C’est dans les loges des voûtes que l’on a rencontré Joe et le guitariste du Ginger Accident Cédric (voir mes messages des 1er et 17 octobre 2010). Une loge minuscule aux murs noirs où règne un joyeux désordre entre costumes de scène suspendus, bouteilles et paquets de gâteaux vides. Joe, un personnage vraiment étonnant, « que l’on a déjà perdu trois fois depuis que l’on est arrivé en ville » (dixit l’équipe de Caravelle) et qui se nourrit « de mélanges bizarres » (d’après le cuisinier de l’endroit) mais charismatique et qui attire immédiatement la sympathie. Et qui semble tout le temps comme projeté d’un autre monde, d’une autre époque, un peu perdu aussi. Les deux musiciens semblent très liés et avouent un attachement sincère et profond à la musique. Assis sur notre chaise en ferraille, l’entretien peut commencer…
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Cédric : On s’est rencontrés par hasard sur une plage à Goa (Inde). J’étais en vacances avec ma copine et Joe nous avait trouvé une chambre. Il nous avait déposé dans un hôtel plutôt sympa. On l’aimait bien, il nous aimait bien aussi. On ne devait rester que deux jours à Goa. On est resté finalement beaucoup plus longtemps. L’histoire a continué…
Joe, qu’est-ce que tu as pensé la première fois que tu as vu Cédric ?
Slow Joe : La première fois que j’ai vu Cédric il jouait de la guitare à la plage. Une petite guitare à quatre cordes. J’adore la musique et tout de suite j’ai adoré le son de cette guitare. Il avait le sens du rythme, du beat. Et puis il ne se contentait pas de jouer, il chantait également. En fait, j’allais boire un thé et continuer ma journée. Je l’ai vu, il y avait sa femme à côté, une très très belle fille. Je me suis assis, j’étais fasciné par cette guitare. Une petite guitare à quatre cordes, je n’en avais jamais vu avant. Je suis resté assis. Quand il a terminé, je suis allé le voir et je me suis présenté. On s’est rencontré comme ça.
Cédric, qu’est que tu as pensé, la première que tu as entendu Joe chanter ?
Cédric : C’était à la plage, il y avait ma copine à côté et je lui ai dis : « Merde, il a une belle voix » ! (fou rire général). Il a pris ma guitare, mais il ne savait pas en jouer. Il tapait dessus comme sur un tambourin (il mime le geste). Il ne touchait pas aux cordes. J’ai pensé, merde, il chante bien !!
Le tout premier concert du Ginger Accident, c’était aux transmusicales de Rennes ?
Cédric : Faux ! On a fait deux chansons sur France Culture. Sur la route de Rennes, on s’est arrêté à Paris pour enregistrer dans les studios de la radio. Rennes est arrivé juste après.
Et à Rennes, 3000 personnes étaient dans le public…
Cédric : On a fait trois concerts. Le premier était à l’UBU, une salle de 300 places. Le deuxième concert a eu lieu dans un théâtre. Enfin le dernier concert était sur la scène principale, une grande salle de 3000 personnes.
Joe, tu avais déjà chanté en public avant (il a 67 ans) ?
Joe (laconique) : Oui.
Et comment c’était de chanter devant une telle foule ?
Joe (imperturbable) : Pour moi cela ne change rien. Principalement par ce que je chante avant tout pour moi. Enfin, ne me méprends pas, j’adore les gens qui viennent nous voir en concert. Mais je m’en fous qu’il y 5 ou 5000 personnes.
Joe, tu as chanté toute ta vie ?
Joe : Oui.
Tu as des chanteurs préférés ?
Joe : Elvis Presley ! C’est mon préféré depuis que je suis tout petit. Ray Charles, Frank Sinatra, Sammy Davis Jr, Ella Fitzegerald, Peggy Lee. Il y en a beaucoup en fait. C’est dur de faire des choix. Je ne peux pas choisir entre Presley et Ray Charles. Les deux chantent différemment et les deux sont fantastiques.
Cédric, comment tu as formé le Ginger Accident ?
Cédric : Au début, beaucoup de mes amis sont venus jouer sur la première démo que j’ai faite. J’ai aussi rencontré pas mal de monde qui est venu ensuite jouer sur l’EP, comme Lucas par exemple, le premier pianiste du groupe. Ensuite on a rencontré Chris, du studio 109 à Lyon qui nous a invité à enregistrer au studio. Le problème ensuite, c’est que beaucoup de gens se sont pointés. On ne savait plus qui choisir pour faire partie du groupe ! On a parlé à tout le monde, beaucoup d’entre eux étaient de bons amis et sont devenus d’encore meilleurs amis après ça. Mais bon, le groupe n’existait pas avant la toute première démo que j’ai faite chez moi.
Et dès le début, l’idée était de jouer du rock sixties ?
Cédric : C’était la première idée en effet. Par ce que Joe a connu cette époque. C’est un dinosaure (rires) ! Et comme on adore les dinosaures, on était heureux. On écoute tous Aretha Franklin et James Brown. On adore ces groupes psychédéliques et garage des années 60. C’est cette musique là qu’on voulait jouer. Mais c’est Joe qui nous a décidé pour de bon. Dans le groupe, tout le monde chante, tout le monde écrit, mais Joe incarne tellement bien cette période ! C’est du réel ! Il n’y a aucun intérêt pour nous les jeunes de chanter et jouer comme dans les années 60, ce n’est pas notre époque. Mais avec Joe, ça prend tout son sens, je suis tellement heureux de jouer ce style avec lui ! Quand nos chemins se sépareront, je ne jouerai plus de ce son, là…
Joe : J’ai joué avec beaucoup de groupes à Bombay. Beaucoup, beaucoup de groupes. Je connais de très bons musiciens, d’excellents professionnels. J’ai chanté avec eux. Ils m’aimaient bien aussi. Mais quand j’ai rencontré Cédric, quand je l’ai entendu joué sur la plage la première fois, et après quand j’ai connu les autres garçons, Alexis à la basse, Jocelyn à la batterie, Lucas qui était très bon aux claviers et qui a quitté le groupe et ensuite Denis qui l’a remplacé ; depuis ce jour, je sais une chose : je chante beaucoup mieux avec eux qu’avec aucun autre groupe que j’ai connu avant. C’est la vérité. Je ne chante pas aussi bien sans le Ginger Accident. Ces gars, Cédric et le Ginger Accident, c’est un don de Dieu pour moi. J’adore la musique, Cédric adore la musique. Jamais je n’aurai cru que j’aurai un jour des musiciens comme eux. C’est profond, je le sens jusque dans mes os (ils tombent dans les bras l’un de l’autre).
C’est la rencontre d’une vie ?
Joe : On peut dire ça, oui…
Cédric : Bien sur…
Alors Joe, tu dois être heureux de la façon dont sonne le Ginger Accident ?
Joe : Plus qu’heureux mec !!! Je plane !!! Très haut !!!
Joe, après avoir chanté pendant autant d’années, avant le Ginger Accident, arrivé à un certain point, as-tu déjà songé à tout laisser tomber ?
Joe (il s’emporte) : De quoi tu parles au juste ??? Explique-moi comment est-il possible pour moi de ne pas chanter ??? Hein !!! C’est impossible !!!! IM-PO-SSI-BLE !!!! C’est quoi cette question ??? (rires)
Cédric : Il faut comprendre un truc. La grosse différence entre Joe et d’autres musiciens, c’est que Joe n’a jamais attendu l’assentiment de quelqu’un. Jamais ! Il ne s’est jamais posé de questions sur sa voix ou sa façon de chanter. Il se contrefout de l’avis des autres. Il chante, c’est tout ! Il adore ça. Il n’a jamais voulu être une rock star. Il aurait pu. Mais c’est un branleur qui préfère traîner dans la rue. La carrière, il s’en fout ! Et le plus beau de l’histoire, c’est que maintenant il devient un musicien professionnel. Et il veut bien faire.
Joe : C’est lui le « man ». C’est mon gourou ! En Inde, le gourou c’est le maître. L’homme qui enseigne. Et pour tout ce qui est de la musique, c’est mon gourou !!!
Le tout premier disque du Ginger Accident est un 45 tours…
(en cœur) : OUAIS !!!!
OUAIS !!!! (rires) C’était un désir profond, de graver votre tout premier disque sur du vinyle ?
Cédric : Oui, ça nourrissait le projet. Et on avait besoin d’avoir quelque chose à vendre après les concerts. On s’est dit on s’en fout, on fait un 45 tours…
Joe : On avait rien à perdre…
Le premier album est en route ?
Cédric : Oui mais ne me demande pas quand… Mars, avril, mai… L’année prochaine…
Vous avez beaucoup de chansons de prêtes ?
Cédric : Pas mal ouais. Beaucoup de chansons, beaucoup d’influences aussi. Nos instruments sonneront comme dans les années 50 et 60. Mais on utilise les outils d’aujourd’hui, pro-tools, l’informatique… C’est merveilleux de bâtir un album comme ça. On aime les vieux sons, on n’est pas vieux pour autant. On est raccord avec notre époque.
Joe, qu’est-ce que tu connaissais de la France avant d’arriver ?
Joe : Napoléon Bonaparte ! J’ai rencontré des Français et je les ai trouvé très sympas. Il y a beaucoup d’humanité ici. Les Français ne sont pas comme tout le monde. J’aime bien…
Cédric : Tu connaissais aussi Alexandre Dumas.
Joe : Oui, Cyrano de Bergerac.
Cédric : Nous, on n’en connaît pas autant sur l’Inde…
Joe, si un jeune aspirant musicien venait te voir après un concert, que lui dirait-tu ?
Joe : Il serait le bienvenu. En fait tout dépend du gamin, de son expérience vis-à-vis des autres. En fait je devrais le connaître avant de lui dire quelque chose.
Cédric : Vas-y fais le !!!
Joe : Oui va voir chaque label, chaque maison de disque. Tu te pointes sans rendez-vous et tu leur dis. C’est ça que je veux faire. Allez, vas-y, fais le et au revoir !
Cédric, tu as été professeur ?
Cédric : Je le suis encore. Mais je ne donne plus que des cours privés. Pas plus. Comme ça, j’ai du temps pour le groupe.
Joe, tu as une vie et un parcours incroyable, quelle la plus grande leçon que la vie t’a apprise ?
Joe (il me regarde droit dans les yeux et lève le doigt, très solennel) : N’abandonnes jamais ! Si tu tombes sur un pont demandes-toi : « Ok, comment je traverse ? ». Traverse-le ce putain de truc ! Ne retourne pas sur tes pas. Ne recommence pas tout à zero. N’ABANDONNES JAMAIS dans la vie (il insiste). Quoi qu’il arrive. La vie n’est pas facile. La vie est dure, difficile. Mais ne pas abandonner te donne la force de prendre la vie comme elle vient et pas comme tu voudrais qu’elle soit. Tu vas y arriver !!!!
Propos recueillis le 14 octobre 2010.
Un grand merci à Joe et à Cédric pour leur patience et leur disponibilité, un grand merci également à tout l’équipe de Caravelle.
www.myspace.com/slowjoethegingeraccident
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