« Hypernuit » est un album très épuré, musicalement parlant. As-tu laissé un peu de côté la musique pour te concentrer sur la voix ?
Bertrand Belin : Il y a une évolution au niveau de la voix, mais je n’ai pas mis de côté la musique pour autant. Le disque est surtout déserté par les arrangements mais pas par la musique j’espère. L’instrumentation est plus réduite que sur les disques précédents ce qui permet de mettre la voix à une place peut-être un peu meilleure.
Tu as travaillé la voix et sa mise en valeur ?
B.B : Opérer ce genre de réglage ça fait partie des choses que j’ai mis en œuvre pour que la voix soit mieux considérée sur ce disque. De là à dire que j’ai travaillé la voix, le larynx… Non je ne l’ai pas fait particulièrement à part en me couchant tard et en fumant…
Et est-ce que tu as trouvé ta voix finalement avec cet album ?
B.B : Je ne sais pas. Il faudrait en reparler dans quinze ans. Je ne la cherche pas particulièrement, je ne me pose pas ces questions. C’est ma voix d’aujourd’hui…
Ton ambition avec cet album était de faire « un disque qui parle moins mais qui dit plus ». Que voulais-tu dire de plus par rapport aux fois précédentes et est-ce que tu as l’impression d’avoir réussi ?
B.B : Je ne voulais pas dire plus en termes de propos. Je voulais que le propos arrive jusqu’à son auditeur. Ce n’était pas le cas des précédents disques qui étaient assez volubiles avec des arrangements riches, au sens calorifique. Il fallait vraiment, vraiment (il insiste) passer du temps avant de se sentir concerné, de rentrer en résonance avec les textes. Ce qui me fait dire que ces disques (« Bertrand Belin » en 2005 et « La Perdue » en 2007, NDA) étaient bavards. Une logorrhée n’arrivant nulle part. Celui-ci dit plus par ce que je le trouve plus limpide, plus clair. Il s’adresse mieux. Et en s’adressant mieux, il dit plus…
Simplifier les arrangements donne-t-il un album plus simple à enregistrer ?
B.B : Non, en fait je n’ai pas simplifié les arrangements, je n’en ai quasiment pas mis. Maintenant cela ne rend pas l’album plus facile à enregistrer. Cela nous accule à une attention de tous les instants. A être plus exigent sur la captation live des morceaux. Toutes les chansons ont été enregistrées, à quelques exceptions près, dans leur véritable temporalité, les musiciens jouant simultanément. Live en studio. On savait que les chansons n’allaient pas passer par une étape d’arrangement, on n’allait pas mettre des enluminures avec ici des vents, ici des cordes, ce n’était pas l’objectif. Donc, il fallait trouver de la densité avec peu d’instrumentistes, assez peu d’outils. En fait, je pense même que c’est plus délicat d’enregistrer un disque dépouillé.
Le résultat est plus brut. Est-ce que cela implique d’être plus exigent au niveau de la composition, sachant que l’on ne pourra pas enjoliver les chansons ?
B.B : En tout cas, j’espère que l’écriture est meilleure que sur les disques précédents.
J’ai lu dans ta biographie que tu avais « souvent mis le casque sur les oreilles et chanté directement sans écrire ». Est-ce que les paroles sont plus difficiles à reproduire sur scène sans base écrite ?
B.B : Maintenant les textes existent et sont mémorisés. Donc cela ne change absolument rien qu’ils soient passés par le papier où pas. Pour moi la page à une influence. Le caractère graphique des mots posés sur une page m’influence au niveau du rythme même du texte. C’est un de mes défauts. Je ne voulais pas subir cette influence et c’est pour cela que je ne suis pas passé par la page. Je ne relis pas les chansons, même celles des précédents disques. Elles existent dans ma tête. Cela ne change rien au moment de les chanter sur scène.
Est-ce que tu as connu des pannes de textes pendant l’enregistrement, un blocage devant le micro ?
B.B : Non. Il ne faut pas croire que je suis entré en studio sans aucun texte. J’ai composé les chansons avant. Quand je suis arrivé en studio, les chansons étaient déjà finies. J’ai composé les chansons chez moi sur ma guitare. Et spontanément j’avais quelques minutes d’avance sur les mélodies et la musique. Et allons-y franco (il tape dans ses mains, enthousiaste), faisons un petit peu travailler les rouages du cerveau ! Surprenons l’imagination au moment où elle s’y attend le moins ! Et puis petit à petit, j’ai accumulé dans ma bouche et dans ma tête les mots qui sont devenus les paroles de la chanson. Seulement je ne les ai pas notées.
Je voudrais revenir sur la chanson « neige au soleil ». J’aime bien l’idée du désir amoureux évoqué comme une course poursuite entre deux personnes et « ton avance fond comme neige au soleil »…
B.B : Ce que tu as perçu de cette chanson s’y trouve mais il s’agit uniquement de son visage. Son mobile n’est pas tout à fait le même. Il est question de désir. Quand je dis avant ce soir je t’aurai touché la main c’est le grand soir, le soir de la vie, de la mort. Pas ce soir 19h. Des gens qui vivent ensemble toute leur vie ne se connaissent pas, ne se sont pas approchés pour autant. C’est faire le pari, avant de trépasser, d’avoir réussi à gagner l’autre. Essayer de percer le mystère de l’altérité. C’est une allégorie du défilement du temps. Il n’est de toute façon pratiquement question que de cela dans mon disque.
Tes paroles sont tout le temps à tiroir, avec toujours plusieurs interprétations possibles. C’est toujours un peu le cas dans la musique chacun trouve ce qu’il y cherche…
B.B : Le nombre de tiroirs est égal au nombre de gens qui y trouvent des tiroirs. Ma volonté n’est pas de disposer des pièges, des trappes et des tiroirs dans mes textes. Je ne choisi pas un sujet qui tout à coup va me mettre en marche pour écrire une chanson. J’écris, d’ailleurs comme on le disait tout à l’heure je n’écris pas mais je convoque, et du coup je laisse venir les obsessions. Et je découvre après ce qui me traverse et à l’air de me préoccuper.
Il y a un décalage ?
B.B : Je sais qu’il y a des chanteurs qui se décident un beau matin et tiens si j’écrivais une chanson sur les frontières, par exemple. Sur quelqu’un qui a du mal à passer une frontière. Un autre a envie d’écrire une chanson sur myspace, une chanson drôle. Moi je ne travaille pas comme cela. Je suis mis en mouvement, tout à fait modestement, par des injonctions intimes. Et comme je m’exprime, je constate par le résultat que je suis traversé et habité par certaines préoccupations, pas du tout originales d’ailleurs. En particulier la fuite du temps. J’ai le goût de l’anticipation. Je suis assez pressé d’être vieux. Je me demande comment ça se passe. Comment font les personnes âgées. Comment on vit. Comment on interagit avec le temps ?
J’ai trouvé « la chaleur » très originale. La façon dont le titre commence : « Qui, qui peut, qui peut me dire »…
B.B : Là c’est vraiment un jeu. Comme les cailloux du petit poucet. On découvre la chanson petit à petit. Il y a une fausse piste qui ne tient pas très très longtemps. « Qui, qui peut, qui peut dire, qui peut me dire ». Le vrai jeu commence avec la phrase d’après : « Que devient le pays ». Quand on s’arrête là on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’une considération réactionnaire. Que devient le pays, la France, tout fout le camp. Alors qu’il s’agit du paysage : « Que devient le pays, le paysage ». C’est un peu ludique. J’imagine que quand on entends cela on se dit, il y a un petit côté un peu malin. C’est la seule chanson où il y a un jeu de langue.
Une chanson qui prend des chemins de traverse…
B.B : C’est le cas de toutes je pense. Il faudrait peut-être pouvoir les ramener un peu dans un chemin moins serpentant de temps en temps.
Est-ce que tu n’as pas peur qu’on se perde un peu…
B.B (ferme) : Ah mais, vous vous débrouillez ! Vraiment je n’ai absolument pas peur, si vous vous perdez, perdez-vous ! Se perdre, c’est un art de vivre !
Musicalement, quelles ont été les influences sur ce disque, la country ? Le folk ?
B.B : Je ne fais pas un disque avec des influences. Et puis après un autre disque avec d’autres influences. Et ainsi de suite. La matière musicale de ce disque est clairement la guitare. Et la guitare, c’est la pop music, le rock, c’est anglo-saxon. Donc je pratique une guitare anglo-saxonne. Et pour composer, je me débrouille avec cette guitare. Comme tous les musiciens font, avec assez peu de vocabulaire disponible et peu de potentialité d’invention pure. De recomposer à l’envers à l’endroit les formes que l’on connaît depuis toujours et d’essayer d’en ressortir quelque chose qui aurait un petit peu de régularité. Et ce bagage musical est le mien depuis que j’ai commencé à jouer de la guitare à l’age de 14 ans. Comme beaucoup de Français, j’ai écouté de la musique américaine depuis mon adolescence. C’est la musique qui m’a nourri comme beaucoup d’autres. Mais il y a aussi quelque chose qui viendrait de l’horizontalité de l’impressionnisme français. De la musique du début du siècle dernier. Ca se trouve dans mes influences sans prendre forme sur le plan de la partition. Ce qui était le cas sur mes précédents albums où les cordes et les vents étaient arrangés en réponse à une fascination pour l’orchestre. Là, j’ai retranché tout ça mais j’espère que demeure le rythme, une bonne vitesse de déploiement de la musique. Qui elle vient de la musique orchestrale du début du siècle.
J’ai lu dans ta biographie que tu te considérais comme « le haut parleur » de tes textes, est-ce que tu as travaillé l’interprétation comme un acteur travaille un rôle ?
B.B : Non ce n’est pas dans ces termes là. J’ai cherché être en contact avec ce que j’ai à dire sur le plan physique et vocal. Les textes que j’écrivais jusqu’alors étaient denses, volubiles et plein d’afféterie. Quelque chose de clinquant. Je suis assez sévère (son visage se ferme). Dans le fond je les aime encore. Je me rappelle que j’ai eu du plaisir à les écrire et à les chanter. C’est toujours le cas, mais c’est difficile pour moi de les chanter par ce qu’il y avait quelque chose qui était de l’ordre du débit. Physiquement parlant. C’était difficile de rentrer en contact avec ces chansons. Et puis, je fais tout un peu tard. Je suis à une étape de mon cheminement vers un idéal. Je serai toujours en mouvement vers cet idéal. Ce qui comptait pour moi, là, c’était que les mots qui sortaient de ma bouche puissent connaître un peu le risque de la chute. Qu’ils aient suffisamment de poids pour éventuellement tomber par terre. Alors que mes textes d’avant, sortaient de ma bouche et flottaient dans l’air comme un espèce de fumée. Il y avait un voile de pudeur disposé dessus un peu trop souvent. Et pourtant ils recèlent des choses qui comptent pour moi et que l’on retrouve dans les dernières chansons. Il fallait mobiliser plus d’efforts pour les apprécier.
Est-ce que Hypernuit est un album lettré ?
B.B : Moi je ne suis pas lettré, je ne pense pas que mes chansons soient lettrées. Je ne sais pas trop ce que cela veut dire « lettré ». Je n’ai pas fait d’études de lettres. On peut voir qu’il y a une attention particulière portée au texte et à sa nature dans le sens où je n’emploie pas une langue orale, comme celle que l’on utilise pour s’exprimer dans la rue. Ce n’est pas non plus des slogans publicitaires.
L’album est-il automnal ?
B.B : J’ai toujours eu envie de faire un disque automnal. Je n’y suis pas encore arrivé. Mais je suis assez aidé par ce qu’Hypernuit est sorti la veille de l’automne. Sa date de sortie va peut-être l’aider à s’inscrire comme un souvenir d’automne pour les gens qui l’auront écouté. J’aimerais bien qu’il le soit. Je suis très attentif à l’avis de mes amis, de mon entourage. On m’a dit qu’il était assez lumineux, gorgé de lumière. D’autres, au contraire, ont l’impression d’être tapi dans une maison au milieu d’un bois dans une espèce de nuit scandinave. Moi, je pense que c’est un disque hivernal.
C’est un disque du soir en tout cas…
B.B : Oui, oui. C’est aussi pour cela qu’il est hivernal par ce que le soir tombe plus tôt en hiver. On peut l’écouter plus vite (rires).
Un grand merci à Bertrand Belin et à Ephélide.
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Propos recueillis le 22 septembre 2010.
Merci pour l'itw... vraiment très bien. Disque automnal/hivernal à donf, je confirme.
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