lundi 7 novembre 2016

Interview avec Eli « Paperboy » Reed






Tout clichée qu'elle soit, l'expression « revenir de loin » prend un sens particulier aujourd'hui. Assis dans les loges de la boule noire, quelques heures avant son concert, Eli Reed revient de loin. Lâché successivement par deux majors de l'industrie musicale, on le pensait fini, perdu pour la musique, après la sortie en 2013, de l'album, décevant, « Nights like these » ; comme une allégorie de notre monde moderne, ultra-rapide, où les carrières se font et se défont en un clin d’œil. Mais c'était mal connaître le personnage. D'inspiration gospel, dopé aux guitares garage rock, le magnifique « My way home » signe le retour en grande forme d'Eli « Paperboy » Reed. Assis sous l'impressionnant plafond, entièrement recouvert d'anciennes affiches de concert, des loges de la boule noire, il est temps de mettre le magnéto en route...

Bonjour Eli, la première chose que j'ai envie de te dire c'est : Ca fait plaisir de te revoir !
Eli Reed (sourire) : Merci !

Tu aimes être sur la route ?
Eli : Parfois, ça n'est pas la chose la plus simple. Mais quand le show se passe bien et tout, alors c'est fun.

Après avoir été lâché par une major, est-ce que tu as pensé abandonner la musique et prendre un boulot régulier, du genre neuf heures – dix-sept heures, cinq jours par semaine ?
Eli : C'était plus une séparation par consentement mutuel, mais c'est ok. C'est difficile comme question. Je ne connais personne qui ne se soit pas posé cette question à un moment donné de sa carrière. Mec, la musique c'est dur ! C'est un métier vraiment difficile. Moi, j'aime bien être actif tous les jours. Et quand tu n'es pas en tournée ou en train de faire ou de promouvoir un nouveau disque, et bien tu n'as rien à faire. Et c'est pas marrant. Sans parler des échecs et alors tu te retrouves à la merci des fans et d'autres choses impossibles à contrôler. Ce n'est pas la façon la plus simple de gagner sa vie. Parfois, tu aimerais avoir une fiche de paye à intervalles réguliers, ça c'est certain.



Pourquoi poser sur un ring de boxe sur la pochette du nouvel album ?
Eli : Pour la même raison. C'est un combat, mec. C'est toujours un combat. Surtout quand tu essayes d'atteindre un certain niveau. Quand tu essayes d'accomplir quelque chose, musicalement parlant. Il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu. C'est toujours une bataille. Mais attention je ne veux pas donner l'impression d'être dramatique ou quoi que ce soit. Et puis j'aime bien l'idée d'être sur un ring de boxe sur la pochette de mon album. Je trouve ça génial !

C'est plutôt cool, en effet…
Eli : Ouais ! La photo a été prise dans une vieille salle de boxe à Brooklyn. Dans ce milieu, il faut se battre sur tout, tout le temps. Toujours…

Ce nouvel album s'appelle « My way home », comment décrirais-tu cette « maison », musicalement parlant ?
Eli : Il y a plusieurs façons pour un artiste d'avoir du succès et de gagner sa vie même si les salles ne sont pas pleines tous les soirs. Mais c'est toujours difficile. C'est difficile de trouver « une maison », je ne sais pas, j'aimerai avoir une réponse…

Les paroles sont parfois très sérieuses, je pense à une chanson comme « What have we done »...
Eli : Je ne voulais pas faire un disque politique, mais je pense que l'on doit prendre nos responsabilités quant à la façon dont on traite notre planète. Je voulais écrire un hymne. C'est un hymne pour aujourd'hui. Je pense qu'il faut que l'on dépasse tout cela. Je n'ai pas toutes les réponses aux questions posées dans la chanson et c'est justement le problème, on ne sait pas…

En écoutant le nouvel album j'ai eu l'impression que tu t'étais réconcilié avec ta musique. Sans vouloir te vexer, je n'ai pas aimé l'album précédent « Nights like these » sur lequel j'ai eu du mal à te reconnaître…
Eli : C'est dommage mais je comprends, pas de problème. Ce disque (Nights like these, ndlr) je l'avais fait moi-même, j'avais écrit toutes les chansons, il y a beaucoup de moi-même dedans. Je voulais faire un disque différent, repousser les limites, ne pas toujours sortir le même album. Et je suis heureux de l'avoir fait, quoi qu'il ait pu se passer par la suite. J'aurais aimé avoir l'opportunité de le promouvoir plus, parce que je l'aurais fait. Honnêtement, ce n'était pas forcément la musique que j'aurais fait naturellement mais cela ne signifie pas que c'était une mauvaise idée. Parfois, il faut se pousser soi-même hors de sa zone de confort. Ce nouveau disque, en revanche, ressemble à ce qui me vient naturellement quand je commence à jouer et à chanter. Ce qui est très bien. Il y a une place pour chaque chose et sans challenge, un artiste ou un musicien stagne et sort de mauvais disques. Arrivé à ce point de ma carrière, il fallait que je retourne vers quelque chose que je savais faire…



As-tu été d'une certaine manière influencé par le rock n'roll ? Il y a un sentiment d'urgence qui se dégage de certaines chansons comme « The strangest thing » ou « A few more days »…
Eli : « The strangest thing », c'est un gospel, une chanson d'église (rires) ! J'aime bien les Sonics et les trucs comme ça. L'album est un peu trash, mais je ne dirai pas que c'est mon influence majeure pour autant. Je n'écoute pas trop de rock n'roll.

Peux-tu nous parler de ton engagement auprès du programme « Gospel for teens » ?
Eli : C'est un programme, à Harlem, avec lequel je travaille depuis trois ans. J'enseigne les quartet gospels aux jeunes. C'est un cours un peu mouvant, certains gamins sont là depuis le début et d'autres arrivent en cours de route. J'ai des nouveaux gamins à chaque cours. Travailler avec ces gosses, c'est une leçon d'humilité et c'est aussi très excitant. Ils sont super talentueux et très marrants. J'adore ça ! Et j'ai aussi beaucoup appris sur la musique par la même occasion. Cela m'a obligé à réfléchir sur la façon dont tout s'imbrique. L'harmonie, tout ça. C'est une expérience très positive à tout points de vue.

Et penses-tu que tu avais besoin d'une expérience de ce genre après tes déboires avec le business ?
Eli : Je le faisais déjà avant. Et ça m'a sauvé en quelque sorte. Je n'avais plus grand-chose à faire après l'épisode « Warner Bros »…

Travailler avec des enfants, c'est un moyen de payer ta dette, de rendre quelque chose à la musique ?
Eli : Oui bien sur. Personne n'enseignait la musique des quartets à ces gamins. Ce genre particulier de gospel. C'était important, dans mon esprit, de donner une voix à cette musique. Le gospel ce n'est pas uniquement les grands chœurs. Moi j'aime les petits groupes.

Je t'ai vu plusieurs fois en concert avec ton ancien groupe The True Loves et je me souviens en particulier de ce concert au Trabendo avec les Right Ons. C'était la dernière date de la tournée et une grosse fiesta sur scène, c'était marrant. A-t-il été difficile de se séparer des True Loves, vous sembliez être très amis ?
Eli (sourire pensif) : Le groupe ne s'est jamais séparé en fait. C'est le même groupe, les mêmes personnes. C'est juste que maintenant on ne s'appelle plus les True Loves. C'étaot juste un truc qu'on avait monté comme ça, il n'y a jamais vraiment eu de groupe. Mike (Montgomery, basse, ndlr) et JB (Flatt, claviers, ndlr) qui vont jouer avec moi ce soir ont été dans les True Loves. Tous ces mecs sont mes amis.



Te sens-tu toujours proche de la ville de Boston ?
Eli : Oui, j'y retourne tout le temps. Je n'y ai plus de famille personnellement mais du côté de ma femme, ils sont tous de Boston. Je collectionne les 45 tours de soul et de gospel des groupes de Boston. J'en ai toute une collection spécifique. Il y en a beaucoup. En fait non, pas tant que ça mais suffisamment pour m'occuper. J'adore Boston mais j'adore aussi vivre à New York qui est devenu ma maison maintenant. J'y vis depuis dix ans, c'est une grande partie de ma vie d'adulte. Boston reste un endroit avec une signification spéciale pour moi.

Pour finir sur une note légère, il y a quelques années tu chantais « I'm gonna break every heart that I can » (je vais briser tous les cœurs possibles, ndlr). Comment ça a marché pour toi ?
Eli : C'était une reprise !

Oui je sais c'est une chanson country…
Eli : C'est Merle ! (Haggard, ndlr)

D'ailleurs, il nous a quitté il y a peu (le 6 avril 2016, ndlr)…
Eli : J'étais un grand fan de Merle. Je veux faire un album entier de reprises de Merle Haggard. Je pense que je vais vraiment le faire un jour !

Et donc pour en revenir à ma question, comment ça a marché pour toi (rires) ?
Eli : Oh tu sais, j'étais déjà marié à l'époque (rires)...

Propos recueillis le 3 juin 2016.


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