(c) F.M. |
Après quelques collaborations prestigieuses, Etienne Daho, Catherine Ringer, et des détours vers la musique de film, François Maurin, alias F.M, est de retour en tant qu'artiste solo avec son deuxième album « The Organ King ». Personnage déterminé, compositeur exigeant, F.M est également adepte d'une démarche étonnante préférant jouer avec un orchestre automate. Rencontre...
(c) Jean-Marie Vives |
Ton nouveau disque, TheOrgan King, est un concept-album autour de l'orgue. Pourquoi cet instrument en particulier ?
F.M. : Le disque
tourne autour de l'orgue et en même temps, l'orgue est parfois assez
discret. Avant de me plonger dans l'écriture, je me suis demandé ce
que je voulais faire. Sur mon premier album j'avais essayé de jouer
sur l'économie de moyens. Enlever ce qu'il y a de plus flagrant dans
la musique pop-rock, la batterie, pour trouver des ressources
harmoniques et mélodiques et vivre le rythme autrement, sans cette
artillerie-là. Pour le deuxième, j'avais envie de laisser couler
tout ce qui me venait en matière d'instrumentation. Et il se trouve
que l'instrument dont j'ai toujours rêvé, c'est l'orgue d'Eglise.
C'est l'instrument roi dans la mesure où il est susceptible de jouer
toutes les parties d'un orchestre. Conceptuellement l'orgue est, en
réduction, tous les instruments. C'est ce qui m'a donné le titre
The Organ king. D'autant qu'à cette époque là j'étais assez
tourné vers les sources du rock n'roll. The Organ king, il y avait
aussi l'idée du King, Elvis (il claque des doigts). Je n'ai pas fait
un vrai hommage à l'orgue, mais une série de clins d’œils. Dans
chaque titre se cache un orgue, comme un fil d'Ariane assez discret.
Je vois plus l'album comme un voyage spatio-temporel, un voyage dans
le temps des années 1950 au début des années 1980 à travers la
France, l'Angleterre. Comme un condensé de cette petite histoire de
la musique.
Du coup j'imagine que tu as une collection d'instruments assez importante ?
F.M : Je n'ai pas
les instruments chez moi. Pour réaliser l'album, je suis allé un
peu partout en France, à Nantes pour enregistrer des cuivres, dans
une chapelle pour enregistrer des cœurs et un orgue, en studio pour
les cordes. Je ne me suis mis aucune limite dans l'instrumentation.
Comme j'ai auto-produit l'album, j'ai tout réalisé avec mon
ingénieur du son, Edouard Brunet, mon acolyte et mon grand ami. On a
utilisé un studio mobile, pour enregistrer tout ce dont on avait
besoin, orgue de Barbarie etc... J'ai fait absolument tout ce que je
voulais, aucune barrière. Cela a pris le temps... Je ne voulais pas
me restreindre.
La tonalité du disque est assez nostalgique, « Holidays of my youth » notamment. C'était voulu ?
FM : La nostalgie
dont tu parles, c'est très certainement quelque chose d'assez
constitutif de ma personnalité. On m'a déjà fait cette réflexion
sur le premier album. Il y a toujours une distance par rapport au
sujet d'écriture. J'ai un rapport distancié, la pop finalement
c'est une musique assez étrangère pour moi. La pop c'est aussi la
langue anglaise, il y a toujours un filtre entre moi et la musique
que je joue. C'est cette distance qui rends les choses nostalgiques.
J'ai fait un album avec du matériel d'époque, c'est déjà un
espèce de regard en arrière. Même si on retrouve les couleurs et
les styles de l'époque, il y a tout un travail, comme une espèce de
néo-classicisme. Je retravaille les fondamentaux, je détourne les
harmonies pour en faire quelque chose de plus personnel.
Justement en parlant de matériel, est-ce que tu penses qu'utiliser des instruments anciens donne un supplément d'âme à la musique ? C'est, du moins, ce que j'ai ressenti en écoutant le disque...
F.M : Forcément,
comme beaucoup de gens, je m'agrippe à toute une culture qui fait
partie de nous, l'Amérique des années 50, la pop anglaise des
années 70... Il y a deux choses : le fait de travailler sur des
grains, des sonorités d'hier et le fait de travailler sur différents
genres musicaux. Le classique comme l'intrusion d'un orgue d’Eglise
dans un morceau doo-wop (Open the doors). On s'attendrait plutôt à
un orgue de jazz comme l'hammond B3. Si il y a un supplément d'âme,
il doit se trouver quelque part par-là.
Ton concept d'orchestre automate a dû demander un gros boulot de mise au point...
FM : Énormément
de travail. Déjà pour mettre au point le concept mécanique,
informatique... Il a fallu trouver des partenaires qui se sont
engagés dans une aventure très ambitieuse. C'est beaucoup de temps
et d'énergie. Mais c'était une aventure passionnante, j'ai
travaillé avec des corps de métiers assez différents, pas
forcément habitués à travailler ensemble, des roboticiens hi-tech
et des facteurs d'instruments anciens par exemple. Tout le monde
s'est mis à travailler autour de mon projet, il a fallu trouver une
synergie et mener tout cela.
Cela a changé quelque chose pour toi par rapport à un vrai groupe ?
FM : Ça joue
bien ! C'est quelque chose de différent certes. Depuis le
début, j'ai une idée très précise de ce que je veux entendre.
C'est pour cela que j'ai fait un premier album avec des musiciens
classique, ils pouvaient lire la musique que je leur demandais et ils
étaient habitués. Je suis un compositeur dans le corps d'un
chanteur rock, j'ai besoin d'entendre très précisément les choses.
Finalement l'orchestre mécanique, c'est une sorte d'extension de mon
jeu à moi puisque je met au point, une à une, toutes les parties
musicales qui vont être jouées. Ce n'est pas du tout la même chose
que jouer avec un groupe. Ceci dit, étant donné mon exigence un peu
maniaque quant à l'exécution, cela revient finalement au même.
Ça ne manque pas un peu d'interaction humaine ?
F.M : Moi comme
compositeur je passe mon temps sur des écrans avec des arrangeurs,
je fais des partitions qui sonnent avec des samples. Il y a peu
d'aller-retours. Maintenant avec ces machines, elles sont construites
de telle façon qu'elles réagissent parfois assez bizarrement aux
impulsions qu'on leur donne. Je me suis vu en train de me demander ce
que j'allais bien pouvoir faire des propositions musicales qu'elles
me faisaient. J'appuyais sur un bouton par erreur et il y avait un
shaker qui se mettait à tournoyer 360 fois : qu'est-ce que
c'est ça ??? C'est ça qui est drôle, je peux les dompter mais
elles peuvent faire des trucs absolument extraordinaires. En
bidouillant on arrive à faire des erreurs qui génèrent une musique
inouïe. Sur le plan rythmique, c'est comme jouer avec Steve Austin
(personnage principal de la série télé l'homme qui valait trois
milliards, ndlr) qui fait des propositions tout seul ! Il y a un
vrai jeu avec ces machines là. Moi j'ai tout dans la tête, il
n'empêche quand je répète avec elles, je peux te dire qu'on se
marre plutôt bien. Ça nourrit mon esprit en termes de créativité,
cela me donne plein d'idées. Le plaisir n'est pas exactement le même
qu'avec mon bassiste, Frédéric, mais ceci dit il y a quelque chose
d'extrêmement jouissif, un peu comme un savant fou qui a réussi à
faire marcher une formule. Quand ça fonctionne, c'est magique. Ça
m'épate à chaque fois, je n'en suis toujours pas revenu.
Et d'un point de vue rythmique, ce qui constitue le squelette d'une chanson, comment t'es-tu adapté au robot qui joue la batterie ?
F.M. : Je ne me
suis pas adapté. La machine réponds à tout les niveaux de vélocité
que l'on peut lui demander. Il y a 127 niveaux, on peut taper très
doucement ou alors comme un sourd au point de crever la caisse
claire. Il y a un niveau de nuance, je n'ai pas besoin de m'adapter,
je lui fais faire exactement ce que je veux à la vitesse que je veux
et il ne se plante jamais. C'est extrêmement musical.
Une autre de tes spécialités, c'est les arrangements. Comment sait-tu quand tu as fini un morceau ?
F.M. : L'idée
pour cet album, c'était de travailler comme avec un orchestre, il y
a des trames, des couleurs, des timbres musicaux, qui se marient.
Dans la pop, surtout en ce moment, on a plutôt tendance à faire le
vide autour de deux ou trois sons. Moi j'ai voulu faire un album
orchestral. Qu'on puisse entendre les choses simplement, ce sont des
chansons après tout, mais aussi quand on écoute bien, on peut
entrer dans les méandres des différentes couleurs, mixtures de
sons. A partir du moment où j'ai idée musicale, la chanson est
suffisamment mature dans ma tête. J'ai une idée, j'attends de voir
si je m'en rappelle encore le lendemain. Si je m'en souviens encore
une semaine ou un mois après, je sais que j'ai une chanson qu'il va
falloir que je fasse. Comme quelque chose d'obligatoire. Après je la
laisse se décanter. Elle s'impose toute seule. Il y a une évidence
qui se crée. Je fais beaucoup confiance à ma mémoire et aux
informations que mon inconscient va trier. J'entends la chanson mais
elle n'existe pas, la difficulté c'est de faire que dans la réalité,
la chanson soit le plus fidèle possible à ce que j'ai dans la tête.
Tu as aussi fait des bandes originales de film, comme « Versailles rive gauche » (réalisé par Bruno Podalydès, ndlr) par exemple...
F.M. : Quand on
travaille pour le cinéma, ce qui est intéressant, c'est d'avoir des
contraintes temporelles fixes. 22 secondes de musique par exemple.
C'est un exercice assez scolaire mais jouissif. J'aime bien les
contraintes. Il y a toujours un gageure dans mes morceaux. Je me dis
il faut que je fasse une chanson dans ce style, j'aime beaucoup la
variété, je me lance dans des challenges par rapport à ce qui n'a
pas encore été fait. Je n'aime pas me répéter, j'aime offrir le
plus possible.
Comment se créer une identité artistique en abordant autant de genres différents ?
F.M. : Pour moi
c'est naturel. Ce qui est difficile, c'est de faire comprendre qui on
est. Ça c'est vraiment dur. Moi, je sais exactement où je vais.
C'est dans le regard des autres que c'est le plus compliqué.
Propos recueillis le 30 septembre 2013.
Album « The Organ
King » disponible.
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