dimanche 19 octobre 2025

Dafné Kritharas, Festival de Marne, Théâtre Romain Rolland, Villejuif, 10 octobre 2025.

Artiste fascinante s’il en est, Dafné Kritharas, née d’un père grec et d’une mère française, fait de sa musique un voyage tenant à la fois de l’introspection familiale (le chant en grec à la recherche d’un père trop tôt disparu) que du pont tendu entre les cultures. Si la chose émeut sur disque (elle a déjà sorti 3 albums) c’est sur scène que la musique de Dafné prend réellement à la gorge. Chanteuse remarquable aux impressionnantes capacités vocales, c’est sur scène, pieds nus, que Dafné irradie, au milieu de ses musiciens. Elle virevolte, tournoie et danse, solaire bien que toute de noir vêtue. Et si ses chansons évoquent des destins tragiques, c’est pour mieux rayonner par la suite, comme une lueur d’espoir, la proverbiale lumière au bout du tunnel. L’espoir c’est bien là le maître mot, que la chanteuse trouve dans des mélodies ensoleillées, chaudes et rougeoyantes comme le soleil se couchant sur la mer Egée. Contrebasse (Pierre-Antoine Despatures) et batterie (Milàn Tabak) offrent une assise rythmique remarquable, parfois rehaussée de percussions orientales et empruntes de swing jazz. Au piano, Camille El Bacha révèle une personnalité musicale aventureuse, ses doigts défilent sur le clavier avec émotivité entre classicisme et électro. Enfin, derrière sa Stratocaster rose, le guitariste Louis Desseigne est la dernière pièce du puzzle et peut-être bien la plus versatile. Sa guitare se faufile dans l’improbable espace qui sépare les gammes arabisantes des (rares) éclairs rock. Prise dans sa globalité la formation dégage une force impressionnante qui semble faire vaciller la chanteuse. Dans le feu de l’action cette dernière dégage un charisme fou et paraît comme emportée par la musique, tourneboulée, parsemant son chant de cris d’encouragement vers les musiciens comme vers le public. Elle est tout aussi remarquable dans un registre plus dépouillé, piano/voix, intime et émouvant, en grec ou en français. Le concert se vit comme une grande fête, une bacchanale où le public est invité à danser sur scène lors du dernier rappel, dans la joie et la liesse. La musique, c’est la vie semble nous dire la chanteuse.

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Robert Finley, La Cigale, 9 octobre 2025.

En à peine dix ans de carrière, Robert Finley, s’est imposé comme un acteur majeur de la scène blues actuelle. Il faut dire qu’avec 71 printemps au compteur, l’homme n’a plus guère de temps à perdre. Les albums s’enchaînent avec une régularité métronomique que le chanteur semble prêt à défendre sur scène coûte que coûte pendant le temps qu’il lui est imparti. Ainsi donc ce soir, c’est la scène de La Cigale, quasiment complète, qu’il investit en compagnie d’un groupe remarquable de cohésion. Guitare, basse, batterie, claviers, affichant des looks de cow-boys, ainsi que sa fille, la chanteuse Christy Johnson. Comme le veut la coutume bien rodée dans ce genre de concert soul et blues, c’est au groupe seul qu’il appartient de chauffer la salle avant l’entrée en scène, triomphale, du chanteur. Et on chavire sous le groove dès les premières secondes sous les roucoulades soulful de l’orgue. C’est parti pour une heure et demie de régalade entre blues, soul et gospel. Les contre-chant poignants de sa fille Christy Johnson font basculer le concert dans la ferveur du gospel alors que le groupe pratique un groove expert et fort en bouche grâce aux interventions sublimes de la guitare et des claviers le long de soli inspirés. Sous son chapeau de cow-boy, Robert Finley n’est pas en reste, sa voix rocailleuse est à elle seule une voyage dans sa Louisiane natale, et il imprègne le concert affichant et la sagesse du vétéran (ses interventions parlées sont justes et émouvantes) et la jeunesse de ses 71 ans sautant à tout va dans une débauche d’énergie salvatrice. C’est beau et émouvant, profitons-en au maximum tant qu’il est là.

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dimanche 12 octobre 2025

L’Ambulancier, CSC Réberioux, Créteil, 4 octobre 2025.

Dès les premières secondes, Palem, a.k.a l’Ambulancier, annonce la couleur : « On va vous emmener en voyage dans une ville en Amérique, bienvenue à Manhattan ». De fait L’Ambulancier, déjà auteur d’un album d’un EP, tout deux très réussis, s’impose comme un projet entre-deux. Entre deux courants musicaux tout d’abord où cohabitent des guitares grunge héritées des années 90 et une batterie électronique, ainsi que des claviers, évoquant plutôt la synthwave de la décennie précédente, celle des années 1980. Une somme d’influences sommes toutes très anglo-saxonnes, entre les deux rives de l’Atlantique, mais, là encore, compensées par des paroles en français évoquant une ambiance urbaine et nocturne à bord d’une ambulance sillonnant à toute blinde les rues d’une mégalopole imaginaire : le french Manhattan. Une atmosphère survoltée donc parfaitement rendue par des musiciens très efficaces et qui se donnent à fond. Palem, le chanteur n’est pas le dernier à donner de sa personne, éructant et sautant dans tous les sens arpentant la scène de long en large. Carré et efficace, le groupe nous fait passer un excellent moment, s’essayant même à un moment donné au flow hip-hop avec une maîtrise aléatoire. Il s’agît là du seul (léger) bémol à une prestation par ailleurs excellente de bout en bout.

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samedi 4 octobre 2025

Tyger Tyger, Théâtre de l’Île Saint-Louis, 3 octobre 2025.

Après une année d’absence, Tyger Tyger, le projet baroque réunissant Laure Slabiak (BlauBird) et François Puyalto, fait son retour sur scène, dans le magnifique écrin du théâtre de l’Île Saint-Louis renaissant, nichée sur les bords de la Seine. Avec ses poutres apparentes en bois ancien au plafond et sa jauge intime dépassant à peine la cinquantaine de spectateurs, le Théâtre de l’Île Saint-Louis est le parfait écrin pour le spectacle du soir qui se vit comme un véritable voyage dans le temps. Les murs, rouges, anciens, du théâtre respirent le passé, le vécu, et vibrent à l’unisson du répertoire du duo reprenant des airs allant du 16ème (« L’ombre de mon amant ») au 20ème siècle (Barbara, Bashung, Gainsbourg et même Johnny Hallyday, si si!) Avec la grâce qui habite le moindre de ses mouvements et la distinction qui la caractérise, BlauBird est parfaite dans l’exercice. Ses capacités vocales, formée à l’école de l’art lyrique, lui permettent de renouer avec un contexte classique tout en s’en éloignant, et collent parfaitement au répertoire même lorsque ce dernier traverse la Manche (« Tyger Tyger » le poème de William Blake qui donne son nom au projet ou « Cold and Raw », une chanson traditionnelle anglaise du 16ème). Non seulement le chant de BlauBird est émouvant (une habitude) mais cette dernière est également drôle dans ce contexte particulier. Le spectacle n’est pas un simple concert mais est mis en scène, alternant chansons, textes parlés et mini sketches qui en disent long de la complicité musicale unissant ces deux-là. Car le spectacle ne serait pas une telle réussite sans l’apport fondamental de François Puyalto. Sa basse acoustique apporte une coloration folk à l’ensemble (il joue d’ordinaire en électrique) et son jeu formé au jazz, explore des gammes inédites d’une extrémité à l’autre du manche et se lance dans des embardées sauvages, empreintes de swing, slappées, jouées en accords ou en arpèges. Sa voix éraillée incarne également le parfait contrepoint du timbre raffiné de BlauBird. Enfin, la paire a assuré le représentation du soir sans la moindre amplification, point de micro ni d’ampli (la jauge réduite du lieu s’y prête particulièrement bien), et la performance à elle seule mérite d’être saluée. La musique du duo emporte l’auditeur et évoque la classe, la distinction et l’élégance d’une époque révolue.

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vendredi 3 octobre 2025

Bertrand Louis : « Stéréotype(s) »

 


Après avoir mis en musique la poésie, au fil d’albums consacrés à Baudelaire, Verlaine ou Muray, Bertrand Louis s’est décidé à observer le monde, son évolution et les travers y afférent (réseaux sociaux, écriture inclusive, militantisme écologique etc...) Après une période de réflexion l’artiste a enregistré ce nouvel album, seul, avec pour seuls compagnons ses claviers, sa guitare et diverses programmations. Bertrand s’est également amusé avec l’intelligence artificielle, pour générer d’improbables voix robotiques qui parsèment l’album d’injonctions comminatoires. Aussi improbable que cela puisse paraître le résultat est très réussi et fait basculer l’album dans une autre dimension, une terra incognita musicale, brossant un portrait acide et peu reluisant de l’époque. Il se dégage de ces chansons une ironie mordante, comme un portrait en creux épinglant l’idiotie et la bêtise actuelle en utilisant les mêmes termes que ces dernières ("Phobe"). C’est au travers de cet immense miroir déformant que Bertrand Louis observe le monde au point de flirter avec des imprécations orwelliennes (l’expression « Police de la pensée » est citée dans la mordante « Tavuskiladi ! »). On trouve dans cette dérision une forme de réconfort. Grinçant mais surtout drôle.

En concert le 15/10 à la Manufacture Chanson.

http://www.bertrandlouis.com/






jeudi 2 octobre 2025

The Delines + Johnny Irion, Supersonic Records, 30 septembre 2025.

C’est un magnifique plateau americana qui a été réuni en ce mardi soir sur la petite scène du Supersonic Records. On débute avec le méconnu (dans nos contrées) Johnny Irion qui, au vu de sa sublime prestation du soir, a tout pour devenir l’héritier le plus crédible de Neil Young. En effet Johnny possède un grain de voix de tête aussi léger que celui de son modèle et alterne, comme lui, titres poignants acoustiques et assauts rock brutaux avec un égal bonheur. Du country folk au rock massif chargé en décibels, tout lui réussit pratiquant le grand écart musical avec autant de brio qu’un Jean-Claude Van Damme. C’est enivrant ! Superbe découverte pour la majorité du public, une poignée d’initiés se souviendront qu’il avait déjà arpenté les scènes de la capitale, au sein de son groupe Dillon Fence, en 1995 en première partie des Black Crowes.

https://www.facebook.com/johnnyirionmusic

Scandaleusement méconnus également, The Delines, est de retour après un premier passage dans la capitale en 2022. Mettant à profit un line-up relativement atypique, incluant claviers et trompette, pour ce genre de musique racinienne, The Delines offre un regard particulier sur la musique étasuniennes. Empreinte d’envolées jazzy (cf. la trompette) et instaurant un climat apaisant grâce aux nappes synthétiques, la musique des Delines se veut contemplative et autant planante qu’évocatrice des grands espaces d’outre-Atlantique. Ainsi, le quintet pratique un swing ouaté, tout en délicatesse, porté par la magnifique voix de sa chanteuse. Guitare et claviers se partagent la part du lion pour un rendu apaisant et impeccable de bout en bout.

https://www.facebook.com/thedelines


Robert Finley : « Hallelujah ! Don’t Let The Devil Fool Ya »

 


Mû par un désir irrépressible de rattraper le temps perdu, après des années à végéter, Robert Finley, 71 ans, ne s’arrête plus ! Un album tous les deux ans, environ, depuis sa rencontre avec son producteur fétiche, Dan Auerbach : son cinquième effort sort ces jours-ci. Quel destin extraordinaire que celui de Robert Finley, consacré sur le tard ! Ce nouvel album ne déroge pas à la règle, il est excellent ! Accompagné par sa chanteuse de fille, Christy Johnson, auteure par ailleurs de contre-chant poignants, Finley livre un album habité par le blues, le gospel et la soul. Seulement huit titres au programme, mais quels titres ! Dépassant les sept minutes, les compositions propagent une fièvre contagieuse, habitées par la foi, hypnotiques et entêtantes. Ce qui n’empêche pas ces nouvelles chansons de pousser les aiguilles dans le rouge à l’occasion (« Holy Ghost Party »), portées par ce son caractéristique concocté par Auerbach et mettant magnifiquement en valeur le grain de voix, cassé et respirant le vécu, de Robert Finley. Une fois encore, le résultat est irrésistible.

Sortie le 10 octobre.

En concert le 9 octobre à La Cigale.

https://www.facebook.com/RobertFinleyMusic