encore autre chose…
Propos recueillis le
19/11/2016.
En dédicace le 9
juin au Supersonic (Paris, Bastille)
Et pour rappel notre
opération de crowdfunding :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire