28 juillet 2011, alors que le soleil fait une timide apparition, entre deux averses, en fin d’après-midi, nous nous dirigeons vers l’hôtel Eldorado où nous retrouvons Ablaye Ndiaye Thiossane. Charmant hôtel vintage, boiseries et photos de jazzmen en noir et blanc, l’endroit dégage un charme suranné qui convient parfaitement à notre interlocuteur du jour qui chante depuis les années 50. Calmement installé dans un petit local au bout d’une cour pavée et ombragée, ce dernier est plongé en pleine lecture d’un magazine des années 60 à notre arrivée…
C’est un vieux magazine que tu es en train de feuilleter…
Ablaye Ndiaye Thiossane : Je l’ai trouvé ici. Je regardais les musiciens, James Brown…
Et tu les aimes ces musiciens ?
ANT : Oh oui, Chuck Berry…
Tu sors ton premier album à 70 ans et tu fais tes premières interviews en France, c’est une drôle d’aventure tout ça…
ANT : Oh oui. Je suis très content d’être ici. J’ai tout fait dans ma vie, mais c’est aujourd’hui que Dieu m’a emmené ici en France pour sortir mon premier album. Je suis très heureux.
Tu es également dramaturge et plasticien. Qu’est-ce qui te plait le plus, créer tout seul dans l’intimité ou rencontrer le public ?
ANT : Ce qui me plait dans l’histoire de l’art, c’est la musique. Mais j’aime aussi la peinture. La musique c’est bien mais tant qu’on n’a pas sorti un album, c’est mal.
Mal ?
ANT : Oui par ce que tu n’auras pas d’argent pour nourrir tes enfants, pour la maison. La peinture, je peux faire un tableau et le vendre pour régler mes problèmes. Mais la musique... Je suis content d’avoir fait un album.
Tu es influencé par le jazz, la chanson française, les rythmes afro-cubains. A ton avis, la musique c’est un grand voyage ?
ANT : Tout à fait, c’est le voyage qui m’a emmené jusqu’ici ! Et je suis très content. Au commencement je chantais des airs traditionnels de mon pays (le Sénégal, NDLR). Mais j’écoutais aussi de la musique cubaine. J’aime le jazz, les chansons françaises. C’est ce qui m’a vraiment aidé à devenir chanteur.
J’ai lu dans ta biographie que tu avais découvert Tino Rossi, Duke Ellington et Harry Belafonte en écoutant la radio. Que ressentais-tu en écoutant la radio petit ? La radio représentait quoi pour toi ?
ANT : J’étais très jeune. Pour moi Tino Rossi c’était le meilleur chanteur du monde ! Je l’écoutais tout petit. C’a ma beaucoup encouragé. C’est là que j’ai commencé à chanter. Après j’écoutais ma mère qui me racontait les chansons traditionnelles. Les musiques arabes, hindoues, cubaines, j’ai connu tout ça grâce aux affiches de cinéma. Je copiais les affiches. J’ai pris les noms des acteurs, du réalisateur, du producteur… C’est comme ça que j’ai appris à écrire. Et c’est à cause de ça que je suis devenu chanteur. Et je suis très content.
Et tu es très souvent content dans la vie alors ?
ANT : Ah oui, oui. La vie je suis très content (rires) !
Et la radio alors, elle te faisait rêver ?
ANT (il opine) : La radio c’est bien. C’est comme quelqu’un avec un pot de fleurs qui arrose pour que les fleurs grandissent. Pour moi les journalistes de la radio « arrosent » la musique. C’est grâce à eux que les artistes deviennent célèbres.
Duke Ellington voulait jouer avec toi ?
ANT (il s’emballe) : Oui, oui. Mais j’étais très jeune, je ne connaissais pas Duke Ellington. A l’époque j’étais en pleine préparation d’un festival dans la banlieue de Dakar. On avait eu un budget du gouvernement, des radios, des haut-parleurs pour animer le festival. Et Duke Ellington voulait que chante avec lui à la Cathédrale de Dakar, mais j’étais très jeune, je me suis dit tant pis je vais aller animer le festival à la place. Après les festivités j’ai écouté les disques de Duke Ellington, j’ai vu son nom à la télévision et là j’ai pensé : « j’ai fait une grande erreur » (sourire)…
C’est un regret ?
ANT : Oui, oui, oui… Si je pouvais recommencer, là je travaille avec lui tout de suite ! Ca me pourrait me donner un très grand succès. Mais c’est Dieu qui l’a voulu comme ça. Il était venu à Dakar avec beaucoup de stars.
Sur le disque il y a cinq générations différentes de chanteurs qui sont représentées. Est-ce que tu en es fier ?
ANT : Oui beaucoup sont venus. Beaucoup de chanteurs n’ont pas eu la chance d’être soutenu comme ça.
Tu as commencé à chanter en 1952. Tu te souviens de cette époque ?
ANT : C’était bien à l’époque. Avant l’indépendance j’écoutais beaucoup Tino Rossi, Luis Mariano, Fernandel. Et Charles Aznavour. Très grand chanteur, j’aime ses chansons. Il est bien ! Il y a beaucoup de français à l’époque qui chantaient bien. J’ai oublié leurs noms, mais j’aimais les chansons. Vers 1952, 1953 j’ai vu le premier film d’Eddie Constantine avec Johnny Hallyday qui était jeune, très jeune. J’aimais les chansons et je me suis dit ça un jour je veux devenir un chanteur comme eux. Charles Aznavour je l’ai écouté à Dakar, au théâtre national. Johnny aussi est venu. Il y avait beaucoup de monde, c’était bien. Il chante bien lui aussi ! Yves Montand, Jacques Brel, c’est des gens que j’écoutais toujours tout le temps. J’aime aussi les chanteurs brésiliens, les films rock n’roll avec Bill Haley et Chuck Berry. J’ai aussi vu les Beatles à l’époque.
Les Beatles !!!
ANT : Les Beatles et moi on est devenu célèbres la même année : 1964 ! Moi aussi je suis devenu célèbre en 1964, mais au Sénégal ! A l’école des arts, j’avais crée un petit orchestre, tout le monde au Sénégal écoutait mes chansons. Mais je n’avais la chance de pouvoir faire un album à l’époque. De 1964 à maintenant. Et c’est maintenant que Dieu veut que je sorte un album.
Et comment ça c’est décidé, un premier disque après toutes ces années ?
ANT : Je crois que c’est Dieu lui-même qui a programmé les choses comme ça. Ca faisait longtemps que je devais sortir un album. Aujourd’hui est le jour que Dieu a choisi pour que je fasse un album dans ma vie. Et je pourrais peut-être un faire un deuxième après. Je suis très satisfait de l’équipe qui a été réunie pour encourager le disque. J’en suis très heureux.
Tu mentionnes beaucoup Dieu dans tes réponses. Tu es très croyant ?
ANT : Oui. Par ce que tout ça c’est Dieu, c’est grâce à lui. Moi je remercie toujours Dieu, mon père et ma mère. Je remercie aussi tous les gens qui m’ont aidé pour que je puisse être un vrai artiste.
Comment as-tu rencontré Ibrahima Sylla, Alain Josse et Medoune Diallo, du groupe Africando, qui ont beaucoup aidé ton projet ?
ANT : Au début je ne connaissais qu’Ibrahima Silla. C’est Medoune Diallo qui a parlé de moi à Ibrahima et à Alain Josse (qui ont produit le disque, ndlr). Ils écoutaient mes chansons depuis 1954 alors qu’ils étaient encore enfants. Le morceau avec Medoune Diallo c’est celui ou il y a beaucoup de chanteurs.
Quel genre de chanteur tu voudrais être ?
ANT : Je chante et après Dieu décide. Tino Rossi, j’aime tellement ses chansons. Des chanteurs j’en entends beaucoup, mais un gars comme Tino…
Et comment tu vois l’avenir ?
ANT : Il n’y a que Dieu qui sache mais je crois que cela va marcher…
Alors que l’on prend congé Ablaye replonge dans la lecture de son magazine pop vintage. Son regard s’arrête alors sur un portrait de Françoise Hardy : « elle aussi elle chantait bien »…
Propos recueillis le 28 juillet 2011.
www.myspace.com/thiossaneablaye
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