Quelques heures avant une prestation d'anthologie, Arnaud Rebotini, leader de Black Strobe, répond à
quelques questions entre le dîner et la sieste réparatrice d'avant
concert. Rencontre dans les loges du Fuzz'Yon (spacieuses et beaucoup
plus confortables que celles des salles parisiennes dans lesquelles
on a l'habitude de traîner nos guêtres) à La-Roche-Sur-Yon.
Il y a eu Zend Avesta dans les années
1990, tes albums solo (« Music Components »), la bande
originale d'Eastern Boys (film de Robin Campillo), Black Strobe c'est
ton côté rock ?
Arnaud Rebotini : Visiblement oui.
Jazz aussi (sourires).
Black Strobe a beaucoup évolué depuis
les débuts avec Ivan Smagghe...
A.R : Il a complètement changé
même. L'album précédent (« Burn your own church »,
ndlr) date de 2007, l'évolution vers un son moins typé
électronique/dancefloor s'est effectuée il y a un petit moment. On
a continué dans cette voie là, on a creusé le côté blues qui
était apparu sur « Burn your own church ».
Justement ce nouveau disque (« Godforsaken roads »), on peut difficilement le
qualifier d'album blues à proprement parler. Pourtant cette
influence rôde, plane au dessus de la musique en permanence...
A.R (il approuve) : J'adore cette
musique, la country également. Après pour nous, groupe français
avec un background électronique, faire un disque de blues, comme
peuvent le faire les Américains, ça n'avait pas de sens. L'idée
c'était plutôt de faire une sorte de fusion avec quelque chose qui
nous soit propre. Un peu comme un western spaghetti. Du blues avec
toutes ces thématiques, ultra fantasmées, mais à l'européenne.
Un titre en particulier a retenu mon
attention : « Blues fight ». L'intro est assez
disco, après il y a une attaque presque metallique des guitares et
le titre se termine avec une coda totalement abstraite. Finalement
tout Black Strobe est résumé là, en sept minutes...
A.R : C'était un peu l'idée,
enfin le morceau s'est goupillé comme ça, comme un condensé du
disque. Il y a tout le côté électronique, les grosses guitares. Ca
fait un peu métallique parce que le son est dur, mais en fait
l'inspiration vient plus du hard rock des années 70, Grand Funk
Railroad... Et à la fin les synthés abstraits, un peu seventies.
Qui sont ces gens qui « sont
venus au monde par le trou du cul du diable » ?
A.R. : Tous les exclus dont les
parents ne se comportent pas très bien par rapport à l'éducation,
aux attentes légitimes des enfants.
Tu te sens de l'empathie pour ces
personnes ?
A.R (pudique) : Oui, je pense même
que j'en fait partie. C'est vraiment un texte sur les marginaux.
L'idée vient du public des concerts de hard rock, dans les années
80 ou 90 :une foule de damnés. Ca a bien changé maintenant.
« He keeps on calling me »
m'a rappelé le refrain de « Dead Souls » de Joy
Division : « They keep on calling me »...
A.R. : Ouais, Joy Division c'était
des grands fans de Black Sabbath. Et Black Sabbath était influencé
par le blues. Mais la phrase en question vient du morceau « Someone
keeps on calling me » de Mississippi Fred McDowell (bluesman
des années 1960, décédé en 1972 ndlr).
Quelles sont ces « routes
perdues » (traduction française du titre de l'album
Godforsaken Roads) ?
A.R. : C'est les mauvais chemins
que tu peux avoir empruntés dans la vie... J'aime bien ce titre, les
choses oubliées de Dieu, ce qui par définition est difficile. Ca
résume bien aussi le parcours un peu sinueux de Black Strobe au fil
des années.
Un chemin qui va de l'électro au blues
et vice-versa ?
A.R. : Oui, voilà, on peut dire
ça comme ça...
Concernant l'aspect visuel du projet.
La photo de la pochette a été prise dans une Eglise, justement.
Cette référence religieuse m'a questionné. C'est un clin d’œil au
gospel ?
A.R. : C'est une référence que
je fais souvent. Mon album solo précédent s'appelait « Someone
gave me Religion », celui de Black Strobe c'était « Burn
your own church ». Là on retournait dans l'Eglise après
l'avoir brûlée. Le rapport entre Dieu et le diable, entre ces deux
entités, le bien et le mal, c'est quelque chose qu'on retrouve
souvent dans la country ou le blues. J'aime bien. Je trouve que ces
bases sont philosophiquement proches de notre monde.
Il y a un côté un peu retro dans la
pochette avec les titres sur la première de couverture et le logo de
Black Strobe records qui rappelle l'ancien logo de Columbia...
A.R. : C'était voulu. C'est
d'ailleurs inspiré par des pochettes de Johnny Cash. J'aime bien les
graphismes de cette époque, c'est quelque chose qui me parle. On a
essayé de le faire de manière moderne tout en gardant les
références.
Finalement, c'est un prolongement de la
démarche musicale du groupe...
A.R. : Oui, voilà, c'est un peu
comme la musique.
Est-ce que tu as crée un personnage
pour Black Strobe ? Je me souviens du clip d' « I'm a
man » avec les chaussures blanches et la canne...
A.R. : Non il n'y a pas vraiment
de personnage. C'est plutôt moi en général. Pour cette vidéo on
avait cette idée de créer une sorte de mac un peu seventies. Bon,
c'était pour un clip.
Quel est ton rapport au chant ?
C'était un domaine qui t'était un peu étranger à la base...
A.R. : Oui. J'ai mis du temps
avant de m'y mettre sérieusement. Avant je me contentait de faire
des petits bouts. Mais c'était une envie très ancienne.
Tu as trouvé ta voix de chant assez
facilement ?
A.R. : Disons que j'ai emprunté
des routes maudites, parfois...
En solo tu te produit seul entouré de
tes claviers, il y a des boutons partout, cela ressemble au tableau
de bord d'un boeing. Et avec le groupe tu te transforme en frontman,
en leader. Que dirais-tu si tu devais comparer ces deux expériences,
en terme de plaisir ?
A.R. : Ca n'a rien à voir. En ce
moment je prends beaucoup de plaisir à faire Black Strobe parce que
l'album est neuf. J'aime bien le fait de chanter. Et puis tu vois, là
on fait des concerts, le public est attentif, vient vraiment pour
écouter de la musique. Dans la techno aussi, mais il y a beaucoup de
gens qui viennent pour faire la fête, danser. La musique devient un
prétexte pour boire des coups et s'amuser. Les horaires ne sont pas
les mêmes non plus, non vraiment cela n'a rien à voir. Et avec
Black Strobe il y a un côté plus écrit. En solo j'improvise
beaucoup, c'est très différent.
Ca s'équilibre en fait...
A.R. : Oui, exactement.
Pour Black Strobe il y a aussi une
grosse activité en matière de synchronisation. Comment ça se
passe ?
A.R. : Je ne choisis rien du tout.
C'est les projets qui me choisissent. On est sélectionné pour un
film et en général on accepte. C'est Beggars, la maison de disque
anglaise qui gère ça. En ce moment cela concerne surtout des chansons de
l'album d'avant, « I'm a man » en particulier. C'est
négocié par le label avec les héritiers de Bo Diddley.
Et en ce qui concerne l'utilisation de
ta musique dans les publicités...
A.R. : Cela ne me pose aucun
problème d'être associé à une marque. Je ferai même de la
musique pour Areva (géant français du nucléaire, ndlr), pas de
souci (rires).
Il y a aussi beaucoup de remixes. Ca
ouvre des portes au groupe à l'international ?
A.R. : C'était plus par le passé.
Les remixes sortent maintenant sous mon propre nom. Il y a vraiment
une séparation entre Black Strobe, très rock, et moi producteur
typé électronique. C'est un élément parmi d'autres qui fait que
le nom circule, ce qui peut nous ouvrir des portes effectivement.
Vous tournez un peu à l'étranger ?
A.R. : Un petit peu, oui.
Tu as travaillé avec Alain Bashung,
quel souvenir gardes-tu de lui ?
A.R. (ému) : Il était sur
l'album de Zend Avesta. Il venait juste de sortir « Fantaisie
militaire » (album de 1998, ndlr) quand je l'ai rencontré.
J'en garde un très bon souvenir. C'était un personnage incroyable,
qui ne trichait pas, fidèle à son image. Une rencontre artistique
hyper forte. Quelqu'un comme lui, forcément ça te marque. On n'en a
pas beaucoup en France de cette trempe, de ce niveau.
Propos recueillis le 20 décembre 2014
au Fuzz'Yon (La-Roche-Sur-Yon)
En concert le 25/02 à la Maroquinerie
dans le cadre du festival Les nuits de l'alligator.
Un grand merci à Arnaud Rebotini pour
sa gentillesse et sa disponibilité, Thibaut, Marion qui a organisé
la rencontre, à toute l'équipe du Fuzz'Yon pour l'accueil et aux
amis Vendéens qui m'ont accompagné sur la route.
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