Rencontrer Matthew Caws,
leader de Nada Surf depuis deux décennies, c'est comme faire un
grand bond dans le temps. Depuis 20 ans notre homme a accumulé
réussites, déceptions et surtout un bon paquet d'anecdotes. Il ne
faut d'ailleurs que peu de temps avant que ces dernières ne
découlent. Ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion
d'interviewer un artiste que l'on admire et que l'on a vu une dizaine
de fois en concert. Ce dernier se révèle être un mec simple et
sympa. Un moment rare et privilégié dans un appartement parisien du
quartier de la Bastille et l'occasion d'évoquer son nouveau projet
Minor Alps, duo formé avec la chanteuse Juliana Hatfield...
Alors Matthew, après
20 ans avec Nada Surf, qu'est-ce que cela te fait de faire de la
musique avec quelqu'un d'autre ?
Matthew Caws :
C'est cool. Il y a dix ans, cela aurait été bizarre, je me serait
senti coupable, comme si j'avais trompé le groupe ou quelque chose
dans le genre. Mais bon après tout ce temps, c'est cool, j'ai le
droit maintenant. Je ne dis pas ça méchamment, on dirait tous la
même chose. C'est bien tombé, avec Nada Surf on avait de toute
façon décidé de prendre une année de break. C'est bien de faire
autre chose. Et puis je n'empêchais pas Nada Surf de travailler.
Pour moi c'était très intéressant, j'ai beaucoup appris de
travailler avec quelqu'un qui fait exactement la même chose que
moi : chant et guitare. C'était un peu comme de se regarder
dans un miroir.
Est-ce que tu as eu le
sentiment de sortir un peu de ta zone de confort ? Avec Nada
Surf vous faîtes de la musique ensemble depuis plus de 20 ans, vous
vous connaissez par cœur, quelque part c'est confortable,
sécurisant, notamment quand il faut présenter aux autres les
nouvelles chansons. Alors qu'avec Juliana, c'est tout nouveau...
MC : Oui, mais
j'ai peut-être un peu triché. J'ai trouvé quelqu'un avec qui j'ai
beaucoup en commun alors se montrer les chansons les uns, les autres,
c'était assez facile. On écrit beaucoup sur les mêmes sujets.
C'est devenu assez confortable assez rapidement. Dans le studio par
contre je suis sorti de ma zone de confort. Notre relation
d'enregistrement n'était pas aussi établie qu'avec Nada Surf où on
se comprends si bien. C'était là où était le vrai travail, mais
c'était un joli travail !
Et alors comment s'est
passé la rencontre avec Juliana ?
MC : C'était pour
l'enregistrement de « I wanna take you home », une face B
de l'époque de « Lucky » (Album de Nada Surf sorti en
2008, ndlr). C'était génial pour moi qui était un très grand fan
des Blake Babies. Après je n'ai pas suivi toutes les étapes de sa
carrière mais elle était toujours sur mon radar. J'avais vu les
Blake Babies au CBGB en 1991 pour la tournée de « Sunburn »
(sorti en 1990, ndlr), un disque que j'adorais. Et donc elle m'avait
demandé de chanter sur une chanson à elle, « Such a beautiful
girl » sur son album « How to walk away ». Une
expérience très cool, on avait l'impression d'être de la même
famille musicale, comme si nos ancêtres venaient du même village.
Elle est venu plusieurs fois voir Nada Surf à Boston aussi. On ne se
connaissait pas vraiment ceci dit.
Est-ce que cette
collaboration t'as régénéré au niveau du songwriting ?
MC : Oui, un petit
peu. Cette année j'ai fait beaucoup de collaborations, j'ai presque
fini un disque avec Michael Lerner de Telekinesis, un super groupe
soit dit en passant ! Je suis allé chez lui à Seattle, deux
fois dix jours cette année. On cherche encore un nom pour notre
groupe. J'ai aussi écrit un petit peu avec Carl Barât des
Libertines et Dan Wilson de Semisonic. Ecrire avec les autres c'est
quelque chose qui m'intéresse de plus en plus.
Ce qui est vraiment
dingue en écoutant le disque, c'est que vos voix se marient vraiment
bien ensemble, sur le final de « If i wanted trouble »
notamment, un peu comme si vous étiez faits pour vous rencontrer...
Qu'as-tu ressenti la première fois que tu as chanté avec Juliana ?
MC : C'était très
fort. Après la sortie de son disque, elle m'a demandé de monter sur
scène avec elle au Joe's pub à New York. On n'avait jamais chanté
ensemble. Je veux dire, en studio, on est chacun dans une cabine et
on chante des pistes à part, séparées. Donc, on avait répété un
tout petit peu avant le concert, dans les escaliers, avec deux
guitares électriques débranchées. Et là il s'est vraiment passé
un truc. Après on s'est échangé des emails en se disant que l'on
devrait faire un truc ensemble un jour. On aime vraiment chanter
ensemble, harmoniser la même note. C'est marrant, comme nos voix
sont vraiment similaires, c'est un peu comme faire du « double
tracking », quand on double les voix en studio.
(c) Brad Walsh |
Le nom du groupe t'a
été inspiré par le Mont Ventoux, comment tu as découvert
l'endroit ?
MC : Mes parents y
allaient depuis les années 1970. Ils sont profs alors on avait de
longues vacances. Ils avaient acheté un petit cabanon 2000 dollars
sans eau courante et une seule prise d'électricité. Il n'y avait
pas assez de place, ma sœur et moi on dormait dans des tentes. Je
passais trois mois par an là-bas. J'en parlais avec une amie
photographe Autumn Dewilde, je lui ai dis que cette montagne c'était
comme des Alpes mineures. Géographiquement, c'est trop loin pour
faire partie du massif Alpin mais d'un point de vue géologique, le
Mont Ventoux fait partie des Alpes. Elle m'a dit de le noter parce
que c'est un bon nom de groupe. Six ans après, Juliana et moi on ne
trouvait pas de nom pour notre duo et c'est à ce moment là que je
m'en suis rappelé. Une longue histoire (sourire).
Et tu t'inspires
souvent de lieux géographiques comme ça ou de voyages pour écrire ?
MC : J'aimerais
bien, si seulement... Mais en fait je m'inspire juste d'histoires
éternelles. Mais c'est bien pour se changer les idées. Je suis
frustré de me concentrer seulement sur l'intérieur ! C'est
difficile de changer ça, on fait ce qu'on fait...
Il y a un titre que
j'ai beaucoup aimé sur le disque, « Mixed Feelings ». Il
y a comme une émotion adolescente dans la chanson, on sort les
guitares et on y va...
MC : Oui c'était
bien. Elle est très différente des autres titres et on a même
hésiter à la mettre sur l'album mais c'était nouveau et on est
toujours excité par la nouveauté. Et je la voulais à tout prix sur
le disque. C'est rigolo par ce que Juliana est plus punk que moi. Les
paroles du premier couplet viennent de Moby Dick. Je voulais éditer
un livre ou chaque mot n’apparaît qu'une seule fois. La première
page est à peu près normale mais après c'est la dégringolade, ce
n'est plus qu'une liste de mots mais une liste intéressante. Le
premier couplet je l'ai piqué de cette version éditée bizarrement.
Un peu comme « la disparition » de Georges Pérec (un
roman entier écrit sans la lettre « E », ndlr).
Ce qui est intéressant
aussi dans « Mixed Feeling », c'est un morceau punk mais
adapté à ta façon de chanter, assez mélodique...
MC : Encore une
fois, on ne peut faire que ce que l'on fait. J'aime beaucoup certains
groupes comme Television ou les Talking Heads qui étaient considérés
comme punk à leurs débuts. Les Ramones c'est peut-être mon groupe
préféré. Avec Daniel (Lorca, bassiste de Nada Surf) au lycée on
n'écoutait que du Clash et on avait un groupe de reprises, on
répétait une fois par semaine et on ne connaissait que trois
chansons des Clash. J'aime beaucoup ce genre de musique mais sans
faire partie de cette scène. J'étais punk, d'un point de vue
philosophique.
Et à l'opposé il y a
« Radio Static » qui est très apaisée, les deux titres
se suivent d'ailleurs sur le disque. Il y a comme un grand écart
entre acoustique et électrique, le tout sonne aussi un peu plus
électronique que d'habitude...
MC : Ouais. En
fait on avait deux batteurs en tête pour ce disque Chris Egan et
Parker Kindred. Je les connaît de Brooklyn depuis très longtemps.
Chris joue avec Solange et Parker joue avec Joan as a police woman et
a également joué avec Jeff Buckley. Cela faisait très longtemps
que je voulais jouer avec lui mais on ne savait pas où il était. On
avait perdu le contact. Et puis j'ai reçu un SMS juste avant de
commencer les maquettes. Et il se trouvait qu'il était malade. Chris
a du passer plus de temps avec nous du coup. Mais Parker avait amené
une vieille boîte à rythme, Roland TR 909, c'était vraiment
intéressant de faire des chansons avec une base électronique mais
sans ordinateur, jouées en live pour garder un côté humain.
J'avais ma guitare acoustique et Parker manipulait les rythmes en
live. C'était vraiment bien parce que les choix étaient arrêtés.
C'est dangereux d'entrer dans des choix illimités. On se perds en
route et on perds du temps aussi. Au début on voulait faire le
disque deux fois une version complètement organique et une version
électronique. Puis Parker est arrivé et il a dit : « mais
non c'est super je veux jouer dessus ». On a combiné les deux.
En écoutant le disque
j'ai pensé que « I don't know what to do with my hands »,
« Mixed Feelings » et «Waiting for you » étaient
les trois chansons qui auraient pu être sur un album de Nada Surf...
MC : C'est cool
que tu penses ça de « I don't know what to do with my hands »,
c'est une chanson entièrement écrite par Juliana. C'est pour ça
que c'était aussi facile d'écrire avec elle, on a des univers
tellement proches. Parfois j'écoutais certaines de ses chansons et
je me disais : « J'aurais du écrire ce titre » !
« Waiting for you » a été cosignée avec Daniel et Ira
(batteur de Nada Surf, ndlr). C'était une chanson en français de
Nada Surf sur « Lucky » (« Je t'attendais »,
ndlr). Au début je voulais la refaire à l'identique avec un texte
en anglais. Puis Parker est arrivé et il m'a dit « tu ne veux
pas refaire la même chose ». Il a tellement insisté que
finalement on l'a changée (rires) !
Est-ce que tu pourrais
me citer trois chansons pour décrire New York City ?
MC : « Teenage Riot »
de Sonic Youth, « The only living boy in New York» de
Simon & Garfunkel et « Fairy tales of New York » des
Pogues, même si ils ne sont pas américains, cela donne un point de
vue extérieur. Mais tu as un jukebox dans la tête alors cela
pourrait être n'importe quoi (rires)...
Et trois chansons pour
décrire Paris ?
MC : J'adore la
musique française mais je ne connais pas assez. Je ne sais pas
Gainsbourg, Edith Piaf, Renaud que j'aimais beaucoup... Ah oui je
sais ! « Give Paris one more chance » de Jonathan
Richman et les Modern Lovers.
Est-ce facile de se
renouveler sur un plan artistique après tout ce temps ?
MC : Oui et non
(soupir)... On se demande pourquoi on écrit des chansons encore et
encore, pourquoi on se répète tellement. Pourquoi je chante sur les
mêmes thèmes encore et toujours ? Ca peut devenir dur.
Pourquoi je joue toujours les mêmes accords ? Mais quand on
arrive à se pardonner, cela devient plus facile puis c'est ok.
D'abord, ce n'est pas une raison pour arrêter et puis ce qui fait la
différence, c'est les autres détails. C'est presque comme dans la
vie dans le fond. Trois repas par jour, tous les jours la même
chose, pourquoi on se lasse pas après tout ? Parce qu'il y a
plein d'autres choses différentes. On se renouvelle comme ça.
Minor Alps, c'est un
coup unique « one shot » ou le début d'une carrière
parallèle ?
MC : Je ne sais
pas, le début d'une carrière parallèle peut-être. Mais maintenant
il me faut retourner à Nada Surf. Et puis il y a le disque avec le
mec de Telekinesis, c'est les deux projets pour lesquels je veux
dégager du temps. Il n'y aura pas d'actualité pour Minor Alps
l'année prochaine mais dans deux ou trois ans, pourquoi pas ?
Des nouvelles de Nada
Surf ?
MC : On était en
studio il y a deux semaines, on a fait cinq maquettes, les prises de
base. On va finir cet été j'espère...
En concert le 19 mai à Paris (la flèche d'or)Propos recueillis le 15/04/2014.
Un grand merci à
Matthew Caws pour sa gentillesse et sa disponibilité et à toute
l'équipe de la mission qui a arrangé cette rencontre.
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