samedi 31 mai 2014

Yasmine Kyd : « Mythical Creatures »



Au commencement était Yasmine Kyd, une chanteuse au timbre sensuel située au confluent, particulièrement élégant, du jazz et de la soul music. A l'image de son métissage, Yasmine mâtine son jazz d'influences diverses, les scratches assurés par Wilco sur la première plage « Get by, get by » apportent une note nu soul agréable, l'amalgame prenant bien. Ailleurs ce sont les percussions qui font voyager la musique tantôt vers l'Amérique Latine (« The Clones »), tantôt vers le Maghreb (« Perfect Morning »). D'une beauté intemporelle, à la fois moderne (« William ») et classique, à défaut d'être foncièrement original, le disque est la bande son idéale d'une soirée paisible lové dans un canapé : « Till December », « I love the Man », le piano acoustique de « The woman in the corner », sont autant de petites bulles de douceur. Sobre, l'album ne demande qu'à vous transporter, une petite heure durant, vers un monde voluptueux. Succomberez-vous à son charme ? On parie que oui...


mardi 27 mai 2014

Broods EP


 
Première livraison de six titres pour ce tout jeune duo, composé d'un frère et de sa sœur, venu de Nouvelle-Zélande. Broods évolue dans un registre électro mélodique en apesanteur qui n'est pas sans rappeler Lorde. La similitude est particulièrement prégnante au niveau vocal. Le chant est éthéré et les paysages sonores, relativement minimaux, peints par Broods sont empreints de délicatesse. Mais surtout Broods à le bon goût d'habiller son électro de sons organiques, de manière encore un peu trop parcimonieuse cependant. La greffe prend parfaitement sur la très belle « Taking you there », la meilleure plage de cette livraison inaugurale, hybride ente folk et électro. La suite de l'histoire s'écrira dès l'été prochain avec la sortie du premier album de la fratrie.

dimanche 25 mai 2014

Misterwives : « Reflections EP »



Composé de six plages toutes autour des trois minutes, l'ep des Misterwives à le mérite d'annoncer tout haut la couleur : le tout jeune trio vise le sommet des charts. De fait les compositions sont rudement bien menées, tambour battant, dans un style pop girlie grâce à la voix gracile de la chanteuse Mandy Lee. C'est gai, joyeux, entraînant (à l'exception de « Coffins » plus sombre tout en étant loin des abysses), les amateurs de pop FM seront aux anges. Les rockeurs purs et durs par contre feront la grimace et reprocheront au trio un manque de nerfs, des arrangements trop axés autour des claviers (« Kings and Queens ») et autres trompettes et, surtout, des guitares, vaguement funky (la discoïde « Imagination infatuation »), reléguées au second plan rythmique. L'ensemble sonne tout de même un peu trop teenage pour être honnête...
 

dimanche 18 mai 2014

Cascadeur : « Ghost Surfer »



Personnage énigmatique dont on ne connaît pas le visage et très discret sur son état-civil, éternellement casqué d'un heaume de pilote de chasse, Cascadeur est de retour avec son deuxième effort intitulé « Ghost Surfer ». A croire que les musiciens casqués deviennent peu à peu, une spécialité chez nous. Pour son deuxième album Cascadeur (a.k.a Alexandre Longo) à mis les petits plats dans les grands et convoqué une pléiade d'invités prestigieux : Tim Smith, Eric Pulido (Midlake), Stuart A. Staples (chanteur des respectés Tindersticks), Christophe ou bien encore le trompettiste de jazz Méderic Collignon entre autres, preuve d'un remarquable éclectisme musical. Lorsque cela marche, Cascadeur touche au paradis : la folk rêveuse de « Visage Pale », l'accroche du morceau titre « Ghost surfeur » où la très belle « Collector », seul titre en français, avec Christophe ont toutes un potentiel tubesque évident. Malheureusement, Cascadeur a aussi été trop gourmand, 16 titres et plus d'une heure de musique, c'est beaucoup voire trop. Pas évident de tenir la distance. D'autant plus que Cascadeur évolue dans un registre pop rêveur où les nappes synthétiques le dispute aux cordes et autres pianos dans une ambiance mâtinée de mélancolie sur des tempi relativement lents. L'auditeur pris au piège dans une sorte de sensation lénifiante finit par décrocher sans vraiment le vouloir, sans que la musicalité de la chose soit remise en cause. Si un peu de variété n'aurait pas été de trop, l'album aurait vraiment gagné à être plus court...



Bosco Delrey : « The Green Tiger's Alibi »



Deuxième album pour Bosco Delrey, l'exilé du New Jersey quelques mois après les quatre titres du « Egyptian Holed Up » EP, envoyés en éclaireur en fin d'année dernière ; titres que l'on retrouve sur ce disque. Les deux premières plages (« I wonder so »/ « Egyptian Holed Up ») sont d'ailleurs les mêmes que sur l'EP mais dans le désordre. « The Green Tiger's Alibi », donc, un disque difficile à appréhender, aux contours fuyants multipliant les fausses pistes. Il ne fait pas de doute que notre homme Bosco est un rockeur, un vrai de vrai, aux racines solidement ancrées dans la surf music et le rock n'roll des pionniers. C'est d'ailleurs dans ce registre, celui des « Skippin' like a 45 », une vrai petite bombe soit dit en passant, « Love is so elite » ou « 2020 Beware », qu'on le préfère. Mais, afin de rendre la chose plus fun, Bosco s'amuse à pervertir son rock n'roll d'influences venus d'ailleurs ou de synthés millésimés. « While in Wile out » et « I wonder so » sonnent new-wave, ce dernier titre rappelant un peu les Cure dans une sorte de grand voyage à travers les époques. Grâce à son sampler Bosco accouche le temps de « Egyptian Holed Up » d'un prototype pop exotique ensoleillé. D'une manière générale, les arrangements, les intros (souvent à base de synthé 80s) ont été particulièrement soignés et permettent de faire la différence avec le tout venant du revivalisme rock n'roll. Conseillé.



samedi 17 mai 2014

Interview avec The Craftmen Club




Débarqué d'un train bien matinal en provenance de sa ville natale de Guingamp, les trois-quarts du Craftmen Club (le bassiste Marc Corlett est excusé), évoque son nouvel album « Eternal life », le premier depuis 2009, avec de grosses cernes sous les yeux et beaucoup d'humour. Manière de faire relâcher l'énorme pression procurée par l'enregistrement de ce dernier...
 
Que s'est-il passé depuis 2009, date de sortie de l'album précédent ?
The Craftmen Club : Pas mal de choses (soupir)...
 
Si on en croit la biographie, l'enregistrement de ce nouvel album a été long et difficile, le groupe a failli se séparer...
Steeve Lannuzel (voix/guitare) : C'était une ambiance un peu chaotique. On a été toujours évolué comme ça. Finalement c'est une façon de travailler qui nous convient au grand désespoir d'autres personnes autour (rires) ! C'est notre fonctionnement. Et je pense que c'est pour cela que l'on a pu garder une certaine tension dans notre musique.
 
Il y a eu aussi un changement de personnel avec l'addition d'une deuxième guitare. Cela vous a-t-il apporté de nouvelles perspectives ?
S.L : Avant on jouait avec des samples, des machines. On s'en servait pour doubler les guitares, les banjos. On a décidé d'humaniser notre approche. Le nouveau guitariste était notre bassiste avant. Il nous a jamais trop quitté en fait...
Mikaël Gaudé (guitare) : Un petit peu quand même. Sept ans ! (rires).
S.L : Enfin il a toujours été dans les alentours. Les nouveaux morceaux aussi étaient plus adaptés pour deux guitares.
Yann Ollivier (batterie) : Cela permet des ambiances différentes. Et puis on est aussi beaucoup plus libre. Le sample, ça te bloque. Tu es obligé de le suivre.
S.L : On a quand-même gardé cet esprit cyclique. En y rajoutant plus de sons.
M.G : C'est un déblocage harmonique en fait. Ta grille d'accords est contrainte sur le sample. Il n'y a pas quinze mille choix possibles sur les notes.
Y.O : On ne reste pas du début à la fin sur la même note. C'est bien.
S.L : On fait comme Christophe Maé (rires) !
 
Mikaël, comment s'est passé ton intégration dans le groupe ?
M.G : C'est plus une réintégration en fait. Ou une désintégration, il faut voir (rires) ! J'étais à la basse sur tout le premier album (« I gave you orders never to play that record again », 2005). Je suis parti juste après mais j'ai quand-même tourné pendant un an et demi avec Yann et Steeve. Mon autre projet (Rotor Jambreks, ndlr), s'est retrouvé sur le même tourneur, on a fait plusieurs plateaux ensemble. On ne s'est jamais perdu de vue. J'ai eu rapidement l'impression de revenir à la maison. Je connais les repères et je sais comment marche la machine.
Y.O : On marche sous tension (rires) !
S.L : Le chaos créateur (rires)!
 
Toutes ces sonorités coldwave, c'est assez nouveau pour vous même si les influences ont toujours été là...
S.L : Ca s'est fait assez naturellement. De toute façon on cherchait à fuir « Thirty six minutes » (l'album précédent du groupe, sorti en 2009, ndlr). Dans le sens où on ne voulait pas retomber dans le banjo, refaire un album identique en peut-être moins bien. On voulait vraiment repartir sur autre chose. On a toujours fait ça finalement. Il y a une évolution entre les deux premiers disques, une évolution qui se prolonge maintenant. On voulait vraiment marquer quelque chose de différent.
Y.O : Beaucoup de groupes font un album puis refont la même chose mais en moins bien puisqu'il n'y a plus l'effet de surprise. On ne voulait pas tomber dans le panneau. Là on a un fait un virage musical et on crée la surprise.
 
C'est aussi comme ça que les groupes se créent une identité musicale...
S.L : On est toujours à la recherche de quelque-chose. Après, je ne dis pas que pour le quatrième album on ne vas pas retourner vers « Thirty-six minutes » ou faire autre chose. Quoi qu'il en soit, on va tout le temps essayer d'évoluer en changeant les sons. Changer d'univers.
Y.O : Christophe Maé nous a déjà écrit cinq chansons en ré mineur (rires) !
S.L : Toi tu vas nous attirer des ennuis ! (rires).

Il y a aussi comme un point d'équilibre entre les rythmiques quasi robotiques, la batterie qui sonne quasiment comme une boîte à rythme et les guitares qui sont très organiques et très rock...
S.L : C'est un choix de production. On voulait ce genre son, très mécanique.
Y.O : Les morceaux ont été faits aussi à partir d'une boîte à rythme. On a remis la batterie dessus après.
S.L. : Il fallait freiner les egos du bassiste et du batteur (rires) ! Les guitaristes sont nickels, il n'y a rien à redire. Le chanteur aussi est impeccable (rires) !

Yann, est-ce que tu pourrais nous préciser la façon dont tu as travaillé sur ce disque ? Le son est vraiment sourd et assez impressionnant sur « Vampires » et « If you walk straight »...
Y.O : C'est surtout un travail de compression au mixage.
S.L : Les mixes ont été hyper vite. On a travaillé avec les États-Unis par mail.

(c) Christophe Sergent
 
Dans le livret vous êtes tous crédités avec des numéros de série...
S.L : Cela correspond aux thèmes des chansons. La déshumanisation du monde, des musiciens...
 
On peut mettre ça en relation avec le côté robotique de la musique ?
S.L : Tout à fait, c'est l'univers froid du disque. Une déshumanisation totale mais avec une vie éternelle. Dans la matrice.
 
Et pourquoi une ambiance aussi noire ? C'est un constat sur le monde, l'industrie du disque ?
S.L : Un peu tout ça, oui c'est l'ambiance du moment. On trouvait que cela collait vraiment avec les thèmes des chansons.
 
Et pour quelqu'un qui ne l'aurait pas encore écouté, vous le décririez comment ce nouvel album ?
Y.O : Froid.
M.G : Oui mais un peu chaud aussi.
S.L : Tiède !
M.G : Non pas tiède. Chaud-froid (rires) !
S.L : Je ne sais pas comment on pourrait décrire le disque.
 
Il y a aussi une tension sous-jacente qui dure tout l'album sans surjouer les décibels...
M.G : Je pense que c'est le travail de compression de la batterie pour ressembler à une boîte à rythme. Un truc un peu linéaire avec beaucoup d'impact.
S.L : Je pense qu'on s'est fait mal sur ce disque.

Mal ?
S.L : Humainement oui. Dans la création surtout. Ça se ressent à l'écoute.
Y.O : « Thirty six minutes » avait été également un album difficile à faire. Il y a eu beaucoup de clashes. On a toujours été comme ça. Travailler dans la tension, c'est notre truc. Après une fois que c'est fini on n'arrête pas de déconner... Ça se ressent naturellement dans la musique.



C'est terrible d'enregistrer avec vous...
The Craftmen Club (en chœur) : Ah oui (rire général) !
S.L : Je trouve que ça va. C'est juste dur d'aller au bout d'un projet. Quand tu écoutes de la musique, tu dois ressentir quelque-chose. Je ne pense pas que notre musique soit fade. Ça veut dire quelque-chose.
Y.O : La musique c'est une émotion. Si les gens la ressente c'est vachement bien, ça veut dire que l'on a réussi à la véhiculer.

Un petit mot sur « Vampires » ? C'est ma chanson préférée. J'aime bien le changement de volume quand les guitares se lâchent...
S.L : Ce morceau fait le lien avec « Thirty six minutes ». Quand « Thirty six minutes » est sorti, tout le monde, les journalistes n'ont pas arrêtés de me parler de Jon Spencer et de garage rock. Alors que je trouve qu'il n'y a pas une seule chanson sur le disque qui ressemble à du Jon Spencer. Par contre, « Vampires » pour le coup on a fait un morceau vraiment à la Spencer. C'est une transition. C'est le premier que l'on a fini. On la faisait déjà sur la tournée précédente. C'est une vieille composition.

Ce titre vous l'avez vu évoluer depuis ?
S.L : Oui bien sur. On l'a adapté aux autres titres...

Que devient le banjo ?
S.L. : Il est sur le premier titre.
M.G : Premier titre, premier couplet et c'est tout. Il est bien caché au fond du mix. Juste une corde.
S.L. : C'est un clin d’œil et un au revoir en même temps.
M.G : Et puis cela complétait bien la guitare sur ce passage là.

Propos recueillis le 20/01/2014.
Un grand merci au groupe et à Marion qui a organisé la rencontre.
http://www.thecraftmenclub.com/news.php
https://fr-fr.facebook.com/thecraftmenclub

mercredi 14 mai 2014

Jake Bugg : « Shangri La »



Lorsqu'il est apparu sur nos radars il y a un peu plus d'un an, le personnage de Jake Bugg (âgé de 18 ans à la sortie du disque) nous a autant fasciné par son talent naturel de songwriter qu'inquiété par la précocité de ce dernier. Ainsi notre chronique de l'époque se terminait en forme de question, y-aurait-il un jour une suite à ce petit bijou de premier album ressuscitant la lettre et l'esprit du Greenwich Village folk des années 1960 ? On est ravi dans un premier temps de répondre à cette dernière question par l'affirmative. Et ensuite qu'en-est-il de ce fameux « toujours difficile deuxième album » ? Dans l'intervalle Bugg a changé de stature, son shangri la (paradis sur terre) le jeune Britannique est allée le chercher outre-Atlantique. Le label n'a pas hésité à mettre les petits plats dans les grands en confiant son protégé au légendaire producteur Rick Rubin (un choix plutôt cohérent) lequel a fait jouer son carnet d'adresse au moment de l'enregistrement : aussi surprenant que cela puisse paraître Chad Smith (Red Hot Chili Peppers) officie derrière la batterie. Un album américain donc, rutilant comme une Cadillac : le son est énorme, les délicates compositions folk de Bugg s’accommodent assez imparfaitement de cette production carénée au millimètre. Si la finesse d'écriture est intacte, dans la manœuvre Bugg a perdu la rugosité qui faisait tout le sel de son premier effort. Comme si ce lissage intensif en avait gommé le charme. L'association entre le jeune fougueux et le vieux sage, dont on attendait monts et merveilles déçoit donc gentiment eu égard du pedigree (pour mémoire : Donovan et Johnny Cash entre autres...) et du savoir-faire de Rubin en la matière. La rencontre est cependant parsemée de quelques éclaircies « Me and you », « A song about love », la magnifique « Pine trees », la ballade country "Storm passes away" ou bien encore l'électricité contagieuse de « Kingpin ». Un album en demi-teinte ; mais gardons nous bien de tout jugement définitif à l'égard de Jake Bugg. La vingtaine à peine déflorée, ce dernier a (encore) tout l'avenir devant lui. Encore quelques disques de rodage et le monde sera à ses pieds...


lundi 12 mai 2014

Piano Club : « Colore »



Les Hollywood Porn Stars (définitivement ?) mis en sommeil, les différents membres du combo Liégeois profitent de l'éclipse pour s'évader vers des horizons beaucoup plus pop. On suit depuis quelque temps les aventures du guitariste Redboy au sein de My Little Cheap Dictaphone, et c'est maintenant au tour d'Anthony Sinatra (chanteur de HPN) de présenter son projet personnel Piano Club. « Colore », comme son nom l'indique, le disque chasse sur des terres pop et lumineuses. D'après le dossier de presse, cette collection de titres « résolument optimistes » serait « une bouffée d'air frais dans le paysage pop actuel ». Si à l'écoute rien ne contredit vraiment ces différentes assertions, la production souffre d'un ancrage trop profond dans les années 1980 (« On the wagon », « Me and Myself », « Ain't no mountain high ») au point de rappeler Jean-Michel Jarre (« The Captain ») et la pop fm de l'époque. Parfois la précision d'écriture et des arrangements fins, permet à la formule de fonctionner (l'accroche rythmique de « Wylem », la spatiale « A long time ago »). Les claviers sont à l'honneur, cependant, la formation ne fait que rarement honneur à son patronyme. « Synthétiseur Club » aurait été un nom de groupe nettement plus approprié...

www.facebook.com/pianoclub
En concert le 16 mai à Paris (Soirée longueur d'ondes au Pan Piper).

mercredi 7 mai 2014

Interview Minor Alps.




Rencontrer Matthew Caws, leader de Nada Surf depuis deux décennies, c'est comme faire un grand bond dans le temps. Depuis 20 ans notre homme a accumulé réussites, déceptions et surtout un bon paquet d'anecdotes. Il ne faut d'ailleurs que peu de temps avant que ces dernières ne découlent. Ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion d'interviewer un artiste que l'on admire et que l'on a vu une dizaine de fois en concert. Ce dernier se révèle être un mec simple et sympa. Un moment rare et privilégié dans un appartement parisien du quartier de la Bastille et l'occasion d'évoquer son nouveau projet Minor Alps, duo formé avec la chanteuse Juliana Hatfield...
 
Alors Matthew, après 20 ans avec Nada Surf, qu'est-ce que cela te fait de faire de la musique avec quelqu'un d'autre ?
Matthew Caws : C'est cool. Il y a dix ans, cela aurait été bizarre, je me serait senti coupable, comme si j'avais trompé le groupe ou quelque chose dans le genre. Mais bon après tout ce temps, c'est cool, j'ai le droit maintenant. Je ne dis pas ça méchamment, on dirait tous la même chose. C'est bien tombé, avec Nada Surf on avait de toute façon décidé de prendre une année de break. C'est bien de faire autre chose. Et puis je n'empêchais pas Nada Surf de travailler. Pour moi c'était très intéressant, j'ai beaucoup appris de travailler avec quelqu'un qui fait exactement la même chose que moi : chant et guitare. C'était un peu comme de se regarder dans un miroir.

Est-ce que tu as eu le sentiment de sortir un peu de ta zone de confort ? Avec Nada Surf vous faîtes de la musique ensemble depuis plus de 20 ans, vous vous connaissez par cœur, quelque part c'est confortable, sécurisant, notamment quand il faut présenter aux autres les nouvelles chansons. Alors qu'avec Juliana, c'est tout nouveau...
MC : Oui, mais j'ai peut-être un peu triché. J'ai trouvé quelqu'un avec qui j'ai beaucoup en commun alors se montrer les chansons les uns, les autres, c'était assez facile. On écrit beaucoup sur les mêmes sujets. C'est devenu assez confortable assez rapidement. Dans le studio par contre je suis sorti de ma zone de confort. Notre relation d'enregistrement n'était pas aussi établie qu'avec Nada Surf où on se comprends si bien. C'était là où était le vrai travail, mais c'était un joli travail !

Et alors comment s'est passé la rencontre avec Juliana ?
MC : C'était pour l'enregistrement de « I wanna take you home », une face B de l'époque de « Lucky » (Album de Nada Surf sorti en 2008, ndlr). C'était génial pour moi qui était un très grand fan des Blake Babies. Après je n'ai pas suivi toutes les étapes de sa carrière mais elle était toujours sur mon radar. J'avais vu les Blake Babies au CBGB en 1991 pour la tournée de « Sunburn » (sorti en 1990, ndlr), un disque que j'adorais. Et donc elle m'avait demandé de chanter sur une chanson à elle, « Such a beautiful girl » sur son album « How to walk away ». Une expérience très cool, on avait l'impression d'être de la même famille musicale, comme si nos ancêtres venaient du même village. Elle est venu plusieurs fois voir Nada Surf à Boston aussi. On ne se connaissait pas vraiment ceci dit.

Est-ce que cette collaboration t'as régénéré au niveau du songwriting ?
MC : Oui, un petit peu. Cette année j'ai fait beaucoup de collaborations, j'ai presque fini un disque avec Michael Lerner de Telekinesis, un super groupe soit dit en passant ! Je suis allé chez lui à Seattle, deux fois dix jours cette année. On cherche encore un nom pour notre groupe. J'ai aussi écrit un petit peu avec Carl Barât des Libertines et Dan Wilson de Semisonic. Ecrire avec les autres c'est quelque chose qui m'intéresse de plus en plus.

Ce qui est vraiment dingue en écoutant le disque, c'est que vos voix se marient vraiment bien ensemble, sur le final de « If i wanted trouble » notamment, un peu comme si vous étiez faits pour vous rencontrer... Qu'as-tu ressenti la première fois que tu as chanté avec Juliana ?
MC : C'était très fort. Après la sortie de son disque, elle m'a demandé de monter sur scène avec elle au Joe's pub à New York. On n'avait jamais chanté ensemble. Je veux dire, en studio, on est chacun dans une cabine et on chante des pistes à part, séparées. Donc, on avait répété un tout petit peu avant le concert, dans les escaliers, avec deux guitares électriques débranchées. Et là il s'est vraiment passé un truc. Après on s'est échangé des emails en se disant que l'on devrait faire un truc ensemble un jour. On aime vraiment chanter ensemble, harmoniser la même note. C'est marrant, comme nos voix sont vraiment similaires, c'est un peu comme faire du « double tracking », quand on double les voix en studio.
(c) Brad Walsh

Le nom du groupe t'a été inspiré par le Mont Ventoux, comment tu as découvert l'endroit ?
MC : Mes parents y allaient depuis les années 1970. Ils sont profs alors on avait de longues vacances. Ils avaient acheté un petit cabanon 2000 dollars sans eau courante et une seule prise d'électricité. Il n'y avait pas assez de place, ma sœur et moi on dormait dans des tentes. Je passais trois mois par an là-bas. J'en parlais avec une amie photographe Autumn Dewilde, je lui ai dis que cette montagne c'était comme des Alpes mineures. Géographiquement, c'est trop loin pour faire partie du massif Alpin mais d'un point de vue géologique, le Mont Ventoux fait partie des Alpes. Elle m'a dit de le noter parce que c'est un bon nom de groupe. Six ans après, Juliana et moi on ne trouvait pas de nom pour notre duo et c'est à ce moment là que je m'en suis rappelé. Une longue histoire (sourire).

Et tu t'inspires souvent de lieux géographiques comme ça ou de voyages pour écrire ?
MC : J'aimerais bien, si seulement... Mais en fait je m'inspire juste d'histoires éternelles. Mais c'est bien pour se changer les idées. Je suis frustré de me concentrer seulement sur l'intérieur ! C'est difficile de changer ça, on fait ce qu'on fait...

Il y a un titre que j'ai beaucoup aimé sur le disque, « Mixed Feelings ». Il y a comme une émotion adolescente dans la chanson, on sort les guitares et on y va...
MC : Oui c'était bien. Elle est très différente des autres titres et on a même hésiter à la mettre sur l'album mais c'était nouveau et on est toujours excité par la nouveauté. Et je la voulais à tout prix sur le disque. C'est rigolo par ce que Juliana est plus punk que moi. Les paroles du premier couplet viennent de Moby Dick. Je voulais éditer un livre ou chaque mot n’apparaît qu'une seule fois. La première page est à peu près normale mais après c'est la dégringolade, ce n'est plus qu'une liste de mots mais une liste intéressante. Le premier couplet je l'ai piqué de cette version éditée bizarrement. Un peu comme « la disparition » de Georges Pérec (un roman entier écrit sans la lettre « E », ndlr).

Ce qui est intéressant aussi dans « Mixed Feeling », c'est un morceau punk mais adapté à ta façon de chanter, assez mélodique...
MC : Encore une fois, on ne peut faire que ce que l'on fait. J'aime beaucoup certains groupes comme Television ou les Talking Heads qui étaient considérés comme punk à leurs débuts. Les Ramones c'est peut-être mon groupe préféré. Avec Daniel (Lorca, bassiste de Nada Surf) au lycée on n'écoutait que du Clash et on avait un groupe de reprises, on répétait une fois par semaine et on ne connaissait que trois chansons des Clash. J'aime beaucoup ce genre de musique mais sans faire partie de cette scène. J'étais punk, d'un point de vue philosophique.

Et à l'opposé il y a « Radio Static » qui est très apaisée, les deux titres se suivent d'ailleurs sur le disque. Il y a comme un grand écart entre acoustique et électrique, le tout sonne aussi un peu plus électronique que d'habitude...
MC : Ouais. En fait on avait deux batteurs en tête pour ce disque Chris Egan et Parker Kindred. Je les connaît de Brooklyn depuis très longtemps. Chris joue avec Solange et Parker joue avec Joan as a police woman et a également joué avec Jeff Buckley. Cela faisait très longtemps que je voulais jouer avec lui mais on ne savait pas où il était. On avait perdu le contact. Et puis j'ai reçu un SMS juste avant de commencer les maquettes. Et il se trouvait qu'il était malade. Chris a du passer plus de temps avec nous du coup. Mais Parker avait amené une vieille boîte à rythme, Roland TR 909, c'était vraiment intéressant de faire des chansons avec une base électronique mais sans ordinateur, jouées en live pour garder un côté humain. J'avais ma guitare acoustique et Parker manipulait les rythmes en live. C'était vraiment bien parce que les choix étaient arrêtés. C'est dangereux d'entrer dans des choix illimités. On se perds en route et on perds du temps aussi. Au début on voulait faire le disque deux fois une version complètement organique et une version électronique. Puis Parker est arrivé et il a dit : « mais non c'est super je veux jouer dessus ». On a combiné les deux.

En écoutant le disque j'ai pensé que « I don't know what to do with my hands », « Mixed Feelings » et «Waiting for you » étaient les trois chansons qui auraient pu être sur un album de Nada Surf...
MC : C'est cool que tu penses ça de « I don't know what to do with my hands », c'est une chanson entièrement écrite par Juliana. C'est pour ça que c'était aussi facile d'écrire avec elle, on a des univers tellement proches. Parfois j'écoutais certaines de ses chansons et je me disais : « J'aurais du écrire ce titre » ! « Waiting for you » a été cosignée avec Daniel et Ira (batteur de Nada Surf, ndlr). C'était une chanson en français de Nada Surf sur « Lucky » (« Je t'attendais », ndlr). Au début je voulais la refaire à l'identique avec un texte en anglais. Puis Parker est arrivé et il m'a dit « tu ne veux pas refaire la même chose ». Il a tellement insisté que finalement on l'a changée (rires) !

Est-ce que tu pourrais me citer trois chansons pour décrire New York City ?
MC : « Teenage Riot » de Sonic Youth, « The only living boy in New York» de Simon & Garfunkel et « Fairy tales of New York » des Pogues, même si ils ne sont pas américains, cela donne un point de vue extérieur. Mais tu as un jukebox dans la tête alors cela pourrait être n'importe quoi (rires)...

Et trois chansons pour décrire Paris ?
MC : J'adore la musique française mais je ne connais pas assez. Je ne sais pas Gainsbourg, Edith Piaf, Renaud que j'aimais beaucoup... Ah oui je sais ! « Give Paris one more chance » de Jonathan Richman et les Modern Lovers.

Est-ce facile de se renouveler sur un plan artistique après tout ce temps ?
MC : Oui et non (soupir)... On se demande pourquoi on écrit des chansons encore et encore, pourquoi on se répète tellement. Pourquoi je chante sur les mêmes thèmes encore et toujours ? Ca peut devenir dur. Pourquoi je joue toujours les mêmes accords ? Mais quand on arrive à se pardonner, cela devient plus facile puis c'est ok. D'abord, ce n'est pas une raison pour arrêter et puis ce qui fait la différence, c'est les autres détails. C'est presque comme dans la vie dans le fond. Trois repas par jour, tous les jours la même chose, pourquoi on se lasse pas après tout ? Parce qu'il y a plein d'autres choses différentes. On se renouvelle comme ça.

Minor Alps, c'est un coup unique « one shot » ou le début d'une carrière parallèle ?
MC : Je ne sais pas, le début d'une carrière parallèle peut-être. Mais maintenant il me faut retourner à Nada Surf. Et puis il y a le disque avec le mec de Telekinesis, c'est les deux projets pour lesquels je veux dégager du temps. Il n'y aura pas d'actualité pour Minor Alps l'année prochaine mais dans deux ou trois ans, pourquoi pas ?

Des nouvelles de Nada Surf ?
MC : On était en studio il y a deux semaines, on a fait cinq maquettes, les prises de base. On va finir cet été j'espère...
En concert le 19 mai à Paris (la flèche d'or)
Propos recueillis le 15/04/2014.

Un grand merci à Matthew Caws pour sa gentillesse et sa disponibilité et à toute l'équipe de la mission qui a arrangé cette rencontre.



dimanche 4 mai 2014

Alela Diane : « About Farewell »


 
Sur ce nouvel album, la chanteuse folk Alela Diane, semble (enfin) toucher du bout des doigts l'essentiel. Disque catharsis, enregistré après son divorce, la Californienne a décidé de franchir le Rubicon, produisant elle-même l'album qui sort sur son label personnel. Un geste d'émancipation fort. D'autant plus qu' « About farewell » est assez dépouillé. Séparée de son groupe Wild Divine, qui l'accompagnait sur scène, Alela a déshabillé au maximum ses chansons. Ne reste plus que sa (délicate) guitare acoustique, un peu de batterie et des arrangements (cordes, flûte, piano) aussi discrets qu'élégants. C'est dans contexte intimiste au possible que la voix d'Alela prends toute son ampleur. Son chant occupe l'espace, semble habité par les textes hautement personnels convoquant une foule d'émotions chez l'auditeur. Et le résultat touche en plein cœur. Sorti en 2013, le disque aurait aussi bien pu voir le jour il y a quarante ans. D'une beauté intemporelle, « About Farewell » place Alela Diane à la hauteur de ses modèles, les grandes chanteuses folk des années 1960. Une réussite.
En concert le 17 juin à la Maroquinerie.



samedi 3 mai 2014

Rencontre avec Cleo T.


 


 
C'est par une belle après-midi ensoleillée d'été indien que l'on fait connaissance avec Cléo T. Jeune artiste à l'univers foisonnant, cette dernière tient un discours passionnant et érudit, parsemé d'influences picturales (cinéma, peinture) où reviennent régulièrement les mots « magie » ou « magique ». Rencontre avec Cléo de « 5 à 7 »...
 
Le visuel est très important dans ton univers artistique, donc j'imagine qu'un premier clip est une étape importante...
Cléo T. : C'est vrai, c'est pour ça qu'on travaille avec une équipe assez complète, on a une styliste qui crée des pièces, un photographe qui imagine des images... Je fonctionne beaucoup comme ça, même pour écrire de la musique. Tout est lié à des couleurs, des photographies mentales. C'est un moment clé. Je suis très influencée par le cinéma et la peinture, qui est un encrage majeur pour moi. C'est très intéressant de voir comment je vais me traduire en visuel, en images, en rythme graphique.

Comment décrirais-tu ton identité visuelle ?
Cléo (réflexion, silence) : Attends, c'est très compliqué cette question... Je dirais d'or, d'obscurité, de spleen et d'idéal. En citant Baudelaire à la fin. Je pense que mon univers est très expressionniste, proche de Klimt. Il empreinte autant au surréalisme qu'au symbolisme par les intrusions de l'irréel dans le réel. Toutes les traces de magie que l'on peut saisir. J'aime beaucoup le doré et la couleur or qui était utilisée pour les icônes et récupérée par l'art nouveau. Mon visuel c'est comme une capture pour cristalliser quelque chose de sacré dans une image instantanée.

Quelle saison mettrais-tu sur ta musique ?
Cléo : Le printemps. Je suis quelqu'un des grands extrêmes. Le printemps c'est cet instant magique où toutes les fleurs que tu croyais mortes et ratatinées par l'hiver reprennent vie comme si il ne s'était rien passé. Les arbres se réveillent toujours de plus en plus beaux et grandis. Le printemps te donne une raison de croire en la magie. La vie revient entièrement dans quelque chose qui n'existait quasiment plus...

Une couleur pour définir ta musique ?
Cléo : L'or. C'est pas une vraie couleur, je sais, je triche (rires)... C'est la couleur de l'immatériel, c'est ça que je trouve très beau.

Quel est le meilleur moment de la journée pour écouter tes disques ?
Cléo (pensive) : C'est dépend si on est du soir ou du matin. Très tard dans la nuit ou très tôt dans la journée, c'est en fonction du rythme de chacun. Je pense que le meilleur moment c'est celui où on est un peu en décalage. Soit par ce qu'on rentre très tard et que les gens sont déjà partis. Ou quand tu te lèves très tôt en surprenant tout le monde et en croisant les noctambules. Ces instants de transitions, là je pense que c'est le bon moment.

Ta chanson « We all » est présente sur les deux Eps, c'est ton titre emblématique ?
Cléo : Elle sera même sur l'album figures-toi (rires) ! Oui, complètement. Les deux eps annoncent l'album qu'on a enregistré entre 2010 et 2011 et qui n'est pas sorti. Il faut avoir conscience qu'aujourd'hui, un premier album pour un artiste qui vient de nulle part, c'est long pour le faire exister. On a eu la chance d'avoir collaboré avec de grands Messieurs comme John Parish (producteur de PJ Harvey, ndlr) ou Robert Wyatt (leader des mythiques Soft Machine, ndlr), qui m'a écrit une poésie pour que je la mettes en musique sur l'album. Par rapport à eux, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire exister le disque proprement. Pas juste le sortir comme ça. C'est un long travail. Le public patiente un peu. Nous aussi. Le disque sort dans différents pays avec des partenaires un peu disséminés. On a un parcours iconoclaste, absolument pas traditionnel. Le disque sort à l'étranger avant de sortir en France. Les eps c'est une stratégie pour préparer la sortie du premier album. C'est pour que les gens nous connaissent, connaissent notre musique. On prépare le terrain. C'est dur de faire sortir un album. Ça prends du temps mais je pense que c'est du temps de gagné.

Je voulais justement te parler de John Parish, c'est un personnage légendaire. Comment tu l'a rencontré ? Quel a été son apport ?
Cléo : Il est formidable ! Déjà c'est un ancrage de confiance. C'est dur quand on écrit tout seul. On ne sait pas du tout ce qu'on fait, on marche à l'aveugle. John m'a suivie depuis ma première démo seule au piano avec mon oiseau qui chante derrière. Il a tout écouté. Ça a été un guide qui m'a accompagnée assez silencieusement. John est quelqu'un d'assez silencieux, majestueux et solennel. C'est un port d'attache, quelqu'un de confiance qui marche à mes côtés. Du coup j'ai pu arriver à l'album en sachant qu'il y avait quelqu'un derrière qui allait capter les bonnes choses. C'est dur d'enregistrer la musique. On a tout enregistré en live, c'était mon envie, sans jamais rien retoucher aux chansons. Et John c'est la personne qui était là pour capturer le moment. L'essence d'un morceau peut tout aussi bien se perdre. Tu peux recommencer tant que tu veux, jouer très bien, garder une prise parce que la guitare est mieux et au final tu n'auras pas la chanson. John réussit à créer les conditions pour garder l'essentiel. Moi j'adore l'album, parce que c'est mon premier et aussi parce que John a capturé qui je suis à ce moment là. C'est un fragment de moi et de ma vie. Je lui dois beaucoup. Je trouve ça superbe.

C'est presque de la photographie non ?
Cléo : Oh oui, c'est de l'image instantanée. C'est ce que j'aime aussi dans le cinéma de Lynch par exemple. Cette sensation de capturer un instant. Comme dans les rêves. T'as des fragments de rêves qui sont tellement concrets. Et après dès que tu veux le raconter à quelqu'un tu ne trouves pas les mots. C'est pas possible. Pourtant l'image à l'intérieur de toi elle est très claire. Cet album c'est un peu ça pour moi.

Et Robert Wyatt ?
Cléo : J'ai chez moi un vieux secrétaire dans mon entrée qui recèle toute une correspondance très rigolote que j'ai avec Robert Wyatt depuis 4 ou 5 ans. J'ai commencé à lui envoyer mes chansons, mes textes. Je lui avais donné une vieille démo quand je l'avais rencontré. Il m'a appelé et m'a laissé un message complètement lunaire. Il avait reçu plein de démos et avait mis six mois pour tout écouter. La mienne lui avait beaucoup plu et il voulait me parler. On avait eu un échange magnifique. Il m'avait parlé des oiseaux migrateurs, des particules dans l'air et de tout ce qui nous constitue. Depuis ce moment là on n'a pas arrêté de s'écrire. On s'est envoyé des dessins, des collages, des petits poèmes, des choses comme ça. D'avoir ses retours sur mes chansons c'était extrêmement important et très touchant. Et donc il m'a envoyé une enveloppe vide avec écrit au crayon de papier dessus un texte qui racontait notre histoire imaginaire et la manière de le mettre en musique. C'est devenu une chanson de l'album.
 
On parle de John Parish et de Robert Wyatt mais finalement ta musique n'est pas très rock...
Cléo : En fait je pense que je suis à la croisée de pas mal de choses. Sur scène notre concert est assez punk. Dans l'énergie ça va plus loin que le rock.

Je l'ai senti sur « We all », il y a une accélération de guitare sur la fin...
Cléo : Oui. Mais en concert on est très proche du cabaret, quelque chose de très électrique. J'aime beaucoup l'idée que la musique soit polymorphe car en fait elle vit avec nous, elle évolue tous les jours. Ma musique est très versatile, un peu comme moi. Elle peut aussi bien aller dans la chanson populaire. Il y a des morceaux très rock mais sans vraiment appartenir à la scène rock. C'est un peu curieux c'est vrai (sourire). Moi j'ai écouté beaucoup de musiques différentes. L'industriel par exemple. Je suis une très grande fan de Einstürzende Neubauten. De Schubert aussi. Dans toutes ces choses que j'aime pour moi il y a un sentiment commun que j'arrive à reconnaître. Comme un herbier personnel. Gustav Mahler et Screamin' Jay Hawkins côte à côte (sourire).

Ce que je trouve génial c'est qu'on entends aucune de ces influences sur le disque (rires)...
Cléo (rires) : C'est vrai ! C'est un peu curieux, parfois tu te dis on va faire une chanson un peu comme ça et puis en fait ça ne marche jamais. Je ne sais pas le faire. J'aime tellement de choses différentes, je suis une grande fan de free jazz, Charlie Haden et tout... En plus je ne suis pas une musicienne instrumentiste qui peux te composer des chansons « à la manière de ». Je trouve assez magique d'accepter à un moment donné que tu fais la musique que tu peux faire. Le vrai travail c'est de rester juste par rapport à toi-même et ton expression. Moi-même je suis assez souvent surprise quand j'écoute mes chansons. Le résultat est toujours différent de ce que tu espères. Je trouve ça assez beau. Tu donnes vie à quelque chose qui est une partie de toi mais que tu ne contrôles pas. Le pari est là : il faut s'auto-hypnotiser et voir ce qui va en ressortir sans volonté véritable. Ne pas chercher à faire un truc un peu blues par exemple. Donc je digère tout ça et après je me « check up » (rires). Les choses ressortent et je ne sais pas trop comment...

Tu voyages beaucoup, tu fais une carrière européenne. Ce n'est pas donné à tous les artistes français, notamment à Londres qui est en général une destination assez compliquée...
Cléo : C'est vrai, on a de la chance. C'est même curieux quand on regarde la liste de nos concerts, on est plus souvent à l'étranger qu'en France. Ça devient bizarre. Et je ne sais pas quoi à c'est dû. J'ai des points d'accroches à l'étranger, chaque année on fait 25 dates en Italie et peut-être deux concerts en dehors de Paris. C'est assez disproportionné. Je ne sais pas... Pour moi c'est naturel, nous on va là où il y a des gens qui ont envie de nous écouter. Ce n'est pas forcément volontaire de s'exporter. On fait des rencontres et après quand on nous fait une proposition et bien on y va. Là cette année on va être beaucoup en Allemagne, en Italie et en Angleterre.

Tu aimes la vie en tournée ?
Cléo (affirmative) : J'adore ! On a un superbe camion en général jaune assorti à mon canari, mais par contre le canari ne vient pas (rires) ! Ca a le cœur fragile ces petites bêtes ! L'enregistrement ce n'est qu'une toute petite partie de mon travail. Moi, ce que j'aime c'est jouer, je suis quelqu'un du spectacle vivant. J'aime cette vie de bohème. Trois mois par an, on dort à six dans un gros fourgon, on campe un peu partout, on joue 22 concerts en 23 jours, on rentre puis on repart. C'est fantastique. Ça permet de te décentrer. Quand tu es de Paris et que tu joues en ville, tu as un rapport particulier. On arrive au fin fond de la Sicile dans des villages perchés en haut des montagnes, les rues sont désertes à 20 heures et à minuit il y a plein de gens qui arrivent voir ton concert. Ils ne te connaissent pas. Tu arrives dans l'arène. Les spectateurs sont là : « Ok, qu'est-ce que tu as à nous montrer ?». C'est magique. Des rencontres complètement pures. L'échange est fantastique. Des vrais parcours initiatiques musicalement et humainement.

Tu apprends aussi sur toi ?
Cléo : Ah oui ! C'est fantastique ! On rencontres des gens. Les gens qui nous accueillent, c'est assez génial. En Allemagne on s'est retrouvé à jouer sur un navire de guerre est-allemand qui a été récupéré par un groupe d'anarchistes qui naviguent entre Amsterdam et Hambourg, c'est des gens insensés. Tu as beaucoup de choses à apprendre. C'est une vraie chance, grâce à la musique, de rencontrer et d'apprendre d'autant de gens. C'est fascinant. C'est très fatiguant aussi et pas excellent pour la santé (rires) !


 

Quand je t'écoute, je trouve que tu as une façon de chantée très expressive, passionnée et lyrique...
Cléo : C'est mon côté italien ça. C'est du théâtre. Moi tu sais, je suis comme un oiseau, je me lève, je chante. Depuis que je suis petite (rires) ! C'est en moi.
 
Que faut-il pour poursuivre un rêve artistique comme le tien ? Du courage ? De l'abnégation ?
Cléo : Beaucoup de foi. J'ai été bien dotée, j'en ai en grande quantité. Pas dans le sens d'acharnement. Pourquoi on fait ce qu'on est en train de faire dans notre vie ? A partir du moment où tu te poses la question, ça devient compliqué. Moi je marche. J'avance. Après dans le détail, il faut beaucoup de courage, de la persévérance, de la santé, par ce que les tournées c'est costaud.
 
Tu doutes parfois ?
Cléo : Tout le temps. Il le faut. Je suis très versatile. J'aime marcher sur les précipices. Quand tu acceptes de descendre très très bas ou au contraire de monter sur des crêtes très arides, tu peux toucher à des sensations uniques. Il faut savoir se remettre très violemment en question, ouvrir son cœur et regarder dedans. Sans avoir honte ou peur. En l'acceptant. C'est sur que c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire et que là c'est parce qu'il fait beau et que j'ai passé une excellente journée (rires) ! Il y a des fois c'est beaucoup plus compliqué. Mais c'est cette intransigeance par rapport à toi qui est nécessaire. Parfois tu trébuches mais il faut se relever.
 
Et que faut-il pour monter sur scène, de l’exhibitionnisme ?
Cléo : Du whisky déjà, c'est très important ! (rires). Après des supers musiciens, et moi j'ai une équipe en or. Il faut beaucoup de confiance et beaucoup d'amour. Et beaucoup de désir. En même temps c'est tellement excitant la scène que tu en as forcément.
 
Un petit mot sur le cabaret pour finir ? Je crois que c'est une influence importante pour toi ?
Cléo : J'adore. Je suis quelqu'un du théâtre aussi. J'adore le spectacle. Ce que j'aime dans le cabaret c'est la scène : il s'agît d'un petit lieu clos dans lequel on peut créer un espace magique. A l'intérieur on peut partir n'importe où. C'est ce qu'on essaye de faire avec notre spectacle, créer une sorte de micro-temple dans lequel toutes les folies possibles peuvent arriver. Et j'aime l’exubérance du cabaret, j'aime la folie. J'aime surtout la volonté affirmée de ne pas être dans le réel. Ça ne m'intéresse pas trop moi d'être un miroir de la réalité. J'aime l'idée d'être en danger et d'aller chercher loin des choses. Je pense que c'est le meilleur moyen de toucher les gens.
 
Tu utilises souvent les mots « magie » ou « magique » ?
Cléo : C'est parce qu'il fait beau (rires) ! En même temps ce sont de très jolis mots. Je trouve que la musique c'est de la sorcellerie. Un rituel dans le bon sens du terme. D'ailleurs dans plein de sociétés la musique est utilisée comme un accessoire de la magie. C'est forme de transe pas forcément dans le sens rythmique. Mais la musique à cette puissance d'invocation d'ouvrir des portes vers d'autres endroits, pas forcément réels d'ailleurs. Je ne pense pas que l'on entre dans une autre dimension en venant me voir en concert. Mais je pense que chacun dans son rapport à la musique peut avoir accès à de l'invisible. Pour moi, c'est le processus de l'art. C'est pour ça que j'aime la peinture, je suis comme aspirée par la couleur. Et on en revient avec des choses fantastiques dans les yeux et dans la tête. Et ça c'est magique (rires) !
En concert le 26 mai à Paris (le divan du monde 1ere partie Gabby Young & Other Animals)
Propos recueillis le 23 septembre 2013.
Un grand merci à Cléo pour sa gentillesse et sa disponibilité.
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