dimanche 17 novembre 2013

Interview F.M

(c) F.M.


Après quelques collaborations prestigieuses, Etienne Daho, Catherine Ringer, et des détours vers la musique de film, François Maurin, alias F.M, est de retour en tant qu'artiste solo avec son deuxième album « The Organ King ». Personnage déterminé, compositeur exigeant, F.M est également adepte d'une démarche étonnante préférant jouer avec un orchestre automate. Rencontre...
 
(c) Jean-Marie Vives

Ton nouveau disque, TheOrgan King, est un concept-album autour de l'orgue. Pourquoi cet instrument en particulier ?
F.M. : Le disque tourne autour de l'orgue et en même temps, l'orgue est parfois assez discret. Avant de me plonger dans l'écriture, je me suis demandé ce que je voulais faire. Sur mon premier album j'avais essayé de jouer sur l'économie de moyens. Enlever ce qu'il y a de plus flagrant dans la musique pop-rock, la batterie, pour trouver des ressources harmoniques et mélodiques et vivre le rythme autrement, sans cette artillerie-là. Pour le deuxième, j'avais envie de laisser couler tout ce qui me venait en matière d'instrumentation. Et il se trouve que l'instrument dont j'ai toujours rêvé, c'est l'orgue d'Eglise. C'est l'instrument roi dans la mesure où il est susceptible de jouer toutes les parties d'un orchestre. Conceptuellement l'orgue est, en réduction, tous les instruments. C'est ce qui m'a donné le titre The Organ king. D'autant qu'à cette époque là j'étais assez tourné vers les sources du rock n'roll. The Organ king, il y avait aussi l'idée du King, Elvis (il claque des doigts). Je n'ai pas fait un vrai hommage à l'orgue, mais une série de clins d’œils. Dans chaque titre se cache un orgue, comme un fil d'Ariane assez discret. Je vois plus l'album comme un voyage spatio-temporel, un voyage dans le temps des années 1950 au début des années 1980 à travers la France, l'Angleterre. Comme un condensé de cette petite histoire de la musique.

Du coup j'imagine que tu as une collection d'instruments assez importante ?
F.M : Je n'ai pas les instruments chez moi. Pour réaliser l'album, je suis allé un peu partout en France, à Nantes pour enregistrer des cuivres, dans une chapelle pour enregistrer des cœurs et un orgue, en studio pour les cordes. Je ne me suis mis aucune limite dans l'instrumentation. Comme j'ai auto-produit l'album, j'ai tout réalisé avec mon ingénieur du son, Edouard Brunet, mon acolyte et mon grand ami. On a utilisé un studio mobile, pour enregistrer tout ce dont on avait besoin, orgue de Barbarie etc... J'ai fait absolument tout ce que je voulais, aucune barrière. Cela a pris le temps... Je ne voulais pas me restreindre.

La tonalité du disque est assez nostalgique, « Holidays of my youth » notamment. C'était voulu ?
FM : La nostalgie dont tu parles, c'est très certainement quelque chose d'assez constitutif de ma personnalité. On m'a déjà fait cette réflexion sur le premier album. Il y a toujours une distance par rapport au sujet d'écriture. J'ai un rapport distancié, la pop finalement c'est une musique assez étrangère pour moi. La pop c'est aussi la langue anglaise, il y a toujours un filtre entre moi et la musique que je joue. C'est cette distance qui rends les choses nostalgiques. J'ai fait un album avec du matériel d'époque, c'est déjà un espèce de regard en arrière. Même si on retrouve les couleurs et les styles de l'époque, il y a tout un travail, comme une espèce de néo-classicisme. Je retravaille les fondamentaux, je détourne les harmonies pour en faire quelque chose de plus personnel.

Justement en parlant de matériel, est-ce que tu penses qu'utiliser des instruments anciens donne un supplément d'âme à la musique ? C'est, du moins, ce que j'ai ressenti en écoutant le disque...
F.M : Forcément, comme beaucoup de gens, je m'agrippe à toute une culture qui fait partie de nous, l'Amérique des années 50, la pop anglaise des années 70... Il y a deux choses : le fait de travailler sur des grains, des sonorités d'hier et le fait de travailler sur différents genres musicaux. Le classique comme l'intrusion d'un orgue d’Eglise dans un morceau doo-wop (Open the doors). On s'attendrait plutôt à un orgue de jazz comme l'hammond B3. Si il y a un supplément d'âme, il doit se trouver quelque part par-là.

Ton concept d'orchestre automate a dû demander un gros boulot de mise au point...
FM : Énormément de travail. Déjà pour mettre au point le concept mécanique, informatique... Il a fallu trouver des partenaires qui se sont engagés dans une aventure très ambitieuse. C'est beaucoup de temps et d'énergie. Mais c'était une aventure passionnante, j'ai travaillé avec des corps de métiers assez différents, pas forcément habitués à travailler ensemble, des roboticiens hi-tech et des facteurs d'instruments anciens par exemple. Tout le monde s'est mis à travailler autour de mon projet, il a fallu trouver une synergie et mener tout cela.
 

Cela a changé quelque chose pour toi par rapport à un vrai groupe ?
FM : Ça joue bien ! C'est quelque chose de différent certes. Depuis le début, j'ai une idée très précise de ce que je veux entendre. C'est pour cela que j'ai fait un premier album avec des musiciens classique, ils pouvaient lire la musique que je leur demandais et ils étaient habitués. Je suis un compositeur dans le corps d'un chanteur rock, j'ai besoin d'entendre très précisément les choses. Finalement l'orchestre mécanique, c'est une sorte d'extension de mon jeu à moi puisque je met au point, une à une, toutes les parties musicales qui vont être jouées. Ce n'est pas du tout la même chose que jouer avec un groupe. Ceci dit, étant donné mon exigence un peu maniaque quant à l'exécution, cela revient finalement au même.

Ça ne manque pas un peu d'interaction humaine ?
F.M : Moi comme compositeur je passe mon temps sur des écrans avec des arrangeurs, je fais des partitions qui sonnent avec des samples. Il y a peu d'aller-retours. Maintenant avec ces machines, elles sont construites de telle façon qu'elles réagissent parfois assez bizarrement aux impulsions qu'on leur donne. Je me suis vu en train de me demander ce que j'allais bien pouvoir faire des propositions musicales qu'elles me faisaient. J'appuyais sur un bouton par erreur et il y avait un shaker qui se mettait à tournoyer 360 fois : qu'est-ce que c'est ça ??? C'est ça qui est drôle, je peux les dompter mais elles peuvent faire des trucs absolument extraordinaires. En bidouillant on arrive à faire des erreurs qui génèrent une musique inouïe. Sur le plan rythmique, c'est comme jouer avec Steve Austin (personnage principal de la série télé l'homme qui valait trois milliards, ndlr) qui fait des propositions tout seul ! Il y a un vrai jeu avec ces machines là. Moi j'ai tout dans la tête, il n'empêche quand je répète avec elles, je peux te dire qu'on se marre plutôt bien. Ça nourrit mon esprit en termes de créativité, cela me donne plein d'idées. Le plaisir n'est pas exactement le même qu'avec mon bassiste, Frédéric, mais ceci dit il y a quelque chose d'extrêmement jouissif, un peu comme un savant fou qui a réussi à faire marcher une formule. Quand ça fonctionne, c'est magique. Ça m'épate à chaque fois, je n'en suis toujours pas revenu.

Et d'un point de vue rythmique, ce qui constitue le squelette d'une chanson, comment t'es-tu adapté au robot qui joue la batterie ?
F.M. : Je ne me suis pas adapté. La machine réponds à tout les niveaux de vélocité que l'on peut lui demander. Il y a 127 niveaux, on peut taper très doucement ou alors comme un sourd au point de crever la caisse claire. Il y a un niveau de nuance, je n'ai pas besoin de m'adapter, je lui fais faire exactement ce que je veux à la vitesse que je veux et il ne se plante jamais. C'est extrêmement musical.

Une autre de tes spécialités, c'est les arrangements. Comment sait-tu quand tu as fini un morceau ?
F.M. : L'idée pour cet album, c'était de travailler comme avec un orchestre, il y a des trames, des couleurs, des timbres musicaux, qui se marient. Dans la pop, surtout en ce moment, on a plutôt tendance à faire le vide autour de deux ou trois sons. Moi j'ai voulu faire un album orchestral. Qu'on puisse entendre les choses simplement, ce sont des chansons après tout, mais aussi quand on écoute bien, on peut entrer dans les méandres des différentes couleurs, mixtures de sons. A partir du moment où j'ai idée musicale, la chanson est suffisamment mature dans ma tête. J'ai une idée, j'attends de voir si je m'en rappelle encore le lendemain. Si je m'en souviens encore une semaine ou un mois après, je sais que j'ai une chanson qu'il va falloir que je fasse. Comme quelque chose d'obligatoire. Après je la laisse se décanter. Elle s'impose toute seule. Il y a une évidence qui se crée. Je fais beaucoup confiance à ma mémoire et aux informations que mon inconscient va trier. J'entends la chanson mais elle n'existe pas, la difficulté c'est de faire que dans la réalité, la chanson soit le plus fidèle possible à ce que j'ai dans la tête.

Tu as aussi fait des bandes originales de film, comme « Versailles rive gauche » (réalisé par Bruno Podalydès, ndlr) par exemple...
F.M. : Quand on travaille pour le cinéma, ce qui est intéressant, c'est d'avoir des contraintes temporelles fixes. 22 secondes de musique par exemple. C'est un exercice assez scolaire mais jouissif. J'aime bien les contraintes. Il y a toujours un gageure dans mes morceaux. Je me dis il faut que je fasse une chanson dans ce style, j'aime beaucoup la variété, je me lance dans des challenges par rapport à ce qui n'a pas encore été fait. Je n'aime pas me répéter, j'aime offrir le plus possible.

Comment se créer une identité artistique en abordant autant de genres différents ?
F.M. : Pour moi c'est naturel. Ce qui est difficile, c'est de faire comprendre qui on est. Ça c'est vraiment dur. Moi, je sais exactement où je vais. C'est dans le regard des autres que c'est le plus compliqué.

Propos recueillis le 30 septembre 2013.
Album « The Organ King » disponible.
 

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