dimanche 19 décembre 2010

Rencontre avec Séverin


13 heures. A peine arrivé dans les locaux du label cinq7 où se déroule l’interview du jour, on tombe sur un personnage hallucinant, hirsute avec un champignon digne du meilleur de la blaxploitation et une barbe qui se ballade une madeleine à la main. « Euh, je me trompé d’étage en venant et on m’a donné une madeleine. Est-ce que tu veux partager la madeleine avec moi ? ». Et c’est comme cela que j’ai partagé une madeleine avec Séverin (voir mon post du 31 octobre), notre interlocuteur du jour. Ce dernier apparaît toujours comme un peu décalé et dans son monde (au cours de notre entretien on apprendra que ce jour là Séverin était parti de chez lui en claquant la porte, oubliant ses clés à l’intérieur de sorte qu’il se retrouve enfermé dehors) constamment en train de sourire. On se retrouve ensuite dans un étage complètement désert, à moitié en travaux ou sera installé ensuite des bureaux. « Tu verras, il est marrant » m’avait prévenu l’attachée de presse. Et effectivement, on s’est bien marrés…

On te connaît assez peu comme artiste solo, est-ce que tu peux te présenter ?

Séverin : J’étais dans un groupe qui s’appelait one-two, j’ai fait mon premier album solo qui n’était pas vraiment en solo puisque j’avais invité quatorze chanteuses à venir chanter avec moi (le projet cheesecake, nda) ! J’ai écrit pour les quatorze filles mais je ne chantais pas, je faisais les instruments et les chœurs. Et là c’est mon deuxième album sous ce nom, Séverin, et cette fois-ci c’est moi qui chante. Et en français !

J’ai lu dans ta biographie qu’à l’origine tu étais plutôt destiné à faire une école de commerce, est-ce que tu n’as pas l’impression d’être passé à deux doigts d’une catastrophe ?

S. : (rires) Pour l’industrie, je n’aurais pas été d’une grande aide, je pense ! Je ne suis pas très organisé et j’ai du mal à me lever tôt. Mon employeur n’aurait pas été très content ! Mon père est prof d’université et directeur d’une école de commerce, il n’imaginait pas qu’on puisse faire de la musique comme métier. Mais, surtout, mon père est un grand fan de jazz et de rock et c’est grâce à lui que j’ai découvert la musique. Je ne suis pas marginalisé par rapport à ma famille.

Dans la chanson « Comment Pourquoi », il y a une phrase qui dit « Un costume cravate trop grand pour toi », est-ce une référence au monde du travail, des écoles de commerce ?

S. : Il y a de ça c’est vrai. C’est une image du monde du travail dans son côté un peu triste, répétitif. Ce système très hiérarchique, carré. Souvent tu vois des documentaires sur des employés qui pètent les plombs, le soir, complètement bourrés, à faire des folies tellement leur boulot est aliénant. Et c’est aussi une référence au concert des Talking Heads, « Stop making sense », ou David Byrne est enfermé dans un costard énorme qui lui fait une toute petite tête. Je trouvais l’idée superbe…

Il y a quelque chose qui m’a frappé en écoutant l’EP. Musicalement on est dans une ambiance années 80, french pop assez légère et en même temps les paroles sont un peu douces-amères…

S. : C’est un peu ma façon d’être. Je me suis fabriqué un tee-shirt où devant j’ai marqué « Imbécile » et dans le dos « Heureux » (fou rire). Ca résume ma personnalité. Je suis conscient de tout un tas de choses assez tristes, de notre environnement pas toujours très joyeux. Mais j’aime bien maquiller cela derrière une musique plutôt fun. Ca me vient naturellement. J’ai du mal à faire une musique foncièrement triste et nostalgique. C’est pour ça que je n’arrête pas de sourire (c’est vrai, nda).

Toujours d’un point de vue musical, les titres « En noir et blanc » et « Comment pourquoi » sont toujours dans cette ambiance 80s new wave mais traversés par des éclairs rock…

S. : C’est le mélange de mes influences. C’est vraiment ce que je voulais faire. Il y a ces références eighties, même si eighties pour moi cela ne veut pas dire grand-chose, tellement la décennie est variée. Disons que je suis très influencé par le début des années 80 et les premiers synthétiseurs. Mais en même temps on retrouve une énergie que j’adore et qu’on entend dans des groupes vraiment rock genre Led Zeppelin, dont je suis assez fan même si ma musique n’a absolument rien à voir au final. J’aime bien les guitares qui apportent de la puissance, qui permettent de monter des paliers et puis de les redescendre dans un bloc de son.

Tu joues de la guitare sur le maxi, mais en même temps ta musique est plus portée sur les synthés que sur les guitares…

S. : Tu veux dire que je ne suis pas un grand guitariste ? (rires). Les guitares sont importantes mais ne sont pas mises en avant par choix esthétique. La guitare est très présente sans être très forte. Et pourtant il y a de la guitare tout le temps. J’essaye toujours de faire en sorte qu’elle ait une utilité. Qu’elle ne va pas se battre contre la voix, mais jouer avec elle. Qu’elles s’accompagnent ensemble.

Est-ce que tu es du genre à aller chiner aux puces et dans les brocantes pour acheter des claviers vintages ?

S. : Ah bien sur ! Chez moi, il y a énormément de synthés que j’ai acheté 50 euros chez Emmaüs. J’aime bien les claviers avec les gros boutons. Maintenant les claviers ont été recréés mais tu ne retrouves jamais ce grain qu’il y avait dans les vieux synthés. C’est souvent des synthés analogiques qui sont fait à partir d’une onde électrique. Il y a un truc mécanique. Ca ne joue pas un sample digital. On retrouve quelque chose d’organique à la base. C’est un son beaucoup plus vivant. Je peux te parler de l’histoire du synthé si tu veux, mais cela risque de n’intéresser personne ! (rires).

Tu a une éducation plutôt jazz à l’origine. Comment es-tu passé du jazz au rock ?

S. : Ca doit beaucoup à la rencontre avec Lafayette qui était mon partenaire dans one-two qui m’a fait découvrir ça. J’écoutais beaucoup de musique instrumentale, pas trop de chansons. Les Beatles et Jimi Hendrix je les ai plutôt découvert à 20 ans. Je n’étais pas trop branché pop.

Au niveau des paroles, comment s’est passée la transition de l’anglais au français ?

S. : One-two chantait en anglais par ce que cela nous semblait plus facile et plus adéquat par rapport à la musique que l’on écoutait. Le passage au français est venu par une sorte de frustration. J’avais l’impression avec l’anglais de remplir des cases. Ce n’était pas ma langue maternelle. Je ne pouvais jamais approcher les nuances, les finesses et tu vas forcément finir par sortir des poncifs de phrases que tu as déjà entendues ou qui sonnent bien. C’est grâce à l’album des filles que j’ai commencé à écrire en français. Je me suis rendu compte que le challenge est beaucoup plus difficile mais aussi plus ambitieux. Par ce qu’avec l’anglais quand tu as des phrases un peu moyennes dans un couplet, tu t’en fous, tu les laisses et cela ne va gêner personne. Alors qu’en français tu ne peux pas te permettre d’avoir une phrase qui ne te plaît pas. Ce n’est pas possible. Ou alors tu te retrouves à détester un morceau juste pour une phrase… Ca t’écorche les tympans. Et puis c’était aussi pour me mettre un peu plus en danger. Je m’en sentais capable. Ce qui n’était pas forcément le cas avant…

D’on te vient cette fascination pour l’été que l’on entends dans « Un été andalou » ? Tu cherches à décrocher le tube de l’été prochain ?

S. : Non, je doute que cela soit le tube de l’été… Au moment où j’ai écrit ce morceau, j’étais célibataire à la campagne. Tout seul dans une maison dans l’ouest de la France. J’ai idéalisé ce que je pourrais être en train de vivre sauf que je n’étais pas en train de le vivre du tout… J’ai imaginé que cela pouvait être un moment génial. Amoureux et tout. C’était plutôt un fantasme. Après il y a Kiwi la choriste sur le projet qui a chanté et cela rend la situation crédible, comme si il y avait un vrai échange entre elle et moi. Alors qu’au moment où la chanson a été écrite j’étais vraiment tout seul.

Est-ce que tu peux nous parler un peu de l’album qui sortira au mois de mars ?

S. : Je pense que l’EP est assez représentatif avec peut-être un côté un peu moins marqué eighties sur l’album. La couleur est toujours là, mais les synthés sont un peu moins présents. L’EP est plus positif, il y aura d’autres morceaux plus tristes sur le disque. Il y a dix titres dont un final tragique intitulé « le dernier tube » qui est ma chanson d’adieu (rires). Je trouve ça bien de mettre une chanson d’adieu sur un premier album. Tu ne peux pas en mettre une sur un deuxième disque, par ce que là cela devient sérieux. Il y a aussi une ballade guitare/voix ou j’ai essayé pour la première fois de faire un truc complètement live sans aucun maquillage. J’en ai un peu marre de cette époque « pro-tools » où tu peux tout jouer très vite, très mal et tout bidouiller ensuite sur l’ordinateur. Là il n’y a quasiment aucune retouche où on trafique la musique. C’est enregistré en groupe sans overdubs. C’est le son que l’on retrouve en live à nos concerts. Cinq pistes. Le plus direct possible. Brut. C’est pour ça je pense que l’on trouve le disque assez rock alors que la musique ne l’est pas tellement. Voilà, pour résumer, dix morceaux magnifiques (rires) !!!!

Parlons de cinéma, dans ta bio tu es décrit comme un amoureux de la nouvelle vague…

S. : C’est vrai. Après mon bac je devais faire des études et le cinéma était ce qui correspondait le plus à un projet artistique et socialement acceptable. Si tu dis que tu vas faire de la poterie par exemple cela devient plus compliqué. Le cinéma c’est un bon compromis. Mais déjà au moment où j’étudiais le cinéma, je voulais faire des comédies musicales. J’adorais les films de Jacques Demy. Je pensais qu’il y avait des choses plus modernes à faire. J’adore les films de Demy mais ils sont assez datés. J’aimerais bien y revenir un jour. C’est par le cinéma que j’ai découvert toute la technique du son que j’adore traiter comme une matière. J’ai mon studio chez moi où je fais toutes mes maquettes. Je ne suis pas un auteur à guitare genre Dylan. Moi j’aime la musique dans son ensemble. C’est pour cela que j’ai pu réaliser des morceaux pour d’autres gens. J’aime bien être dans toutes les parties, je ne pourrais jamais ne pas réaliser moi-même mes disques. Sauf le mixage par ce que pour le coup cela me dépasse. Mais je suis présent au studio de dix heures du matin à deux heures du matin tous les jours de mixage. Par ce que je ne peux pas laisser ma musique dans la nature.

On sent un attachement très fort à ta musique…

S. : Oui mais même au son, pour moi la musique ne s’arrête pas à la chanson. Il y a le son et tout autour. La matière. Que cela soit plus où moins scintillant par exemple. C’est pour cela qu’à la fin d’un album je suis complètement exténué. Je suis tout de A à Z.

On pense beaucoup à Etienne Daho à l’écoute de l’EP…

S. : C’est un honneur. J’adore les débuts d’Etienne Daho. Je trouve que c’est un truc qui a eu un énorme impact en France. Les trois premiers albums je les trouve vraiment super c’est à la fois poétique, frais, simple et en même temps pop dans le sens commercial. Des vrais chansons mais avec un habillage. Ce que j’ai adoré dans cette scène là, Edith Nylon, Taxi Girl, c’est que le français est utilisé d’une façon cool. C’est parfois un peu flou par moments, cela peut également être hyper répétitif. Tu vois « Rebop » de Marie et les Garçons ? J’adore, ils répètent quatre fois « Moi sur la banquette et toi dans le hall de l’hôtel ». Et ils répètent ça du début à la fin du morceau. A cette époque le français était utilisé de façon musicale. Comme un instrument. Pour ça, cette scène là je la trouve vraiment super.

J’ai ressenti ce côté flou dans « En noir et blanc » où tu dis « la population mondiale c’est plus que la France fois dix ». Ca arrive comme un cheveu sur la soupe, je me suis dis mais de quoi il parle…

S. : C’est exactement ça. J’aime bien cette phrase par ce que quand elle arrive il y a un petit silence avant de repartir sur le refrain. C’est une phrase qui tombe à plat et tout le monde est là à se gratter le menton. On a rajouté une double voix dessus pour la faire vraiment ressortir. La phrase n’a aucun intérêt et c’est pour cela que je la trouvais pas mal.

Tu utilises beaucoup l’expression « oh oh oh » dans tes paroles…

S. : Sur le coup je ne m’en suis pas rendu compte mais cela m’a sauté aux oreilles après en réécoutant. C’est pour cela que sur le dos de la pochette quand on a voulu reproduire les paroles on a juste repris cette phrase « oh oh oh ».

Alors que nous prenons congé, l’attachée de presse revient chercher Séverin car le patron du label souhaite le voir. Séverin part alors les mains dans les poches, nonchalant, « bon ben salut, je part me faire engueuler… ». Sacré personnage…

Propos recueillis le 26 novembre 2010.

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