Le visuel est très
important dans ton univers artistique, donc j'imagine qu'un premier
clip est une étape importante...
Cléo T. : C'est
vrai, c'est pour ça qu'on travaille avec une équipe assez complète,
on a une styliste qui crée des pièces, un photographe qui imagine
des images... Je fonctionne beaucoup comme ça, même pour écrire de
la musique. Tout est lié à des couleurs, des photographies
mentales. C'est un moment clé. Je suis très influencée par le
cinéma et la peinture, qui est un encrage majeur pour moi. C'est
très intéressant de voir comment je vais me traduire en visuel, en
images, en rythme graphique.
Comment décrirais-tu
ton identité visuelle ?
Cléo (réflexion,
silence) : Attends, c'est très compliqué cette question... Je
dirais d'or, d'obscurité, de spleen et d'idéal. En citant
Baudelaire à la fin. Je pense que mon univers est très
expressionniste, proche de Klimt. Il empreinte autant au surréalisme
qu'au symbolisme par les intrusions de l'irréel dans le réel.
Toutes les traces de magie que l'on peut saisir. J'aime beaucoup le
doré et la couleur or qui était utilisée pour les icônes et
récupérée par l'art nouveau. Mon visuel c'est comme une capture
pour cristalliser quelque chose de sacré dans une image instantanée.
Quelle saison
mettrais-tu sur ta musique ?
Cléo : Le
printemps. Je suis quelqu'un des grands extrêmes. Le printemps c'est
cet instant magique où toutes les fleurs que tu croyais mortes et
ratatinées par l'hiver reprennent vie comme si il ne s'était rien
passé. Les arbres se réveillent toujours de plus en plus beaux et
grandis. Le printemps te donne une raison de croire en la magie. La
vie revient entièrement dans quelque chose qui n'existait quasiment
plus...
Une couleur pour
définir ta musique ?
Cléo : L'or.
C'est pas une vraie couleur, je sais, je triche (rires)... C'est la
couleur de l'immatériel, c'est ça que je trouve très beau.
Quel est le meilleur
moment de la journée pour écouter tes disques ?
Cléo (pensive) :
C'est dépend si on est du soir ou du matin. Très tard dans la nuit
ou très tôt dans la journée, c'est en fonction du rythme de
chacun. Je pense que le meilleur moment c'est celui où on est un peu
en décalage. Soit par ce qu'on rentre très tard et que les gens
sont déjà partis. Ou quand tu te lèves très tôt en surprenant
tout le monde et en croisant les noctambules. Ces instants de
transitions, là je pense que c'est le bon moment.
Ta chanson « We
all » est présente sur les deux Eps, c'est ton titre
emblématique ?
Cléo : Elle sera
même sur l'album figures-toi (rires) ! Oui, complètement.
Les deux eps annoncent l'album qu'on a enregistré entre 2010 et 2011
et qui n'est pas sorti. Il faut avoir conscience qu'aujourd'hui, un
premier album pour un artiste qui vient de nulle part, c'est long
pour le faire exister. On a eu la chance d'avoir collaboré avec de
grands Messieurs comme John Parish (producteur de PJ Harvey, ndlr) ou
Robert Wyatt (leader des mythiques Soft Machine, ndlr), qui m'a écrit
une poésie pour que je la mettes en musique sur l'album. Par rapport
à eux, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire
exister le disque proprement. Pas juste le sortir comme ça. C'est un
long travail. Le public patiente un peu. Nous aussi. Le disque sort
dans différents pays avec des partenaires un peu disséminés. On a
un parcours iconoclaste, absolument pas traditionnel. Le disque sort
à l'étranger avant de sortir en France. Les eps c'est une stratégie
pour préparer la sortie du premier album. C'est pour que les gens
nous connaissent, connaissent notre musique. On prépare le terrain.
C'est dur de faire sortir un album. Ça prends du temps mais je pense
que c'est du temps de gagné.
Je voulais justement te
parler de John Parish, c'est un personnage légendaire. Comment tu
l'a rencontré ? Quel a été son apport ?
Cléo : Il est
formidable ! Déjà c'est un ancrage de confiance. C'est dur
quand on écrit tout seul. On ne sait pas du tout ce qu'on fait, on
marche à l'aveugle. John m'a suivie depuis ma première démo seule
au piano avec mon oiseau qui chante derrière. Il a tout écouté. Ça
a été un guide qui m'a accompagnée assez silencieusement. John est
quelqu'un d'assez silencieux, majestueux et solennel. C'est un port
d'attache, quelqu'un de confiance qui marche à mes côtés. Du coup
j'ai pu arriver à l'album en sachant qu'il y avait quelqu'un
derrière qui allait capter les bonnes choses. C'est dur
d'enregistrer la musique. On a tout enregistré en live, c'était mon
envie, sans jamais rien retoucher aux chansons. Et John c'est la
personne qui était là pour capturer le moment. L'essence d'un
morceau peut tout aussi bien se perdre. Tu peux recommencer tant que
tu veux, jouer très bien, garder une prise parce que la guitare est
mieux et au final tu n'auras pas la chanson. John réussit à créer
les conditions pour garder l'essentiel. Moi j'adore l'album, parce
que c'est mon premier et aussi parce que John a capturé qui je suis
à ce moment là. C'est un fragment de moi et de ma vie. Je lui dois
beaucoup. Je trouve ça superbe.
C'est presque de la
photographie non ?
Cléo : Oh oui,
c'est de l'image instantanée. C'est ce que j'aime aussi dans le
cinéma de Lynch par exemple. Cette sensation de capturer un instant.
Comme dans les rêves. T'as des fragments de rêves qui sont
tellement concrets. Et après dès que tu veux le raconter à
quelqu'un tu ne trouves pas les mots. C'est pas possible. Pourtant
l'image à l'intérieur de toi elle est très claire. Cet album c'est
un peu ça pour moi.
Et Robert Wyatt ?
Cléo : J'ai chez
moi un vieux secrétaire dans mon entrée qui recèle toute une
correspondance très rigolote que j'ai avec Robert Wyatt depuis 4 ou
5 ans. J'ai commencé à lui envoyer mes chansons, mes textes. Je lui
avais donné une vieille démo quand je l'avais rencontré. Il m'a
appelé et m'a laissé un message complètement lunaire. Il avait
reçu plein de démos et avait mis six mois pour tout écouter. La
mienne lui avait beaucoup plu et il voulait me parler. On avait eu un
échange magnifique. Il m'avait parlé des oiseaux migrateurs, des
particules dans l'air et de tout ce qui nous constitue. Depuis ce
moment là on n'a pas arrêté de s'écrire. On s'est envoyé des
dessins, des collages, des petits poèmes, des choses comme ça.
D'avoir ses retours sur mes chansons c'était extrêmement important
et très touchant. Et donc il m'a envoyé une enveloppe vide avec
écrit au crayon de papier dessus un texte qui racontait notre
histoire imaginaire et la manière de le mettre en musique. C'est
devenu une chanson de l'album.
On parle de John Parish
et de Robert Wyatt mais finalement ta musique n'est pas très rock...
Cléo : En fait je
pense que je suis à la croisée de pas mal de choses. Sur scène
notre concert est assez punk. Dans l'énergie ça va plus loin que le
rock.
Je l'ai senti sur « We
all », il y a une accélération de guitare sur la fin...
Cléo : Oui. Mais
en concert on est très proche du cabaret, quelque chose de très
électrique. J'aime beaucoup l'idée que la musique soit polymorphe
car en fait elle vit avec nous, elle évolue tous les jours. Ma
musique est très versatile, un peu comme moi. Elle peut aussi bien
aller dans la chanson populaire. Il y a des morceaux très rock mais
sans vraiment appartenir à la scène rock. C'est un peu curieux
c'est vrai (sourire). Moi j'ai écouté beaucoup de musiques
différentes. L'industriel par exemple. Je suis une très grande fan
de Einstürzende Neubauten. De Schubert aussi. Dans toutes ces choses
que j'aime pour moi il y a un sentiment commun que j'arrive à
reconnaître. Comme un herbier personnel. Gustav Mahler et Screamin'
Jay Hawkins côte à côte (sourire).
Ce que je trouve génial
c'est qu'on entends aucune de ces influences sur le disque (rires)...
Cléo (rires) :
C'est vrai ! C'est un peu curieux, parfois tu te dis on va faire
une chanson un peu comme ça et puis en fait ça ne marche jamais. Je
ne sais pas le faire. J'aime tellement de choses différentes, je
suis une grande fan de free jazz, Charlie Haden et tout... En plus je
ne suis pas une musicienne instrumentiste qui peux te composer des
chansons « à la manière de ». Je trouve assez magique
d'accepter à un moment donné que tu fais la musique que tu peux
faire. Le vrai travail c'est de rester juste par rapport à toi-même
et ton expression. Moi-même je suis assez souvent surprise quand
j'écoute mes chansons. Le résultat est toujours différent de ce
que tu espères. Je trouve ça assez beau. Tu donnes vie à quelque
chose qui est une partie de toi mais que tu ne contrôles pas. Le
pari est là : il faut s'auto-hypnotiser et voir ce qui va en
ressortir sans volonté véritable. Ne pas chercher à faire un truc
un peu blues par exemple. Donc je digère tout ça et après je me
« check up » (rires). Les choses ressortent et je ne sais
pas trop comment...
Tu voyages beaucoup, tu
fais une carrière européenne. Ce n'est pas donné à tous les
artistes français, notamment à Londres qui est en général une
destination assez compliquée...
Cléo : C'est
vrai, on a de la chance. C'est même curieux quand on regarde la
liste de nos concerts, on est plus souvent à l'étranger qu'en
France. Ça devient bizarre. Et je ne sais pas quoi à c'est dû.
J'ai des points d'accroches à l'étranger, chaque année on fait 25
dates en Italie et peut-être deux concerts en dehors de Paris. C'est
assez disproportionné. Je ne sais pas... Pour moi c'est naturel,
nous on va là où il y a des gens qui ont envie de nous écouter. Ce
n'est pas forcément volontaire de s'exporter. On fait des rencontres
et après quand on nous fait une proposition et bien on y va. Là
cette année on va être beaucoup en Allemagne, en Italie et en
Angleterre.
Tu aimes la vie en
tournée ?
Cléo (affirmative) :
J'adore ! On a un superbe camion en général jaune assorti à
mon canari, mais par contre le canari ne vient pas (rires) ! Ca
a le cœur fragile ces petites bêtes ! L'enregistrement ce
n'est qu'une toute petite partie de mon travail. Moi, ce que j'aime
c'est jouer, je suis quelqu'un du spectacle vivant. J'aime cette vie
de bohème. Trois mois par an, on dort à six dans un gros fourgon,
on campe un peu partout, on joue 22 concerts en 23 jours, on rentre
puis on repart. C'est fantastique. Ça permet de te décentrer. Quand
tu es de Paris et que tu joues en ville, tu as un rapport
particulier. On arrive au fin fond de la Sicile dans des villages
perchés en haut des montagnes, les rues sont désertes à 20 heures
et à minuit il y a plein de gens qui arrivent voir ton concert. Ils
ne te connaissent pas. Tu arrives dans l'arène. Les spectateurs sont
là : « Ok, qu'est-ce que tu as à nous montrer ?».
C'est magique. Des rencontres complètement pures. L'échange est
fantastique. Des vrais parcours initiatiques musicalement et
humainement.
Tu apprends aussi sur
toi ?
Cléo : Ah oui !
C'est fantastique ! On rencontres des gens. Les gens qui nous
accueillent, c'est assez génial. En Allemagne on s'est retrouvé à
jouer sur un navire de guerre est-allemand qui a été récupéré
par un groupe d'anarchistes qui naviguent entre Amsterdam et
Hambourg, c'est des gens insensés. Tu as beaucoup de choses à
apprendre. C'est une vraie chance, grâce à la musique, de
rencontrer et d'apprendre d'autant de gens. C'est fascinant. C'est
très fatiguant aussi et pas excellent pour la santé (rires) !
Quand je t'écoute, je
trouve que tu as une façon de chantée très expressive, passionnée
et lyrique...
Cléo : C'est mon
côté italien ça. C'est du théâtre. Moi tu sais, je suis comme un
oiseau, je me lève, je chante. Depuis que je suis petite (rires) !
C'est en moi.
Que faut-il pour
poursuivre un rêve artistique comme le tien ? Du courage ?
De l'abnégation ?
Cléo : Beaucoup
de foi. J'ai été bien dotée, j'en ai en grande quantité. Pas dans
le sens d'acharnement. Pourquoi on fait ce qu'on est en train de
faire dans notre vie ? A partir du moment où tu te poses la
question, ça devient compliqué. Moi je marche. J'avance. Après
dans le détail, il faut beaucoup de courage, de la persévérance,
de la santé, par ce que les tournées c'est costaud.
Tu doutes parfois ?
Cléo : Tout le
temps. Il le faut. Je suis très versatile. J'aime marcher sur les
précipices. Quand tu acceptes de descendre très très bas ou au
contraire de monter sur des crêtes très arides, tu peux toucher à
des sensations uniques. Il faut savoir se remettre très violemment
en question, ouvrir son cœur et regarder dedans. Sans avoir honte ou
peur. En l'acceptant. C'est sur que c'est beaucoup plus facile à
dire qu'à faire et que là c'est parce qu'il fait beau et que j'ai
passé une excellente journée (rires) ! Il y a des fois c'est
beaucoup plus compliqué. Mais c'est cette intransigeance par rapport
à toi qui est nécessaire. Parfois tu trébuches mais il faut se
relever.
Et que faut-il pour
monter sur scène, de l’exhibitionnisme ?
Cléo : Du whisky
déjà, c'est très important ! (rires). Après des supers
musiciens, et moi j'ai une équipe en or. Il faut beaucoup de
confiance et beaucoup d'amour. Et beaucoup de désir. En même temps
c'est tellement excitant la scène que tu en as forcément.
Un petit mot sur le
cabaret pour finir ? Je crois que c'est une influence importante
pour toi ?
Cléo : J'adore.
Je suis quelqu'un du théâtre aussi. J'adore le spectacle. Ce que
j'aime dans le cabaret c'est la scène : il s'agît d'un petit
lieu clos dans lequel on peut créer un espace magique. A l'intérieur
on peut partir n'importe où. C'est ce qu'on essaye de faire avec
notre spectacle, créer une sorte de micro-temple dans lequel toutes
les folies possibles peuvent arriver. Et j'aime l’exubérance du
cabaret, j'aime la folie. J'aime surtout la volonté affirmée de ne
pas être dans le réel. Ça ne m'intéresse pas trop moi d'être un
miroir de la réalité. J'aime l'idée d'être en danger et d'aller
chercher loin des choses. Je pense que c'est le meilleur moyen de
toucher les gens.
Tu utilises souvent les
mots « magie » ou « magique » ?
Cléo : C'est
parce qu'il fait beau (rires) ! En même temps ce sont de très
jolis mots. Je trouve que la musique c'est de la sorcellerie. Un
rituel dans le bon sens du terme. D'ailleurs dans plein de sociétés
la musique est utilisée comme un accessoire de la magie. C'est forme
de transe pas forcément dans le sens rythmique. Mais la musique à
cette puissance d'invocation d'ouvrir des portes vers d'autres
endroits, pas forcément réels d'ailleurs. Je ne pense pas que l'on
entre dans une autre dimension en venant me voir en concert. Mais je
pense que chacun dans son rapport à la musique peut avoir accès à
de l'invisible. Pour moi, c'est le processus de l'art. C'est pour ça
que j'aime la peinture, je suis comme aspirée par la couleur. Et on
en revient avec des choses fantastiques dans les yeux et dans la
tête. Et ça c'est magique (rires) !
En concert le 26 mai à Paris (le divan du monde 1ere partie Gabby Young & Other Animals)
Propos recueillis le 23
septembre 2013.
Un grand merci à Cléo
pour sa gentillesse et sa disponibilité.http://cleotmusic.com/
https://it-it.facebook.com/cleotmusic
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