8 décembre, alors qu’une tempête de neige s’abat sur la ville, faisant ressembler toute tentative de déplacement à un enchaînement figures libres de patinage artistique, et que l’on fête le trentième anniversaire de la mort de John Lennon, nous avons rendez vous avec Shanka et Gaspard Murphy, le duo de guitaristes des Dukes (voir mon post du 31 octobre). Deux garçons très sympas, passionnés et très liés d’amitié depuis que l’un a donné des cours de guitare à l’autre. Notre entretien du jour débute avec Shanka seul avant que Gaspard ne débarque de l’aéroport la valise dans une main, la guitare dans l’autre…
Comment a débuté le groupe, au début il y avait toi et Greg dans No One Is Innocent ?
Shanka : Tout a fait. Avec Greg on s’est rencontré au moment de notre recrutement pour No One Is Innocent en 2004. On a fait plus de 150 concerts ensemble. On se connaît bien humainement, musicalement et scéniquement. On sait comment va réagir l’autre sur scène, c’est très drôle de rejouer avec lui maintenant, je retrouve des réflexes, des regards, des manières de fonctionner qui ont été rodées. Début 2010, beaucoup de choses se sont croisées de manière un peu improbable. J’ai reçu un email de Greg me disant : « Ca ne te dit pas de refaire du rock n’roll avec moi je m’ennuie un peu » et en même temps j’avais plein de morceaux en stock qui étaient inutilisés, assez pour faire un album. Et j’avais envie de bosser avec Magnus Lindberg, un producteur suédois que j’avais rencontré l’année précédente. Comme on est assez téméraires, on s’est dit « ouais on le fait » et on voit jusqu’où on peut pousser la blague…
Il y a un an le groupe n’existait pas, tout est allé très vite…
S. : Ca c’est le moins que l’on puisse dire… En moins d’un an on composé et produit l’album, on a trouvé des partenaires, on a déjà fait des concert à l’international en juin dernier. C’est même parfois un peu whaou... Ca donne le vertige.
Et cela ne te fait pas un peu peur…
S. Non parce que si tu veux pour un groupe, c’est hyper important qu’il y ait une dynamique. Surtout au jour d’aujourd’hui où on vit dans une société où la notion de flux est essentielle. Il faut tout le temps faire des petits trucs, des gros trucs. Il faut tout le temps qu’il se passe quelque chose. Donc au final c’est très bien. Et puis je retrouve l’ambiance que j’adorais du temps de No One, ça se fait vite, ça se fait bien et on travaille beaucoup. Dans une ambiance super détendue. Il y a vraiment un truc super positif qui se dégage de ce projet. C’est les alchimies humaines, tu ne peux pas les contrôler. Des fois tu mets des mecs super mortels ensemble et ça donne un résultat déprimant, où il ne se passe pas grand-chose. Et des fois tu réunis une équipe et bam ! Tout le monde rigole, tout le monde est content d’être là, ça se passe super bien et on ne fait pas semblant quand on joue… Une vraie dynamique de groupe s’est créée comme ça, spontanément…
J’ai lu que l’album a été enregistré en Suède par moins 25 degrés dans un ancien hôpital psychiatrique. Est-ce que tu peux nous en parler…
S. : Ouais (rires). Une ambiance très particulière… En fait Magnus, le producteur avec qui on a enregistré, est le batteur de Cult of Luna un groupe originaire d’Umea une ville d’où sont originaires pas mal de groupes cultes, genre Meshugga. Pourtant pour te donner un ordre d’équivalence, c’est une ville genre Nancy. Mais il y a un vrai truc artistique et assez chouette qui se passe là-bas. On s’est rencontré avec Magnus, on a joué, discuté et on s’est promis de bosser ensemble dès que l’occasion se présenterait. On réuni l’argent pour prendre l’avion, j’ai emprunté à mon père, à mon éditeur (Shanka est aussi l’auteur de plusieurs méthodes pour apprendre la guitare, ndlr). Un peu tout le monde en fait, j’ai fait tout mon répertoire. C’était une expérience unique, le lieu est incroyable c’était un hôpital psychiatrique énorme qui a été réhabilité, il y a des logements, une école maternelle et le studio. Et ils ont récupéré pas mal de matériel de l’hôpital. J’ai fait beaucoup de guitare avec un ampli qui à la base était utilisé pour faire des annonces. Et on a enregistré au milieu de l’hiver le plus froid depuis 20 ans, c’était (il cherche le bon mot) lunaire… Post apocalyptique, mais en même temps c’était chouette et je pense que c’est un truc que je ne retrouverais jamais ailleurs…
Et penses-tu que cette ambiance s’entend dans la musique ?
S. : Complètement. Il y avait un vieux piano, du début du siècle, qu’ils avaient gardé volontairement désaccordé et qui sonne vraiment d’un autre monde.
Est-ce que tu pourrais nous parler de « Wayfaring Stranger », une chanson country-folk qui n’est pas sur l’EP ?
S. : Moi j’ai beaucoup d’influences country et folk qui ont été déclenchées par la rencontre avec Elliott (Murphy, ndlr) il y a maintenant presque 10 ans. Mes parents écoutaient pas mal de folk donc j’ai été sensibilisé avant de tomber très vite dans le rock voire même le métal à l’adolescence. Ca faisait longtemps que je ne m’étais pas rapproché de ce style. Avec ma copine on a fait un voyage à Nashville où on a appris pas mal de trucs. On a rencontré plein de monde. C’est un style que j’ai vraiment cherché à comprendre en profondeur aussi bien musicalement que sociologiquement. Le contexte quotidien, c’est comme le blues, c’est une musique qui est très terrienne que l’on joue sur le parvis de sa maison. Moi en tant que chanteur il faut que je raconte quelque chose, je ne peux pas juste mettre des clichés bout à bout, je le vivrais mal. J’ai plongé dedans parce que c’est là que ça se passe, au même titre que le blues où la musique africaine avec les griots. T’es là avec ta guitare, comment tu rends le truc intéressant ? Comment t’arrives à happer les gens dans ton univers ? Comme tout le monde je traîne sur you tube à la recherche de pépites et j’étais tombé sur la reprise de « Wayfaring Stranger » par Jack White qui la reprend de façon bluegrass, banjo et violons. Moi je ne connaissais que le standard dans une version différente. C’était vraiment chouette, ça m’a beaucoup touché et je me suis dis que cela serait rigolo de boucler la boucle et en faire une reprise version power rock à la White Stripes.
Gaspard, tu es arrivé après la formation du groupe, comment t’es-tu greffé sur le projet ?
Gaspard Murphy : Je connais Shanka depuis que j’ai douze ans environ, c’était mon prof de guitare. Après un an de cours, c’est devenu plus un ami, un grand frère qu’un prof. Faire de la musique avec lui, c’était un rêve de gosse. Quelque chose que j’avais envie de faire depuis super longtemps. Quand il m’a proposé de faire les Dukes avec lui, c’était une super occasion et j’ai sauté dessus.
S. : Gaspard s’est greffé sur le projet parce que je me suis rendu compte que j’avais assez de morceaux pour faire un album. On a arrangé les chansons ensemble. Maintenant que le projet est sur les rails, si on refait un disque, c’est évident, Gaspard prendra une part à la composition plus importante.
Gaspard, malgré le fait que tu sois assez jeune, tu as un vécu musical important, je pense notamment au concert de Bruce Springsteen au Parc des Princes…
G.M : Je ne m’y attendais pas du tout. Bruce est un très bon ami de mon père (Elliott Murphy, ndlr). C’est quelqu’un de formidable, je pourrais en parler pendant des heures… Bref, ce jour là, on était dans les loges au Parc des Princes et comme d’habitude mon père et Bruce regardaient la setlist pour voir quel morceau ils pourraient jouer ensemble. Bruce à dit à mon père : "j’aimerai bien que tu joues « Born To Run » avec moi". Ils l’avaient déjà jouée ensemble il y a deux ans à Bologne, alors que mon père ne connaissait absolument pas le morceau. C’est tout Bruce de faire monter des gens complètement par hasard sur une chanson qui en plus n’est pas la plus simple de son répertoire. Et moi qui étais excité à l’idée d’assister au concert, j’avais appris « Born to run » tout seul dans ma chambre et j’ai passé l’après-midi à la jouer sans penser une seule seconde qu’il y avait une possibilité de la jouer avec lui le soir. Mon père a dit à Bruce qu’il ne connaissait pas assez cette chanson et qu’il ne pouvait pas la jouer. Et moi j’ai à mon père, je la connais je peux te l’apprendre. Et quand Bruce m’a entendu dire que je la connaissais il m’a dit que je pouvais jouer avec eux. Et voilà !!!
Et ensuite…
G.M. : Bah moi j’ai dit oui. Mais c’était un peu stressant. J’avais le cœur qui battait très fort. Mais c’est marrant par ce que je pense que ce soir j’aurais beaucoup plus peur. Ce coup-ci c’est mon groupe. Et puis au Parc des Princes, il y a quoi ? 40 000 personnes ? Quand il y a autant de monde on ne se rend pas vraiment compte, c’est un peu irréel, on a l’impression de jouer devant un écran. On dirait un faux public. T’es trop loin pour voir les expressions des gens, ce qu’ils regardent, ce qu’ils pensent… C’est plus facile d’être à l’aise sur une énorme scène comme ça.
S. : Je suis assez d’accord. En fait si tu veux le public cesse de devenir un ensemble de gens au-delà d’un certain nombre, chacun fixe sa propre jauge. Il y a un moment où cela devient une masse. Un espèce de truc qui est vivant, qui réagit, fait des vagues. C’est marrant, ça devient presque de la physique des particules. C’est très amusant.
G.M : Et en plus les fans de blues sont à fond tout le temps, ils ne vont pas se mettre à huer. Mais je sais que pour moi, jouer un morceau tout seul devant un ami qui va me demander de lui faire de la guitare, moi, c’est un truc qui va me pétrifier dix fois plus que de jouer sur scène avec Bruce Springsteen. Enfin bon voilà, c’était une super occasion. Vraiment sympa.
Pour en revenir au groupe vous avez la réputation de composer assez vite…
S. : C’est plutôt flatteur. Ca vient des influences folk. Je n’ai pas envie d’enchaîner les riffs super compliqués à la guitare, histoire de montrer ce que je sais faire par ce qu’au final cela ne m’a jamais vraiment intéressé. Pour moi la pépite d’or c’est de trouver la bonne alchimie entre la guitare et la voix. Le gimmick de voix et les bons accords. Au final je n’ai même pas l’impression de composer. Je trouve ça d’une prétention… Typique de l’être humain de dire : « moi je compose, je crée… » J’ai l’impression que les chansons, elles sont juste là dans l’air. Il faut arriver à les choper, les écouter, les découvrir… Un peu comme d’être sur un terrain vierge et là tu creuses. T’as l’impression qu’il y a plein de super tubes potentiels qui sont dans l’air et à force de chercher tu finis par en trouver. C’est super ludique.
G.M : Moi quand je compose j’ai l’impression que le plus dur ce n’est pas de trouver ce qu’il faut jouer mais ce qu’il ne faut pas jouer. En fait le plus difficile c’est d’enlever des notes. Surtout pour Shanka et moi qui ont, à un moment donné, été fascinés par les trucs rapides, le métal et tout ça. Pour moi le challenge c’est de trouver la limite où je dois m’arrêter, savoir quand j’en mets trop. Ce que j’ai vraiment appris en Suède quand on enregistrait l’album c’est de faire quelque chose de simple et d’efficace.
S. : Le truc c’est que à un moment donné, plus tu en mets, plus tu caches l’absence de propos. Après je ne suis pas non plus apôtre du minimalisme à tout prix. Il faut aussi se faire plaisir, par ce que c’est fun d’en mettre partout, mais trop, tu noies le poisson. Il faut trouver le juste équilibre, comme toujours.
G.M : Quand tu es musicien, les idées elles viennent tout le temps que ce soit pour le chant ou la musique. Je ne m’assis jamais à ma table en me disant tiens je vais écrire un morceau. Après, c’est juste de la mise en place.
S. : En fait pour répondre à ta question, une fois que j’ai trouvé les gimmicks de chant et de guitare, c’est l’autoroute. C’est pour ça que cela va très vite.
Dans les années 60 on disait que le Velvet Underground composait de bonnes chansons avant d’expérimenter en studio. Est-ce que les Dukes composent des chansons pop et passe en mode punk au moment de les enregistrer ?
S. : C’est un peu ça. Magnus avait sorti l’expression : « sweet songs with unsweet sounds » que je trouve assez chouette. C’est assez bien résumé. Mon intention de départ, c’est d’arriver à jouer des chansons qui ne parlent pas qu’à un seul type de personnes. Sans rechercher l’universalité non plus, sinon je serais Lady Gaga (rires). Je ne veux pas des formats abscons que seuls les fans de madcore peuvent comprendre. Je n’ai pas vocation à aller dans les niches. Il ne faut pas qu’il y ait trop d’obstacles en termes de gimmicks de style, genre la double pédale dans le métal. J’essaye vraiment d’enlever tous les clichés de style par ce qu’en fait ce ne sont que des réflexes faciles. Une fois que tu es arrivé au fond du fond, là tu reconstruit. Et tu trouves des trucs originaux. De partir d’une page blanche, de monter le truc en sauce petit à petit pour arriver à des arrangements inattendus.
G.M : Les Beatles avaient dit : « si un morceau est bon, tu n’as pas à expliquer pourquoi ». On a eu des plusieurs bonnes surprises sur certains morceaux, des arpèges de guitare très aériens, supers beaux. Shanka avait essayé un truc moi j’en ai rajouté encore par-dessus. L’expérimentation vient comme ça, après, sur une base qui est solide au départ.
L’EP a une tonalité assez âpre, ancrée dans les années 90. Sur « The Laughter » il y a un effet qui déforme la voix…
S. : C’est un vocoder. Il y a peu c’était encore formellement interdit par la police du bon goût ! On a failli avoir une descente (rires) ! C’est marrant parce que le gimmick s’est imposé comme une évidence alors que le vocoder, c’est quand même super limite. C’est un truc t’as vite fait de tomber dans le cheesy total. C’est une chanson sur la déshumanisation à cause d’internet où tout le monde passe son temps à se foutre de la gueule les uns des autres. Le vocoder a un côté très froid qui colle bien avec le thème. On a essayé avec des vraies voix et ça rendait moins bien. Il n’y avait plus ce côté impitoyable qu’apporte le vocoder, qui fait froid dans le dos.
G.M : Dès les premières démos il y avait déjà le vocoder et cela m’a tout de suite plu. Alors que le vocoder… Tu sais que tu ne dois pas aimer. Tout peut être bien si c’est fait avec goût, dans le bon contexte…
Un plaisir coupable…
S. : C’est toujours pareil. Peu importe le moyen du moment que c’est une bonne idée. Il n’y a pas de snobisme à avoir par rapport à l’instrument. Il ne faut pas trop réfléchir.
Est-ce que l’on peut parler de votre attitude « DIY acharné » ?
S. : Depuis le début, ce projet on l’a monté sans aucune aide du milieu de la musique. Si ce n’est « nous production », un tourneur assez important qui nous connaissait par ce que l’on n’est pas « des lapins de six semaines » comme dirait Greg, le batteur. On a commencé par faire nos poches pour enregistrer l’album. Ecouter une démo aujourd’hui c’est quelque chose qui n’existe plus. En gros il faut arriver : « voilà notre album, t’en veux ou pas ?». Après on a eu le partenariat avec Oxbow, trouvé par Greg. C’était une tournée assez chouette tout le monde y gagne. Nous on y gagne au niveau exposition. On a eu des titres sur leur téléphone. C’était au moment ou ils finissaient un film de surf avec toutes leurs têtes d’affiche, Laird Hamilton etc… Ils ont placés des titres à nous dans le film. Ils ont fait venir toutes les super stars du surf en Europe, on a joué avec eux. Ils projetaient le film, on jouait derrière. De fil en aiguille on s’est acoquiné avec PIAS qui suivait le projet. On a sorti l’EP. On gros on fait tout de A à Z. On n’a pas de manager, on n’a pas de label derrière. Ce qui est plutôt intéressant, même si on ne va pas le faire pendant 20 ans non plus. On ne gagne pas d’argent et il faut bien que l’on paye nos loyers aussi. C’est plutôt gratifiant, le projet convainc beaucoup de monde, personne ne nous refuse. C’est chouette, ça fait plaisir par ce qu’on a mis beaucoup d’énergie et de cœur dans le groupe. Si on veut que les choses soient bien faites autant les faire soi-même. C’est un système qui n’est pas facile par ce que c’est toi qui es à la barre et si tu te plantes, tu en subis les conséquences et la responsabilité.
www.thedukesmusic.com
Propos recueillis le 8 décembre 2010.
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